Anatomie d'une Enfance Ravagée

Stéphane Rougeot

Certains contes de notre enfance sont emplis de violence. Ce recueil se veut la mise en évidence de cette violence en revisitant certains contes parmi les plus connus.

La Cagoule


Tonio ouvre un tiroir. D'habitude, c'est toujours là. Pourquoi diable n'y a-t-il rien ?

Il s'appelle Antoine, mais déteste ce prénom depuis sa plus tendre enfance. Sa préférence se porte largement sur la version latinisée, plus percutante et terriblement plus virile.

Après avoir constaté que ce qu'il cherche ne se trouve pas dans la petite coiffeuse couverte de produits divers, de brosses et de médicaments, il fait le tour de la chambre.

Cet appartement n'est pas le sien, aussi perd-il du temps à dégotter l'objet de sa convoitise. Loin d'être en manque, en tout cas pas d'une drogue que l'on s'injecte par quelque moyen que ce soit, il est à l'affût d'argent, et ne reculera devant rien. Si à l'occasion il peut également se procurer quelques sensations fortes, ce n'est pas pour lui déplaire.

Le mur d'en face est constitué d'un placard intégré. Une piste à suivre.

L'homme enjambe le corps de la vieille qui est en train de se vider de son sang par une plaie béante au niveau de l'abdomen. Si elle est immobile, de légers râles prouvent que son cœur palpite encore.

Les battants grincent sur leurs rails. Tout est parfaitement bien rangé. La penderie ne contient que des robes ou tenues emballées dans des housses. Les chaussures sont alignées au millimètre près. Des boîtes sont remplies de sous-vêtements pliés. De grands sacs de voyage pleins ainsi que des valises occupent les étagères les plus hautes.

— Je ne vais pas être obligé de vider tout ça, quand même ? Où a-t-elle bien pu les planquer ?

La présence de l'homme n'est due qu'à une chose. Une seule. Et son temps est compté.

Il se tourne vers sa victime et lui crache :

— Putain, tu fais chier !

Il ne regrette pas de l'avoir plantée. C'est sa manière de procéder. Non, il est en colère contre elle à cause de sa prévoyance, sa prudence, et éventuellement son expérience.

Dénigrant les culottes, il entreprend de jeter les pulls et autres gilets. Il s'attend à trouver une petite pochette, ou une boîte plate, dans les lainages. Mais rien.

Un grattage intensif d'une zone à l'arrière de son crâne en grande partie dégarni ne l'avance pas plus.

D'habitude, elles ne cachent pas aussi bien leurs bijoux ni leur argent liquide.

Évidemment, il a commencé par le sac à main, la table de nuit et quelques récipients à couvercle de la cuisine.

La tache de sang s'étend inexorablement. Sa chaussure de sport d'une grande marque s'imprègne de rouge, mais il s'en fiche.

Il ne va quand même pas en être réduit à piquer la télé et le poste de radio ? Déjà qu'il n'y a aucun ordinateur, même vieux et pourri !

Ses paumes et genoux à terre, loin de la mare qui s'étale, son regard balaie sous le lit. Ni poussière ni rien.

Soudain, le bruit de la bobinette qui choit provient de l'entrée, à l'autre bout du couloir. Avant de se relever, il voit une paire de chaussures noires, et le bas d'un Jean. La main qui ne tient a priori pas la clé supporte deux sacs de supermarché pleins qui se balancent.

Tonio se redresse alors que l'invité-surprise appelle :

— Mamie ?

Il s'approche de la porte de la chambre pour la fermer, mais une silhouette se glisse dans l'encadrement juste à ce moment. Il reconnaît avec déception la cagoule grise et la veste d'hiver molletonnée, et se rend alors compte qu'il ne porte rien lui-même pour ne pas se faire identifier.

Les courses se répandent sur le parquet imbibé.

Il tente d'empoigner l'intrus qui a un geste de recul, mais ne réussit qu'à accrocher la cagoule, qui lui reste dans la main, révélant une longue chevelure blonde. Le visage de fillette d'une dizaine d'années s'empreint de panique.

Sans s'énerver, néanmoins avec une précipitation non feinte, il la rattrape au milieu du couloir après seulement deux pas et la ceinture de ses bras. Bien qu'elle se débatte, il parvient à la traîner jusque sur le lit, où il la jette sans ménagement.

Il s'allonge sur elle et lui maintient les poignets.

— Alors on se laisse aborder dans le métro, on discute, on révèle des choses, et puis quand vient le moment de passer aux actes, on se défile ? Si t'avais accepté mon invitation, j'aurais pas eu besoin de faire ça !

Il pointe son menton vers le corps de la vieille.

Un crachat lui souille le visage, ce qui le fait sourire.

— Tu dois bien avoir quelques biftons sur toi, non ? Si tu reviens du supermarché.

Il prend les deux petites mains dans une seule des siennes et entreprend de fouiller les poches du Jean et de la veste. À peine quelques pièces, un paquet de mouchoirs en papier, un téléphone ringard et un trousseau de clés.

— Quoi ? C'est tout ?

Devant le silence de la fillette, il balance le butin par-dessus son épaule et envoie quelques claques qui font rougir les joues. Des larmes ne tardent pas à remplir les yeux angoissés.

— J'ai plus rien, et ma mamie est pas riche. Mais si vous me laissez rentrer chez ma mère, je peux vous donner de l'argent, je sais où elle le cache.

Tonio secoue la tête lentement. Une nouvelle idée vient de traverser son esprit dérangé. Sa voix se fait douce :

— Non, non. J'ai d'autres projets pour l'instant.

Ses doigts glissent jusqu'au Jean de la fillette qu'il déboutonne. Il est plongé dans son regard pour absorber toute la terreur qui s'en échappe. Elle secoue la tête à son tour, devinant ce qu'il va tenter.

Tétanisée, elle ne peut faire le moindre geste quand il la relâche, le temps de se relever, ramasser la cagoule qu'il enfile, et baisser son pantalon. Il n'a d'autre but que lui faire découvrir ce qu'est la vie, avant de la pénétrer également de sa lame, inculquant que la mort lui est inévitablement associée.


Inspiré par

Le Petit Chaperon Rouge

de Perrault.

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