" ANDROMAQUE "
gautier
Le Classique au théâtre peut s'apparenter au Standard dans le Jazz. Des œuvres gigantesques dont il est vain d'imaginer en parcourir tous les sens malgré la profusion des interprétations, pas des improvisations, on est quand même sur les planches ! Cette Andromaque de Jean Racine mis en scène par Anthony Magnier propose une nouvelle vision de l'œuvre, originale dans son esthétisme, pertinente par son approche, fidèle au texte en alexandrin, il est peut-être difficile d'en faire autrement?
Les comédiennes, Pauline Bolcatto, Moana Ferré, Nathalie Lucas et les comédiens Anthony Magnier, Julien Saada se livrent corps et âme dans des affrontements que vivent tour à tour leurs personnages, le verbe “incarner“ dans son sens premier prend alors tout son sens. Le mot de passion, rouge sang, vient également à l'esprit puis aux yeux un peu plus tard. Andromaque est finalement une tragédie sur la folie amoureuse, sur son aveuglement, sur sa cruauté aussi et sur la solitude dans l'absence de réciprocité. C'est une œuvre puissance sur la liberté d'aimer mais pas de l'être nécessairement ! Un propos romantique sur l'amour, ce sentiment qui emporte tout et qui n'a que faire des convenances et des stratégies politiques. Il ne peut y avoir de bonheur heureux. Amis écoliers révisez vos classiques !
Cette création est si totale et si parfaitement orchestrée qu'il est difficile de la découper, séparant d'un côté le jeu des comédiens, de l'autre, la mise en scène et à l'autre bout, les décors et la partie musicale. Néanmoins ce que nous pourrions appeler l'esthétisme chaud et froid de cette pièce est en vérité une seconde narration, parfois sans vers, juste des flashs à l'arrière de rideaux de tulles transparents, où nous découvrons dans une immobilité de mannequins de vitrine, les attitudes, les spasmes des personnages perdus dans leurs conflits intérieurs. Lorsque la scène s'anime, faisant la part belle au texte de Jean Racine, le théâtre devient cinéma le temps d'un instant. Par le déplacement des rideaux de scène, gauche et droite verticalement puis de haut horizontalement avec le sol comme ligne de base, se définit un nouveau cadrage, écran large, 16/9, demi plan, gros plan, dans lequel la scène peut se dérouler. Cette trouvaille simple et géniale, amène le spectateur à une concentration ultime, attirant son attention vers un espace bien délimité, occultant ainsi par des effets de rideaux, jamais de manches, tout autre divertissement du regard.
Putain de texte, pourrait-on dire vulgairement d'une œuvre tout en alexandrin ! Passé le premier quart d'heure d'accoutumance, nous pensons en rimes de 12 pieds sans jamais trébucher. Nous découvrons alors une richesse insoupçonnée, un deuxième sens qui prolonge ou anticipe déjà la scène en mouvement. La beauté et la compréhension d'un vers qui ne se livre qu'à son ultime fin, la puissance d'une pensée qui n'exploserait en bouche qu'à sa dernière voyelle, il y a chez ce grand maître un plaisir jouissif contenu, comme une manière de s'exprimer proche de la gourmandise et du désir amoureux. Mais les vers pleins de sens, faut-il encore les vider sans en abuser… C'est encore là un des grands talents des comédiens et comédiennes qui semblent proser en alexandrin, évitant la mécanique infernale de la dernière rime basculante et de sa musicalité parfois exagérée. A cette langue s'ajoute une bande son, musicale et bruitée, à la fois brute et élégante, elle est, une nouvelle fois, un élément de langage de ce théâtre généreux. Comme quoi, trois cents quinze ans après la mort du grand auteur, il est toujours temps de cultiver son jardin intérieur par la Racine, il n'y a pas en ce bas monde, de place pour une culture raisonnée, du moins au théâtre!
Thierry Gautier (copyright SACD Avignon 2015)
Trop rares les chroniques culturelles sur WLW. Merci !
· Il y a plus de 9 ans ·petisaintleu
et cela sera ainsi tous les jours du festival d'Avignon, merci de votre suivi.
· Il y a plus de 9 ans ·gautier