Sub Umbra Floreo*

walkman

* devise du Bélize

"Espèce de petite raclure de merde ! Qu'est-ce que tu croyais ? A quoi est-ce que tu pensais ? Tu t'imagines qu'il suffit qu'une femme porte le regard sur toi pour que la magie opère !? Qu'on va toutes essayer de trouver un charme dans ton alcoolisme ? Qu'on va essayer d'excuser ton comportement sordide de petit dépressif miséreux ?"

Apparemment, j'ai merdé quelque part. 

"On vaut toutes autrement mieux que ça. Personne ne mérite de finir avec un débauché dans ton genre. Tu joues de grands mots, de belles tournures de phrase, mais tout ça ce n'est que du vide. Juste un moyen cynique et ordurier pour arriver à tes fins. Toujours vouloir nuire aux autres. T'es un connard, Hayden. Un CONNARD !!!"

Peut-être que par "connard", elle entend habitant du con. Auquel cas, c'est moins terrible que ça en a l'air. 

"Mure-toi dans le silence, c'est ça. Rien qui puisse sortir de ta gorge ne servira jamais à une noble cause. Tout en toi n'est qu'égoïsme, fourberie et fumisterie. Tu n'es rien ! Pas l'ombre du type que tu prétends être parce que ça t'aide à trouver le sommeil la nuit."

Il y a incohérence. Elle m'engueule justement parce que, la nuit, ce n'est pas le sommeil que je cherche. 

"Personne n'est dupe. PERSONNE ! Sauf toi qui traverse la vie comme s'il s'agissait d'un centre de loisirs et de plaisirs !"

Elle n'a pas lu non plus ma biographie. 

"Mais on est pas tous comme toi ! Tout le monde n'utilise pas les gens comme des pantins serviles prêts à répondre à la moindre lubie, à la moindre déviance... Alors que toi ! TOI !"

Son cri vient me tordre la visage. 

"Toi tu es le genre de personnage abjecte qui ne voit chez les autres que son propre intérêt. Toujours à profiter de la moindre faille. Toujours à.. toujours à tricher, manipuler, mentir. Tu me dégoûtes, et même que tu me fais pitié. Tu prétends être l'ami des femmes, de les aimer mieux que quiconque, d'œuvrer pour elles, et tu te pavanes... et tu te pavanes..."

Elle imite en même temps quelqu'un qui ferait de très grands gestes lents. 

"Alors que c'est à cause de types dans ton genre que nous, que moi, que nous toutes subissons les mêmes humiliations sempiternelles. Les mêmes pièges. Ceux que tu tisses avec les toiles de nos faiblesses. Ces toiles que toi, et tous les autres connards dans ton genre, vous disposez au milieu de nos espoirs. Nos légitimes requêtes d'être un jour aimées et respectées pour ce que nous sommes en tant qu'êtres humains et non pas la somme de courbes que nos tissus suggèrent."

Comme n'importe quelle mouche à merde, la petite tête de London Oak apparaît derrière elle. Attiré par l'odeur nauséabonde qui émane de la bibliothèque dans laquelle, la guitare Lucile au genou, je me fais incendier par Carmelita. Je vois sous ses lunettes le regard de quelqu'un qui vient assouvir son appétence pour le voyeurisme pendant une soirée libertine. Reste que je ne vois pas ses mains pour jurer qu'il les utilise.

"Regarde-moi ! hurle-t-elle au point de me faire sursauter. Misérable petit peintre raté. Regarde-moi quand je te confronte ! Tu n'es rien, rien du tout qu'un tout petit artiste médiocre. Ô tu peux faire des courbettes aux impressionnistes français, eux ils étaient des précurseurs, eux saisissaient la beauté du monde pour en faire bon usage ! Tu es très loin d'avoir leur talent. Tout ce que tu couches sur un tableau se veut loin de toute humilité. De toute honnêteté intellectuelle. Regarde-moi ! Regarde ce que tu as fait d'une femme qui a eu la gentillesse et la naïveté de t'ouvrir ses nuances les plus intimes et de t'inviter à les partager. Alors maintenant regarde-moi dans les yeux !"

Ce que je fais déjà depuis le sursaut.

"Regarde-moi dans les yeux et dis quelque chose. Arrête d'être ce médiocre petit peintre écorché vif par je-ne-sais quelle fausse excuse que tu rabâches sans cesse. Arrête d'être un lâche et dis ce que tu as à me dire. Je t'écoute."

Par respect pour sa longue diatribe parfaitement articulée, et parce que je ne veux pas me répéter, je m'éclaircis la voix. 

"Je suis désolé."

Peut-être suis-je trop concis. Il aurait sûrement fallu que j'y ajoute quelques mots d'apparats qui seraient venus souligner à quel point ce mea culpa était sincère. Mais seuls ces trois mots sont sortis et par le silence qu'ils laissent, j'en déduis que ce n'était pas assez. Ses épaules s'affaissent, elle baisse les bras et semble presque désarmée et désabusée. Elle secoue la tête pour manifester la réprobation, désavouant ce que, pourtant, elle était venue chercher de si bonne heure par cette matinée ensoleillée.  

"J'espère pour toi que tout ce que je viens de dire t'ouvrira les yeux sur la petite merde humaine que tu es vraiment."

A défaut de m'avoir ouvert les yeux, elle m'a au moins ouvert l'appétit. 

"Tu as le choix Hayden."

Indien ou Libanais ?

"Peut-être plus en ce qui me concerne mais tu as le choix, tout de même. De devenir, un jour, autre chose que l'ombre du type que tu projettes. Et je ne le souhaite pas pour sauver ton âme, mais pour toutes les femmes chez qui tu susciteras le moindre petit espoir."

Claquant le talon de son escarpin sur le vernis du parquet de la bibliothèque de ma villa de connard, elle se retourne vers la sortie et surprend London qui, finalement, se serait bien vu ailleurs.

"Et vous, lui dit-elle si froidement qu'elle le pétrifie. Soyez autre chose que le chiffon à torcher tout ce qui peine à sortir de lui."

Elle lui passe devant la tête haute et s'en va fermer bruyamment la porte d'entrée derrière elle. Une violence telle que les cordes de la guitares vibrent en son honneur. 

"Eh beh ! clame London en daignant enfin me montrer ses mains en s'avançant dans la pièce. Je croyais que c'était l'amour fou entre vous deux ?

- La folie se manifeste parfois sous cette forme."

Il approuve en prenant ses aises dans un des canapés de velours. 

"Et qu'est-ce qu'elle te reproche ? s'enquiert-il dans un reste de mouche à merde.

- D'avoir couché avec Lola."

S'il avait eu la bouche remplit de liquide, il aurait avalé de travers avant d'en postillonner partout. 

"Tu as couché avec Lola !?

- Non."

Ses grands yeux écarquillés cèdent l'expression à ses sourcils froncés. 

"Alors pourquoi ne pas avoir objecté ?

- Parce que je n'ai pas envie qu'elle se croit folle, qu'elle s'excuse encore d'en avoir trop fait ce qui, irrémédiablement, écornerait encore un peu l'image qu'elle a d'elle-même. Parce que, de toute façon, elle en est convaincue et que la persuader du contraire consommerait bien trop d'énergie. Parce que, même si j'y parvenais, un doute subsisterait, et que tous ses autres doutes la bouffent déjà bien assez comme ça. Parce que je pense que très peu d'hommes, dans sa vie, se sont excusés pour leur comportement. Parce que le courage, le choix des mots et l'effort de venir jusqu'ici doivent être récompensés par une happy end... et, enfin, parce qu'elle a raison d'admettre que je ne la sauverai jamais de sa vie de merde. 

- Eh bien, reconnaît-il. Je ne me doutais pas que tu serais enclin à un tel sacrifice de ton orgueil et de ton ego. Je suis agréablement surpris. Et en même temps subjugué par ta capacité à les comprendre et à les aimer. 

- J'aime les femmes et, évidemment, ce n'est pas parce que je les comprends ; mais plutôt comme un aveugle épris de lumière...

- Et vu qu'elles ne te comprennent pas non plus, tu utilises le sexe. Le sexe est une arme. L'histoire de l'épée et de son fourreau."

Je range Lucile dans son étui. 

"Tu confonds avec le mariage. Le sexe, c'est l'histoire d'une épée et d'une meule."

Il acquiesce en souriant. Soudain, on dirait, ému par la révélation de ma tragédie. 

"Tu partiras sûrement de ce monde sans avoir réussi à te faire comprendre...

Je me sers cet inébranlable verre de whisky. 

"...il y aurait presque de quoi en pleurer, me plaint-il. 

- Je bois. C'est ma façon à moi de pleurer."

Il me regarde avaler le verre. 

"Tu n'as pas peur de mourir sans y arriver ?" 

Son inquiétude pleine d'empathie ne soulève aucun espoir. Alors un deuxième verre ne fera pas de mal.

"Pour ma mort, j'ai moins peur de ne jamais me réveiller, que de ne plus jamais m'endormir.  

- Alors tant pis si personne ne finit par faire le jour sur ce que tu es ?

- Ça fait longtemps que je fleuris à l'ombre." 



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