Anne, Suzy et le loup - partie IV
campaspe
Dans le métro ce soir là, Anne remarqua un net changement : les rames étaient beaucoup moins bondées que d'habitude. Elle avait déjà observé une première décroissance du flux de passager en début du mois de Juillet, quand, les examens étant terminés, la plupart des étudiants quittaient la métropole Toulousaine. Elle observait maintenant une nouvelle diminution du nombre de passagers. Beaucoup de toulousains avaient du partir en vacances.
Elle observa cependant que la diminution de début juillet était plus importante que celle de mi-juillet. Pouvait-on en déduire que les étudiants représentaient la majorité des passagers transportés ? Elle se dit que contrairement à la population salariée, beaucoup d'entre eux n'étaient pas équipés de voitures et que les transports collectifs devaient représenter pour la majorité l'unique moyen de déplacement. D'ailleurs, elle avait déjà remarqué cette décroissance du nombre des passagers en janvier au moment des révisions pour les partiels. Beaucoup d'étudiants restaient dans ces périodes là chez leurs parents où ils pouvaient profiter d'un confort de vie supérieur loin des tentations de la vie étudiante.
Anne passa une soirée calme devant la télé. Vers 22 heures ses parents téléphonèrent, lui demandant si le journal lui avait fait des propositions d'embauche précises et si elle avait des projets pour le lendemain 14 juillet. Anne répondit par la négative à la première question, raconta sa sortie prévue le lendemain. Ils discutèrent encore quelques instants de lieux communs et les parents d'Anne lui firent part de leurs projets de vacances.
En raccrochant, Anne soupira. Elle était décidément la seule à encore travailler dans ce fichu pays, se dit-elle, se rappelant le métro désert.
Un moment elle eut l'impression que cette remarque revêtait une importance particulière. Mais elle ne parvint pas à préciser cette pensée fugitive.
Le lendemain, Anne se réveilla tôt et fort excitée. Elle venait de faire le lien entre le calendrier des envois des lettres de AZF et la remarque qui l'avait occupée avant de s'endormir. Un élément lui sauta aux yeux : le groupe n'avait pas donné signe de vie pendant la quasi-totalité du mois de janvier, la période qui correspondait justement au premier des deux creux d'affluence du métro.
Se pouvait-il que les terroristes n'aient pas donné de leur nouvelles pendant la plus grande partie du mois de janvier simplement parce qu'ils étaient en période d'examen ?
Anne observa toute l'affaire à la lumière de ce nouvel élément, et remarqua que dans les formations techniques de relativement haut niveau (disons bac+ 3 ou bac+4), la période suivant les partiels est souvent consacrée à un long stage en entreprise, ce qui cadrait fort bien avec une relative disponibilité du groupe.
Ces stages n'étaient en général pas très fatigants – d'ailleurs dans la lettre n° 3 le groupe n'avait il pas dit qu'il allait s'offrir « de longues vacances bien méritées » ? - Ils expliquaient aussi la possible « dispersion géographique » des membres du groupe.
De plus, si on imaginait que les terroristes étaient effectivement originaires de villes qui pouvaient être très éloignées de Toulouse, ils devaient suivre une formation assez pointue : Il est rare que des étudiants originaires de Roubaix viennent étudier à Toulouse s'ils peuvent suivre dans leur ville une formation équivalente !
Anne relut ses notes, et la dernière lettre la fit sourire :
« Fort de l'expérience acquise ces dernières semaines et désormais conscient de ses faiblesses technologiques, logistiques et autres, AZF suspend son action durant le temps nécessaire pour y remédier. »
Cette phrase ressemblait décidément assez aux excuses que trouvaient certains de ses amis de l'école de journalisme lorsque le prof leur faisait des remontrances pour n'avoir pas assez travaillé et qu'ils essayaient de gagner la sympathie de se dernier en disant qu'ils allaient faire des efforts ! Si le groupe AZF était aussi velléitaire que ses amis potaches, il y avait peu de chances qu'on entende jamais reparler de lui. Dans ce cas, la seconde affaire était effectivement à mettre à l'actif d'un groupe différent !
Oubliant que ce jour était férié, Anne se hâta de se rendre au journal qui bénéficiait d'un système de recherche d'information plus sophistiqué que la connexion Internet dont elle disposait chez elle.
Les informations qu'elle trouva recoupaient ses intuitions : les principales formations techniques pointues qui se terminaient par un stage long débutant début février étaient les IUP et les DESS. Anne paria avec elle-même pour des étudiants en IUP –filière d'ingéniorat propre à l'Université – les étudiants des formations de troisième cycle étant en général trop absorbés par la recherche d'un débouché en fin d'étude pour s'amuser à ces petits jeux.
Il restait à Anne à préciser le profil psychologique des quatre personnages. Elle mâchonna son stylo, consciente du fait que, si les déductions qu'elle avait faites jusque là étaient très aléatoires, celles qu'elle ferait maintenant tenaient d'avantage encore de la divination. Mais ce petit jeu l'amusait de plus en plus.
La jeune femme lui sembla la plus facile à décrire : volontaire, revendicatrice, un gros ego, plutôt autoritaire, rebelle romantique, peut être un peu suicidaire et sans doute assez jolie pour que les trois garçons aient eu envie de la suivre dans cette aventure. Peut-être blonde, à moins qu'elle ait porté une perruque. Elle était sans doute à l'origine du choix du personnage de Camille Claudel dans le dernier message, et Anne pensa qu'elle s'était peut être un peu inconsciemment identifiée à cette héroïne excessive et condamnée à rester dans l'ombre d'un homme brillant. Elle devait provenir d'un milieu socioculturel plutôt aisé, peut-être avec un père très présent, d'une de ces familles dans lesquelles les filles doivent prouver qu'elles savent tout faire au moins aussi bien qu'un homme. D'ailleurs la jeune fille avait choisi une formation technique, choix traditionnellement plutôt masculin. Anne se dit qu'elle avait sans doute été l'instigatrice de cette idée, et que, voyant que ses copains la suivaient, elle n'avait pas voulu, elle non plus, se « dégonfler ». Elle avait du quand même se sentir plutôt piégée, car elle était suffisamment intelligente pour se douter qu'elle risquait sa vie dans une telle aventure. Anne s'amusa à l'évoquer quelques instants en train de revendiquer des points supplémentaires dans un examen, choses qu'elle-même n'aurait sans doute jamais osé faire. Heureusement elle n'en avait jamais eu besoin.
Le second élément moteur du groupe était d'après elle celui qui se disait « le porte parole du groupe AZF ». C'est lui qui devait être « le cerveau » de l'affaire, et il s'était octroyé d'entrée ce titre de porte-parole. Il était sans doute à l'origine de la formulation des passages primesautiers des lettres : « notre aimable artificier a imaginé et réalisé une série de bombes » ou encore « au revoir et sans rancune »…un esprit amoral, indépendant « La publicité ne nous gêne guère mais n'intéresse personne », un garçon certainement assez brillant mais trop sûr de lui et qui devait avoir l'impression qu'il n'était pas jugé à sa vraie valeur, que le système ne le respectait pas en tant qu'individu. Anne imaginait très bien ce même garçon se plaindre du « côté réducteur de l'enseignement ». C'était lui aussi qui avait sans doute proposé les personnages de Suzy et le Loup : leur petite équipe sous les traits d'un grand méchant loup, l'Etat Français sous les traits d'une jeune fille sexy… Il n'échappa pas à Anne que « Suzy » avait la même première lettre et la même dernière lettre que « Sarkozy »…encore un pied de nez ! Sans doute, pour un tel individu, renoncer au plan qui prouvait son génie devait être assez difficile : Anne sourit : la dernière lettre, et notamment le fameux « désormais conscient de ses faiblesses technologiques, logistiques et autres » avait du lui coûter ! Il semblait être mauvais perdant «Comprenez donc bien que nous n'entendons nullement renoncer à obtenir la somme qui nous est nécessaire ».
A leurs cotés se trouvait un camarade sans doute bien moins téméraire qu'eux. Anne se demandait si ce n'était pas ce personnage qui était « l'aimable artificier ». Il devait être plus méticuleux et réfléchi, avec sans doute une formation plus technique. Anne imaginait très bien ce personnage en train de confectionner lui même les pièces nécessaires à l'engin explosif. Il devait être aussi assez influençable. Il ne se serait jamais lancé seul dans une telle aventure, Anne le voyait assez bien amoureux de la jeune femme blonde, du genre amoureux transi, et ne voulant pas avoir l'air d'un lâche à ses yeux. C'était sans doute ce même personnage qui accompagnait cette dernière lors du premier coup de fil. Il devait être mort de peur, mais n'avait pas voulu laisser la jeune femme seule dans ce qu'il imaginait bien être une situation périlleuse et c'était probablement lui aussi qui l'avait accompagnée à Montargis. Anne voyait aussi fort bien ce garçon faire en sorte que l'ordre de décollage soit donné tard, détail qui avait fait capoter la remise de la rançon. Elle se demanda si inconsciemment le jeune homme n'avait pas souhaité que l'opération échoue. Après tout, sa réussite faisait d'eux des fugitifs ! Le troisième membre du groupe devait être relativement bien intégré dans la société et ne souhaitait peut être pas en arriver là.
Seul le quatrième personnage restait pour le moment dans l'ombre.
Un ultime détail lui revint à l'esprit : dans la première version la rançon devait être répartie de façon égale dans deux sacs. Et si c'était simplement parce que l'équipe était constituée de deux couples ?
Ce n'est que vers 10 heures qu'Anne fut frappée par le calme qui régnait toujours dans les locaux du journal et qu'elle réalisa que le jour était férié. Elle rentra chez elle.
Wouahhh, profiler maintenant ! ^:) bon, je m'éclate comme devant une série, je passe à l'épisode suivant :)
· Il y a environ 8 ans ·carouille
Merci beaucoup.
· Il y a environ 8 ans ·campaspe