Anticyclone des Acerbes

Robert Arnaud Gauvain

Anticyclone des Acerbes

 

Comme c’est bon de traîner chez soi, comme c’ est agréable d’ être libéré des chaînes de l’exploitation… Je jouis de ce repos rémunéré avec épicurisme car j’en connais la valeur, elle ne se reproduira pas de sitôt, soyons réaliste. Encore que ma seule chance de tirer un peu plus sur la corde à l’issue de ces semaines bénites est de me conformer aux recommandations appuyées de mon médecin.         En effet, je dois le revoir juste à la fin des vacances, la veille de la reprise pour vérifier que ma situation évolue favorablement, il subsiste donc un faible espoir de jouer les prolongations, mais la partie sera très difficile à négocier, alors je préfère ne pas me faire d’illusion ; même si tout au fond de moi, j’entretiens une légère flamme de la résistance française qui ne doit pas  s’éteindre, tu penses.

            Pour cela, il faut suivre ses indications à la lettre, faire montre d’une attitude volontaire afin de faire accroire qu’on y met du sien, qu’on aimerait bien guérir…

            Donc me voilà, deux fois par semaine, chez le docteur Psytruc, ce gentil thérapeute qui m’ accueille toujours avec un mélange de bienveillant paternalisme et d’intérêt poli pour mes élucubrations.     Ca faisait longtemps que l’ étau se resserrait, des années que les carabins me le conseillaient et la dernière fois, j’ai compris que c’ était presque un ordre, une obligation tacite pour mériter ces trois semaines : je cédai aux sirènes psychanalytiques. Je me serais bien vu débitant mes états d’ âmes à une professionnelle prêtant une oreille attentive aux magouilles de mon clan mafieux, mais ni moi ni lui ne sommes de cette trempe. Etant donné la platitude habituelle de nos rapports, j’ai parfois l’impression que me confier à ma chère boulangère volubile entre la poire et le pain complet m’apporterait autant de satisfaction psychologique. Et chaque séance, même non remboursée par ma mutuelle, ne me coûterait qu’ un bâtard et un pain au chocolat, bien en deçà du tiers-payant...

            Oh, je ne lui reproche rien - pour l' instant - le docteur Psytruc ne me fait pas spécialement plus perdre mon temps que tous les autres fâcheux qui encombrent mon existence, on converse d’un ton neutre et badin, certaines de ses questions et réflexions s’ avèrent même assez pertinentes, je suis un élève assidu qui peut mieux faire mais qui a fait des progrès. Mais où cela me mène-t-il ? Le sait-il d’ailleurs ? Je lui demanderais si je ne craignais pas de froisser celui par qui ma convalescence peut perdurer…

Si je me laissais aller à la sincérité, je lui débiterais tout de go : Ecoutez doc, moi je viens ici uniquement pour prolonger mon arrêt maladie. Me confier à vous, j’ai pas envie alors je raconte que des mensonges et des platitudes. Je suis pas tout fou dans ma tête, j’ai pas de névrose, je suis un excellent Français, qui marche au pas en pensant que la sécurité sociale, c’est encore le meilleur système ici-bas, et tout ce que je veux, c’est qu’on me foute une bonne fois la paix. Mais je suis à la fois lâche et paresseux.

            Donc, je m’astreins à ces visites bihebdomadaires, destinées à éclaircir mon ciel qui, d’après certains s’est grandement assombri, de gros nuages noirs s’amoncelant au dessus de ma tête, je sais, métaphore facile. Pour parer à cette dépression ( notez la subtile transition ) venue du froid, rien de tel qu’un puissant anticyclone diplômé de la faculté de médecine d’une région gorgée de soleil.

            Cependant à ce stade, je ne vois pas en quoi ces séances possèdent des vertus propres à guérir cette sinistrose dans laquelle on m’enferme bien malgré moi contre ma volonté vu que j’en ai pas envie ? Quitte à se plonger avec délectation dans la contemplative conscience de son propre malheur, je préfèrerais passer à l’action, canaliser cette énergie destructrice, non sur moi-même mais l’utiliser à des fins plus gratifiantes en débarrassant mon espace vital, la ville, la France et la Terre par la même occasion d’une tripotée de pénibles. L’ anéantissement de ces nuisibles n’ aurait que peu d’ incidence sur l’existence de sept milliards de terriens, si ce n’est un air un petit moins pollué par leur déjections matérielles de toutes natures répugnantes. Leur disparition opportune aiderait sans doute à réduire la fracture sociale, le déficit du commerce extérieur et les montants compensatoires de la politique agricole commune, tous ces sujets pour les grands garçons en costumes du dimanche pour faire sérieux ou pire en jean’s pour faire peuple.

            Aujourd’hui le bon docteur Psytruc, plus entreprenant qu’ à son habitude, tente de me pousser –je l’ai bien senti- sinon dans mes derniers, au moins mes antépénultièmes retranchements, en acquiescant sans piper mot, d’un simple hochement de tête, aux torrents de fiel que j’ai répandus sur la race humaine. En se contentant de prendre un air captivé par mon glacial mépris pour les Autres, me poussant d’un froncement de sourcil à aller de l’ avant dans l’ exploration de ma conception toute particulière de la fraternité, il alimente gentiment mon soudain appétit pour la confession. Bien que j’ai vu clair dans son jeu, je me décide facilement à me faire un peu plaisir et nos propos, enfin surtout les miens, amorcent une lente dérive haineuse qui selon son analyse trouve sa source dans le conflit entre mon moi et mon surmoi.

            En digressant, je porte à votre attention que je serais ravi qu’il me les présente, afin de tenter de les rabibocher, ces deux-là. Une bonne engueulade générique de cour d’école, du type de celles que j’administre aux nains récriminants et procéduriers de toutes sortes qui se pressent au bureau des pleurs pour me tirer de ma somnolence pendant la récréation. Ces plaideurs espèrent que je vais gérer avec pédagogie leur problème relationnel bilatéral, ignorant que celui-ci désormais n’est que broutille au regard du tout nouveau danger immédiat, bien plus dramatique, bien plus lourd de conséquences pour leur intégrité morale ou physique, qui vient de surgir dans leur existence : m’avoir dérangé en me narrant dans un style très approximatif et logorrhéique le récit de leurs aventures épiques ou leurs grandes sagas du ymadiungrosmot ou ymadonnéunebaffe. Chaque fois que ces petits animaux gesticulants osent se présenter à moi et viennent vitupérer, c’est le réveil de Raminagrobis qui les met tous d’ accord. Comme pour ces gêneurs, mon moi et mon surmoi se verraient appliquer une bonne soufflante à chacun, cela suffirait peut-être à calmer leurs accès de jalousie l’un envers l’autre.

            J’ai souri intérieurement parce que je ne sais pas sourire physiquement, moins après quand je me suis lancé. Malgré tout, comme il a du en entendre d’autres et des bien plus terrifiantes, il n’a jusqu’ ici opposé que de faibles contestations à mes paroles, ce qui m’ a convaincu, qu’ayant connu pire, il ne s’offusquerait pas d’entrevoir une partie de ma philosophie sociale qui emprunte autant à Montaigne que la sagesse populaire emprunte à Socrate. Une fois engagé sur cette pente glissante, je lui déballe en exclusivité mondiale ma conception scientifique de l’ homme en tant que créature organique très surestimée, je me fais alors l’impression d’être une bicyclette déboulant dans une descente : Passés les premiers tours de pédales, je déroule en roues libres et dévale le fil de mes pensées. Vite, trop vite, car je ne peux pas m’ arrêter, je crains de le regretter lors du sprint final qui verra le docteur conclure mon échappée sur une de ces interrogations existentielles dont il maîtrise l’art consommé.

            Mais est-ce vraiment ma faute si la fourmilière gallo-romaine de mes soi-disant compatriotes ( J’ y reviens dans onze mots ), cette termitière franco-franchiasse ne m’inspire que dégoût, mépris et indifférence agressive ?

            ( Ca y est j' y suis ) La France d’ aujourd’hui, telle qu’elle est devenue, je le répète, ce n’est pas Ma France à Moi. Je ne suis pas raciste, je ne demande pas que la France soit aux Français, juste qu’elle cesse d’appartenir aux cons. Et la connerie n’est pas une race, malheureusement, ce serait trop simple. La vision et les valeurs transmises par les édiles qui font cette France-là me font non seulement me sentir un étranger, mais même revendiquer le droit de l’ être pour sauver mon honneur et mon estime de soi. Ces Français qui composent cette France Terre Etrangère, je n’ai pas envie de les côtoyer, de communiquer avec eux, encore moins de payer des impôts pour leurs hôpitaux, leurs écoles, leurs crèches ou leurs routes : je n’ai aucune satisfaction civique à savoir que le maigre pécule que j’épargne est annuellement prélevé par l’ état pour relier Bourg-en-Beaufs à Villecrétins. Je hais la France qui se résigne, la France téléphage, la France qui ne lit pas, la France qui ignore avec rigolade voire avec fierté, la France qui affecte de mépriser la culture parce qu' elle est trop conne pour s' y intéresser, la France qui ne combat pas, la France qui travaille plus pour réfléchir moins .

Tu sais brave petit, ta France qui se lève tôt, elle est née dans une ville thermale. Pire, elle y est enracinée, pour qui sait lire la géographie en diagonale et l' histoire entre les lignes. Si elle m’est à ce point indigeste, c’est parce que c' est de l’eau gazeuse, forcément, vu l' endroit où elle prend sa source. Elle pétille en apparence, attirant les sots ou les simplets, mais si on est assez stupide pour l' avaler, elle donne des flatulences qui éliminent par de petits vents discrets et silencieux tous les droits acquis. La digestion suivant le chemin des boyaux, arrivent alors les gros pets foireux et bruyants qui expulsent tous nos derniers remparts contre la barbarie économique. C ' est à ce moment-là, quand l' intestin du corps social se contracte en spasmes de plus en plus douloureux, les gaz déchaînés explosant de manière incontrôlable en de sonores détonations à l' humidité alarmante et la propreté douteuse, que l' idiot qui a gobé cette liqueur assassine comprend qu' il n' a pas fini d' en chier et que cette fois il va vraiment être dans la merde.

            Bref, ta France, votre France, messieurs, je ne la bois ni ne l ’avale. Je la dégueule parce que si j’attends de la déféquer, elle m’aura déjà infecté le temps du transit.

            Ta France, la seule matière à réflexion qu' elle donne, c' est la fécale.

            ( Là normalement, mon goût pour les belles lettres revendiqué prétentieusement exigerait que je citasse quelques beaux textes de la langue française, pour rétablir l' équilibre en faveur de la poésie après tout cet étalage de vulgarité... )

            Psytruc me dévisage, de ses yeux dont la divine étincelle est partie, surpris sans doute que je me sois laissé aller à peindre la France en mère affligée, lui dévoilant ainsi ma petite grande âme. Comprend-il seulement que même si aujourd' hui, j' ai franchi un cap, que dis-je une péninsule, avant qu' un tel flot de sincérité ne jaillisse à nouveau, longtemps il devra se lever de bonne heure ? ( Bon, mission littéraire accomplie, cinq sur cinq. )

            … Puis dans un second temps, en réponse à ma longue colère, à ce chapelet de basse méchanceté déversé contre ma patrie, le bon docteur Psytruc ferme lentement les yeux, inspire profondément et reste bloqué dans cette posture. Il retient sa respiration… et rien ne vient.

            Le temps suspend son vol et j ’attends du coup en retenant aussi mon diaphragme, dans l’attente de son probe verdict… et toujours rien.

            Il est là, la poitrine gonflée, le souffle coupé, les paupières closes, perdu en lui-même telle une statue d’un sage antique... A un moment, je crois qu’il s’ est endormi. Ou qu’il s’entraîne pour sa reconversion à Acapulco comme plongeur pêcheur de perles.

            Et puis d’un seul coup, il rouvre les yeux, expire lentement, prend un superbe visage respirant (enfin !) l’ intelligence, une expression profonde et intellectuelle très réussie, il faut lui reconnaître (dix ans d’études pour obtenir ce faciès quand même, c’est pas rien), et alors que la tension est à son comble et que je m’agite sur le fauteuil, mon âme dans l’ attente insupportable de sa parole libératoire, capable de me délivrer de la rage que j' éprouve envers ce qui fut mon pays, il me lâche lentement, me foudroyant de son regard intense et pénétrant :

« - Avez-vous penser à déménager à l’ étranger ? »

Franchement, ce gars-là, c’est un cador.

  • J'ignore si je devais rire mais... je l'ai fait. Pardon pour les coeurs, je voulais en mettre 5 mais ma souris, cette coquine, a glissé ;) Vive les psys !!! Sont drôles parfois. Surtout que vivre à l'étranger n'aide absolument pas à voir les français de façon positive et ce, en beaucoup de domaines :)) J'aime toujours autant vos textes fort bien écrits Mister Gauvain.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

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