Anna

caiheme

Instant de vie d'une vieille fille.

Son visage est blanc, presque blême, à travers la peau on peut voir ses veines. Les minces fils bleutés parcourent son visage. Sa peau est douce et lisse, pas de crevasses ou d'aspérités. Ses paupières sont violacées, ses yeux sont noirs et brillants. Anna s'observe nue devant la glace du miroir, son corps est rond, son cou a disparu, son corps est un chiffre difforme, un huit dont la boucle du bas, aurait enflé. Ses petits bras maigres ne peuvent se toucher tant son ventre est épais, ses jambes se sont mélangées à la boucle du huit, il n'y a plus de distinction entre son abdomen, ses cuisses et ses genoux. Anna s'observe nue devant la glace, l'ensemble de son corps est gonflé, sa peau est blanche. La ligne rose d'une blessure mal cicatrisée sort de sa bouche, glisse le long de sa trachée, sillonne son ventre et s'arrête au nombril. Les petits yeux noirs et brillants d'Anna suivent la rayure devenue violette à cause du froid. On ne voit pas ses cheveux, ils sont recouverts d'un bonnet en laine bleu, il y a beaucoup de traces de couture sur ce bonnet, une couture épaisse et maladroite. Les fils sont larges et blanchâtres, ils flottent et s'agitent sous l'effet du vent, les petits vers de tissus paraissent vouloir s'enfuir, mais ils sont attachés. Anna s'observe nue devant son miroir, ses pieds sont enveloppés de pantoufles bleues. Le vent redouble, des souffles glacés passent par les espaces que forment l'encadrement de bois et la fenêtre ouverte, on entend des plaintes aiguës sortir des interstices. La neige commence à entrer, les flocons viennent se coller contre le verre des cadres photographiques éparpillés sur la commode, les chaises le sol et les radiateurs. Les flocons se transforment, deviennent limpides puis coulent sous la forme de larmes le long des photographies en noir et blanc prisonnières des cercueils de voyeur. La peau d'Anna frissonne, des petites montagnes de chair apparaissent sur son dos, son corps tremble, ses poils se hérissent, le tatouage sur son épaule s'anime par le frémissement, il représente une branche d'arbre. La branche veut se détacher, tomber pour renaitre, mais elle ne peut pas, elle est soustraite à la corruption du temps. Anna mord ses lèvres, l'iris de ses yeux s'agrandit brusquement, elle se retourne et se dirige vers la fenêtre ; sa démarche lente fait pleurer les lattes en bois du plancher, quelques cadres photo tombent sur son passage, ses petites mains crochues tournent la poignée et ferme la fenêtre. La neige a recouvert quelques photos, Anna saisit un cadre argenté, il brille sous la lumière de l'ampoule électrique qui pend tristement au plafond, sans artifice, sans ornement. Anna souffle sur le cadre, le voile blanc se dissout, un peu de buée se forme puis elle s'évanouit. Apparait alors une jeune femme mince, habillée de vêtements chics et raffinés, ses cheveux, que l'on devine blonds tant la couleur est claire, sont ornés d'un élégant chapeau, ses poignets sont parés de bijoux délicats. La jeune femme sourit et regarde droit devant elle, son regard semble traverser de part en part l'objectif du photographe et la paroi en verre du cadre, ses petits yeux noirs fixent Anna. Une larme coule à nouveau le long de la photo, la fenêtre est fermée, dehors le vent souffle, la neige tombe de plus en plus, la pleine lune éclaire de sa lumière bleuâtre les appartements de la ville, la nuit sera froide.

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