Anti-sceptiques (part. 1)

Ivan Caullychurn

Heu... comment dire...

Le plombier

Dès qu'il arrive quelque chose, certaines personnes se pressent pour prier de ne pas généraliser. Ces mêmes énergumènes qui viennent vous sermonner de ne pas faire d'un cas particulier que vous venez de subir une vérité universelle. D'accord. Sauf que là désolé mais ces connards de plombier vont en prendre pour leur grade universel.

C'était un joli matin du mois d'avril, je flânais sur toute la largeur de mon canapé, profitant de mon inactivité professionnelle pour contempler chaque heure qui passe. Dans ce silence désiré et apprécié, un bruit attire mon attention jusque-là dirigée vers mon plafond blanc. Si nous étions dans une bande dessinée, j'aurais inscrit dans la bulle « plic ploc ». Ici comme nous sommes dans une nouvelle, je vais écrire que le bruit en question faisait « plic ploc ». Oui, « plic ploc », car aucune règle orthotypographique ne vient m'interdire l'emploi de cette onomatopée. Plic ploc donc, comme le bruit qu'émettent les deux gouttes d'eau et toutes leurs sœurs jumelles qui s'abattent sur le carrelage de ma salle de bain. Pas vraiment inquiet, seulement froissé qu'un événement dérange ma quiétude, je me lève (oui je précise car dans ce contexte de sieste corse me lever est une action suffisamment brutale pour ne pas être éludée) et me dirige vers le plic ploc en question pour arriver agenouillé près de mes toilettes. Le maudit tuyau sous la chasse d'eau est devenu incontinent. N'ayant aucune connaissance technique en plomberie, exceptée la liste lexicale suivante : « joint et passe-moi la clé de 12 steuplaît », et la fuite ayant déjà trempé trois torchons en moins de dix minutes, je décide de consulter les Pages Jaunes pour trouver un plombier. J'opte pour celui dont l'adresse jouxte la mienne. Je prépare le règlement en sortant deux billets de vingt euros de mon portefeuille, cela devrait suffire amplement me dis-je… naïvement oui je sais, naïvement. Ce n'est pas la peine de remuer le couteau dans la plaie qui n'est pas encore ouverte à cet instant du récit.
Une demi-heure plus tard, la sonnerie retentit et un plombier en jean et veste de qualité se présente. Il entre et je le dirige vers le lieu du crime. Dix-sept secondes lui suffisent pour me dire, les yeux dans les poches, trois chiffres : 8, 6 et 7 ; qui, assemblés, font un surprenant 867 euros. Pas le temps de dire « oui, non, mais, pourquoi, comment » que le plombier (remarquez que je n'ai pas encore employé le mot connard pour qualifier ce gros con) sort son bloc-factures et rédige un devis, détaillant chaque étape de l'addition menant au résultat précité. Déplacement : 110 euros. Bah oui, 110 euros c'est complètement légitime, on est en semaine, en pleine journée, le mec tu l'appelles, c'est normal qu'il te fasse payer 110 euros. C'est-à-dire qu'à partir du moment où il a franchi le seuil de ta porte, ton compte est débité de 110 euros alors qu'il n'a encore strictement rien fait. Ensuite le diagnostic : 85 euros. Rien de plus normal. Le mec vous lui demandez de faire son travail, attends… 85 euros pour bénéficier de son impressionnante liste de qualités, c'est presque donné. Continuons avec le remplacement du tuyau : 225 euros. Rien de plus honnête, un tuyau en étain, super solide, super endurant, super fiable, que dans cinquante ans vous vous rappellerez encore ce jour fabuleux où vous avez pris la bonne décision de changer pour ce tuyau en étain. Finissons avec la soudure et la main-d'œuvre : 447 euros. Mais ouiiiiii, naturellement, je signe tout de suite, les yeux fermés, tu ne viens pas du tout DE ME PRENDRE POUR UN CON en m'entubant de la sorte. 447 euros pour que tu découpes et soudes un tuyau… connard !
Contraint de signer le devis, j'exprime néanmoins ostentatoirement mon dépit. Le plombier, pris dans un élan de bonté soudain, endosse le costume de père et me réconforte en affirmant que mon assurance prendra tout en charge ; qu'il est même prêt à modifier son devis pour éviter que j'ai à subir la franchise. Bon, si l'assurance couvre tous les frais, il ne sert à rien de me lamenter plus longtemps et que cette affaire me mine davantage. Un autre plombier, le soudeur, arrive et commence les travaux. Voilà, dans dix minutes, toute cette histoire sera terminée et vieux souvenir. Un cri d'étonnement de mon second plombier ranime mon inquiétude. Il m'explique, le jean taille basse dévoilant la raie de ses fesses, que mes tuyaux alentours sont pourris car pas en étain, qu'ils pètent à la moindre intervention et que des fuites apparaissent un peu partout et bordel tu serais pas toi aussi comme ton pote en train DE ME PRENDRE POUR UN CON ?
Le premier plombier jette un œil, sort un « houlala » bien prémédité, déchire le devis, en rédige un second et pointe de son stylo le nouveau montant : 1,7,5,7 ; qui assemblés font 1757 euros. Mes jambes flagellent, les battements de mon cœur retentissent dans toute la pièce, mon corps est présent mais mon esprit s'est enfui. Certains auraient pleuré, moi mes larmes ont coulé à l'intérieur. Enterré encore plus profondément après l'annonce du juste prix, je m'enfonce dans un désarroi que mon premier plombier, avec la même excuse de la prise en charge de l'assurance, tente d'adoucir. Les assurances, me réconforte-t-il, remboursent à hauteur de 1800 euros. 1800 ? 1800 me dites-vous ? Comme c'est bizarre, c'est quasiment la somme que vous me demandez pour réparer un tuyau connard. Il prend l'empreinte de ma carte bleue en précisant explicitement qu'il ne débitera mon compte qu'une fois le remboursement de l'assurance reçu. Je le remercie avec une pointe, de la taille d'un menhir, d'amertume car j'ai la certitude que je viens de me faire rouler comme jamais. Deux jours plus tard, mon banquier m'appelle un peu affolé pour m'avertir d'un découvert de plus de mille euros. Vive la France, les plombiers et l'honnêteté.

  • Bravo, très bien écrit, très drôle. Mais j'avoue que je suis un peu mal à l'aise de rire de ton infortune. On ne peut vraiment pas contester une telle arnaque après coup ?

    · Il y a environ 10 ans ·
    Temp%c3%aate fond ocre 04 recouvert rogn%c3%a9 encadr%c3%a9

    tadamok

    • Riez, riez ! Ne vous empêchez pas ! Je les ai poursuivis mais sans succès malheureusement pour moi.

      · Il y a environ 10 ans ·
      N651408269 1831118 4989555

      Ivan Caullychurn

  • J'ai une fuite chez moi.. j'crois que j'vais déménager direct.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • C'est le seul conseil que je te donnerais effectivement !

      · Il y a environ 10 ans ·
      N651408269 1831118 4989555

      Ivan Caullychurn

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