Anne, Suzy et le loup - partie I
campaspe
« Cette fois les vacances sont bien là. » C'est la réflexion que se fait Anne en entrant dans la grande salle où se tient la conférence quotidienne de la rédaction. La moitié de ses collègues n'étaient pas là ce matin de mi juillet. Les autres, habillés de couleurs vives, de chemisettes et de shorts, ne semblaient guère avoir envie de se mettre au travail. Même le rédacteur en chef était en retard.
Anne se demanda l'espace d'un instant si le contenu des journaux d'été était indigent car il n'y avait pas d'informations ou parce que tous les journalistes étaient en vacances. Elle finit par conclure que l'information était moindre : ceux qui faisaient les nouvelles devaient être eux aussi en train de bronzer sous les cocotiers. Un sentiment d'envie la submergea : elle serait bien partie sur une plage exotique elle aussi. Mais elle venait d'obtenir son diplôme de journaliste de presse écrite en juin et ce stage qu'elle avait réussi à décrocher dans un grand quotidien régional était une chance unique d'obtenir un emploi si elle faisait ses preuves. Elle ne devait pas la laisser passer.
Le rédacteur en chef arriva enfin. L'actualité régionale était effectivement peu dense : les habituels chiens écrasés, la tenue d'un congrès de physiciens dans la ville rose, un cambriolage de banque avorté à Albi. Les collègues d'Anne, qui avaient plus de bouteille qu'elle, se partagèrent ces sujets d'enquête. Comme d'habitude il n'allait lui rester que les marronniers de saison : l'installation de Toulouse plage, la remise en état d'un moulin de la région, l'arrivée possible de la canicule avec photos de touristes en train de se désaltérer sur les terrasses. Elle avait essayé de songer par elle-même à quelques sujets que cette pénurie d'information pourrait lui permettre de traiter. L'un d'entre eux lui sembla plus prometteur que les autres. « Pourquoi pas un papier sur le Musée des Ailes Anciennes ? J'ai discuté avec le responsable du service de communication. Ils viennent de recevoir un nouveau Nord3002. Ce sera l'occasion de rappeler ce Musée au bon souvenir des Toulousains. Quelques belles photos, ça ne peut que donner aux gens envie de venir». La proposition d'Anne fut retenue.
Après une demi-heure, la réunion s'acheva et les membres se dispersèrent. Anne prit rendez-vous avec le responsable du Musée pour le début de la soirée. En attendant elle se mit à son travail rituel : dépouillement des dépêches AFP qui lui incombaient, rédaction des brèves, préparation de son sujet principal. Cette activité l'occupa jusqu'au milieu de l'après midi. Vers 15 heures, un appel arriva au standard et la standardiste jugea qu'il devait être de quelque importance car elle le transmit directement au rédacteur en chef. Quelques minutes plus tard ce dernier convoqua Anne dans son bureau. « On vient de nous appeler. Il semblerait que le groupe AZF refasse parler de lui. Il aurait envoyé des lettres de chantage à des boîtes d'agroalimentaire dans la région, menaçant d'empoisonner leurs produits. Je n'ai les coordonnées que de l'une de ces entreprises, tu demanderas à Françoise de te les passer. Pour le moment, pas moyen de savoir si ce n'est qu'une rumeur ou s'il y a du vrai là dedans. Vois ce que tu peux trouver ».
Enfin une vraie enquête ! Même si Anne dès l'abord ne prit pas cette nouvelle très au sérieux : tant de rumeurs arrivent quotidiennement au journal, quelle proportion d'entre elle devient réellement information ?
Anne trouva sans peine le numéro de téléphone du siège social de l'entreprise concernée. Elle n'avait pas de contact précis dans cette boite. Le directeur était « en réunion » avec le reste de l'équipe dirigeante. Elle demanda finalement à parler au responsable des ressources humaines, le seul qui semblait être disponible.
« Bonjour Monsieur, Anne Perez de la rédaction de la « Missive Toulousaine ». D'après l'un de nos informateurs, vous auriez reçu ce matin une lettre de menace du groupe AZF. Pourriez-vous confirmer cette information ? » « Je n'ai pas reçu de lettre de menace. Franchement, je tombe des nues» répondit le DRH avec dans sa voix une nuance d'étonnement réelle ou remarquablement bien simulée. « Je ne sais rien à ce sujet et je ne peux donc rien vous dire de plus.» Cette réaction ne surprit guère Anne : l'arme du chantage alimentaire n'est pas si rare et les responsables des sociétés qui reçoivent de telles menaces n'ont guère intérêt à les rendre publiques, ce qui risquerait d'alerter leurs clients, de compliquer leur stratégie de communication et de donner des idées à d'autres malfrats. Les services de police contactés ne furent guère plus loquaces. Les renseignements obtenus ne pourraient remplir plus d'une colonne dans les pages régionales. Anne appela ensuite le responsable régional d'une grande enseigne de distribution qui lui confirma « Cela peut arriver et il ne se passe heureusement jamais rien, d'autant que l'on reste discrets. Dès le moment où un industriel est inquiété, nos systèmes d'alerte internes sont activés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais sur cette affaire, nous n'avons pas eu d'informations… ».
Dans la soirée arriva une dépêche de l'AFP précisant que cinq entreprises, quatre appartenant au secteur agroalimentaire, et la dernière au secteur cosmétique, avaient reçu le matin même des lettres dont une au moins avait été postée en région toulousaine. Elles réclamaient un million d'euros aux entreprises sous peine de voir leurs produits empoisonnés dans un magasin de la région de Toulouse.
Anne se mit à réfléchir à cette affaire : Il lui sembla que le modus operandi ne ressemblait guère à celui du groupe terroriste de même nom qui avait défrayé la chronique quelques mois auparavant en menaçant de faire sauter des trains. Elle n'avait pas suivi l'affaire de près étant encore à l'époque dans son école de journalisme et ayant d'autres chats à fouetter, mais elle se rappelait clairement que l'un des terroristes au moins avait des connaissances dans le maniement des explosifs. La stratégie du groupe avait été remarquablement efficace, et si l'affaire ne s'était pas soldée par la remise d'une rançon, les terroristes avaient été tout prêts d'arriver à leurs fins et n'avaient jamais été retrouvés. Elle pensa qu'elle pourrait peut être préciser cette intuition et étoffer un peu son article en se replongeant dans l'abondante bibliographie que cette affaire avait suscité. Après avoir réfléchi à la méthodologie qu'elle appliquerait, Anne s'attaqua au sujet.
Elle dézippa le dossier AZF qui avait été rangé aux archives et s'y plongea avec intérêt. Il contenait des enregistrements des déclarations des forces de l'ordre, des copies d'articles de journaux, des extraits d'émission télévisuelles. Cette masse d'information était, comme chaque fois, en partie contradictoires et Anne s'attacha d'abord à relever les constantes entre les différents articles, afin de ne garder que les faits avérés. Elle nota cependant les éléments discordants qu'elle put trouver afin de voir lesquels d'entre eux pourraient confirmer ou infirmer l'idée qu'elle pourrait se faire de cette affaire. A priori l'affaire AZF semblait relativement simple quoique rocambolesque.
Joli début, c'est agréable de voir un journaliste faire son travail, enquêter ! ;) je continue :)
· Il y a environ 8 ans ·carouille
Merci Carouille -
· Il y a environ 8 ans ·campaspe