Après la pluie

Isabelle Spiesser

En dénichant un meuble sur un site de ventes, une femme va retracer une partie de son histoire.

J'aime les objets qui ont vécu. Contribuer à leur donner une seconde ou une énième vie - après tout on ne sait dans combien de demeures ils ont séjourné - satisfait ma position d'anticonsumériste et ravit mon portefeuille. Un tas d'objets se retrouvent ainsi photographiés et mis en vente sur des sites de vente entre particuliers. On y trouve presque tout ce que l'on cherche à des prix auxquels aucun marchand ne pourrait faire concurrence et cette forme de commerce parallèle contente autant le client que le vendeur. C'est un nouvel état d'esprit qui surgit depuis quelques années : une forme de partage et d'échange qui évite le gaspillage et ravit les intervenants.

Je n'aurais jamais imaginé que mon gout pour cette nouvelle façon d'acheter dépasse le simple fait de me féliciter de faire une bonne affaire.

A chaque coin de vie peut surgir l'inattendu.

Je cherchais pour ma fille qui, en bonne héritière de sa mère s'adonne aux travaux d'aiguilles, une travailleuse sur pied. Ce style de petit meuble me semblait idéal pour remplacer les boites à chaussures où elle entassait ses accessoires de couture et de broderie et ses compartiments bien pratiques lui permettraient de classer tout son petit bazar.

Quelques offres correspondaient à l'objet de mes convoitises sur le site phare de cette nouvelle tendance. Une fois éliminées celles qui ne rentraient pas dans mes critères de sélection et dont le prix dépassait mon budget, j'adressai un mail à LOL. Le pseudo de cette vendeuse occasionnelle ne pouvait qu'être de bon augure, ne puis je m'empêcher de penser.

Sa réponse atterrit par retour dans ma boite de réception pour convenir d'un rendez vous dans la soirée. J'étais disponible puisque j'avais décidé de m'octroyer quelques jours de trêve dans mon emploi du temps de free lance, afin de me consacrer à quelques aménagements dans mon appartement parisien.

Avoir déniché aussi facilement le cadeau qui emballerait la jeune maman de mon adorable petit fils suffit à égayer cette courte journée de novembre, pluvieuse et avare en lumière. J'enfilai mes bottes en caoutchouc avec entrain et attrapai mon vieux ciré  jaune passé, prête à affronter les trombes qui déferlaient sur la capitale. Trottant sur le bitume qui scintillait sous les phares, au milieu des parapluies qui s'entrechoquaient et des trenchs mouillés, je dénotais assurément. Mais au moins j'étais à l'abri, moi, dans mon accoutrement de marin breton parfaitement imperméable. Les flaques que j'évitais à grandes enjambées reflétaient la teinte de mon humeur : les couleurs pétantes des enseignes lumineuses dansaient au gré des gouttes et des pas qui s'y perdaient. La ville brillait dans une fanfare de klaxons et de ronronnements de moteur.

C'était joli la pluie dans Paris.

Je chantonnais gaiement ce refrain d'Anne sylvestre, La pluie fait plic ploc… , alors que mes congénères maugréaient après les mauvaises prédictions de madame méteo. J'étais dans un bon jour. Râler contre les aléas de la nature – parlez-en donc aux habitants d'autres contrées qui prient pour voir le ciel s'assombrir ! –  n'embellirait pas ma journée. Je préférais chanter sous la pluie plutôt que ronchonner parce qu'elle trempait la chaussée. C'est fou comme la façon dont on appréhende les choses change totalement la vision qu'on s'en fait et influe sur notre environnement. Je ferais bien d'y penser tous les jours, ça rend la vie tellement plus agréable ! Mettre de coté les préoccupations qui finiront par trouver solution et s'attarder un peu plus sur les petits bonheurs simples qui transforment le quotidien, ce n'est pas si compliqué.

C'est dans ce genre de journée positive que se produisent un tas de petits épisodes sympas. Un jeune garçon qui vous laisse sa place dans le métro, un sourire de quelqu'un qui vous tient une porte, quelques mots échangés sympathiquement au hasard d'un croisement furtif…

Je ne fus tout de même pas fâchée de n'avoir que quelques mètres à faire en sortant du métro pour arriver au 63 passage du rouet : les grosses gouttes s'abattaient sur mes verres progressifs et réduisaient considérablement mon acuité visuelle. L'adresse avait réveillé mes fossettes quand j'en avais pris note : mon année de naissance dans un ancien quartier de fileuses ! Ce lieu, ne pouvait que prédestiner la couturière que j'étais à une bonne affaire.

J'aime bien les coucous de l'invisible, ils me rendent encore plus vivante.

Derrière la porte cochère, une enfilade de petits immeubles en arc de cercle se dressait au fond d'une cour pavée. Quelques arbres en pots cachés dans des caissons de bois agrémentaient cet espace clos où ne résonnait que le bruit de l'eau qui tombait sans discontinuer. Le brouhaha de la ville était à peine perceptible. Ce calme soudain exacerbait le charme de ce joli décor.

Mme LOL, prise par un contretemps, m'avait prévenu que ce serait son ami qui me recevrait. Je ne pus m'empêcher  de penser que c'était un signe du destin et que le coup de foudre dont je rêvais se trouverait peut être derrière la porte à laquelle je venais de sonner. Les grandes histoires commencent bien souvent par des coups du hasard… J'attendis sur le palier, impatiente de découvrir l'homme qui allait m'ouvrir.

A vue de nez, il devait avoir une petite quarantaine d'années. Sa peau métissée qui contrastait harmonieusement avec une barbe de quelques jours blanchissante, ses yeux aux couleurs de la mer des Caraïbes, et sa taille imposante – il devait bien faire un mètre quatre-vingt-dix –, me firent un effet particulier. C'était un très bel homme mais au-delà de cette beauté, je fus happée par une mystérieuse sensation. Quelque chose de puissant émanait de l'être que j'avais en face de moi, sans que je fusse capable de l'analyser ensuite sur le chemin du retour.

L'objet que j'étais venu chercher trônait entre nous deux dans le vestibule de l'appartement. La conversation s'engagea avec une aisance incroyable. C'était plus que de la simple courtoisie, une vraie sympathie s'installa aussitôt. Les mots coulèrent si naturellement que de l'utilité d'une travailleuse, nous étions vite passé au plaisir de la création et en une dizaine de minutes, chacun connaissait la passion de l'autre dans l'exercice de son métier. Il dirigeait une compagnie théâtrale en province et me confia qu'il profitait de son séjour à Paris pour faire la tournée des friperies. Son budget ne lui permettant pas de s'offrir les services d'une costumière, il devait lui-même s'occuper de la garde robe des comédiens pour sa prochaine création. J'étais ravie de pouvoir lui fournir quelques-unes de mes bonnes adresses, mon goût pour les occases s'étendant aussi au domaine vestimentaire. De fil en aiguille, si j'ose dire, nous nous étions installés au salon afin que je lui note les renseignements utiles. L'atmosphère décontractée me fit accepter le café qu'il me proposa. Il n'y avait, curieusement, rien d'équivoque dans nos attitudes, nous étions juste contents de cette rencontre opportune et sympathique qui méritait bien quelques biscuits, avait-il affirmé en posant une boîte de macarons sur la table.

Nous avons passé ainsi presque une heure à papoter comme de vieux camarades ! Au moment de partir, j'en avais presque oublié la raison première de ma venue. Je sortis la somme convenue avec Mme LOL de mon porte monnaie, qu'il empocha furtivement presque gêné. Nous nous saluâmes poliment, nous félicitant de cette belle entrevue. Sans émettre l'éventualité  de se revoir, chacun souhaita à l'autre une bonne soirée.

Je me retrouvai descendant la rue agitée pour rejoindre la bouche de métro, le cadeau pour ma fille dans les bras, hypnotisée par le moment que je venais de vivre. J'étais en proie à de drôles de sentiments. Cet épisode inattendu m'avait enchantée et en même temps provoqué une certaine frustration. Il me semblait étrange que ce drôle de rendez-vous ne puisse avoir de suite ! Je tentai de me raisonner en me focalisant sur l'instant agréable que nous avions passé et qui ne resterait vraisemblablement qu'une heureuse rencontre, ce n'était déjà pas si mal ! J'aurais pu tomber sur un abominable pervers que j'aurais craint au premier regard ou une femme acariâtre, soucieuse avant tout de  débarrasser sa cave ! De quoi pouvais je me plaindre, finalement ? « De rien, ma fille, de rien, criait mon Gimini dans mon for intérieur ! Tu veux toujours la lune, sache te contenter des étoiles… ».  Il avait raison, mon petit personnage imaginaire, mieux valait se contenter de ce petit moment convivial  que de spéculer sur le miracle, beaucoup plus rare, vous en conviendrez !

Satisfaite – je l'étais tout compte fait– et une fois rentrée chez moi, je repris l'ouvrage que j'avais en cours, une nappe que je brodais pour offrir en cadeau de mariage à ma cousine. J'aimais confectionner moi-même les cadeaux pour mes proches.

 Mon regard se posait sur la travailleuse chaque fois que je levais les yeux. Je l'avais laissée au beau milieu de mon salon en attendant de la nettoyer, comme si je voulais en profiter un peu avant de m'en séparer. Plus je la regardais, moins elle me laissait indifférente. La sensation était étrange. Il me semblait que ma mère avait détenu, jadis, ce genre de petit meuble mais ce n'était qu'un vague souvenir. Dommage qu'elle ne l'ait pas conservé, sa petite fille eut été ravie de se l'approprier.

v   

Rémy avait relaté à Léa l'ambiance dans laquelle il avait conclu la vente et l'avait remerciée de s'être chargée de déposer sur le site les vestiges qui encombraient son grenier. C'était une vraie bonne idée. Cette première expérience était positive et il espérait que le reste de ses affaires s'évacueraient avec autant de facilité et d'enthousiasme.

Elle l'avait taquiné en lui disant qu'il n'était pas non plus obligé d'offrir le café aux acquéreurs… ou plus exactement aux acquéreuses. Il avait noté une pointe de jalousie dans ses propos bien qu'elle fut ravie pour lui : il avait, à cette occasion, réussi à tourner une page de son passé, tout en collectant une liste de boutiques intéressantes.

Rémy était né sous X et cette fameuse travailleuse était le seul lien qui le rattachait à sa mère biologique. A plus de quarante ans, toutes les démarches qu'il avait effectuées pour tenter de la retrouver ayant été vaines, il avait décidé de se débarrasser du précieux souvenir. L'idée de Léa, d'utiliser un site de vente entre particuliers, l'avait séduit. C'était une bonne manière de s'en défaire car la démarche n'était pas anonyme, détail important pour lui qui venait de nulle part, et si l'objet trouvait acquéreur c'est qu'il était recherché.

Certains auraient pu trouver la manière de concevoir ce simple événement bien futile, anodine ou ridicule mais il appartient à chacun de donner sa propre valeur à sa façon d'agir. Pour Rémy, ce geste ultime avait toute son importance. Il allait faire une croix définitive sur le maigre témoin de ses origines. S'il n'avait pu contrer sa destinée, il déciderait comment il  effacerait l'infime trace de son passé. Il s'amusait à penser que, pour finir, cet objet ferait comme lui et trouverait sa place dans une autre maison.

Il avait imaginé, aucun élément n'engendrant de certitude, les circonstances de sa naissance. Il faut bien se faire une image, s'inventer une histoire. Des maigres informations glanées, il avait supposé être le fruit d'une relation extraconjugale, inavouable, au sein d'une famille où ce genre de débordement ne pouvait être toléré puisqu'on avait décidé de s'en séparer dès la naissance. Il savait juste qu'on avait accordé à sa mère, au moment de la fatale séparation, de remettre aux parents adoptifs de son bébé le trousseau qu'elle avait confectionné de ses propres mains, unique marque d'amour qu'elle pourrait jamais témoigner à l'enfant qu'elle avait porté. Les brassières et les chaussons  tricotés, les bavoirs et les draps brodés avaient été minutieusement pliés et rangés dans la fameuse travailleuse.

Rémy, enfant, avait souvent rêvé que cette femme qui l'avait mis au monde surgirait du petit meuble, tel le génie de la lampe d'Aladin. En vieillissant, aucune piste ne lui avait laissé le moindre espoir de retrouver, un jour, sa mère naturelle. Maintenant qu'il arrivait à la moitié de son existence, il lui avait paru plus sage de se détacher de cette relique pour qu'elle circule dans d'autres sphères, comme une bouteille qu'il aurait  jetée à la mer.

v   

A force de l'avoir dans mon champ de vision, j'entrepris de refaire une beauté à ce petit meuble de couture qui me faisait de l'œil. Je pris un chiffon doux et appliquai une crème nettoyante sur les parties extérieures. Les taches et la poussière disparaissaient et un joli bois clair, du merisier sûrement, apparut, en très bon état. Je pensais  au plaisir que je ferai à ma fille quand elle découvrirait son cadeau. En attendant que le produit pénètre en profondeur pour ensuite le lustrer, je dépliai les casiers en accordéon et donnai un coup d'aspirateur à l'intérieur, puis passai la main dans chaque compartiment pour m'assurer de leur parfaite propreté. Sous l'un des tiroirs ouverts, mes doigts croisèrent une aspérité. Il semblait qu'on avait scotché quelque chose qui recouvrait presque toute la surface. Avec précaution, je décollai la bande usée à chaque extrémité, puis grattai ce qui restait accroché à la paroi. Une pochette écornée tomba et j'en sortis une photo jaunie. Machinalement, je l'approchai du bas de mes verres, pour mieux voir à quoi la scène immortalisée ressemblait : une femme, assise sur un muret, posait devant une demeure bourgeoise que l'on distinguait dans le lointain. Le papier glacé avait subi quelques dommages qui altéraient la silhouette féminine mais je pouvais distinguer son visage.

Des picotements parcoururent chaque parcelle de mon épiderme, une vague de chaleur m'oppressa et un tambourinement violent secoua ma poitrine. J'étais abasourdie, tétanisée, incrédule devant l'image dont mes yeux ne pouvaient se détourner. Je devais me tromper, c'était impossible ! Ou il s'agissait d'un sosie. Mais en scrutant ma découverte à l'aide d'une grosse loupe, je dus bien admettre l'hallucinante réalité qu'elle révélait : c'était bien une photo de ma propre mère que j'avais entre les mains. L'imposante maison de maître à l'arrière-plan le confirmait, c'était celle qui avait appartenue à ma grand-mère... Au dos, on avait dessiné des croches sur une portée de musique : si do ré mi et inscrit ces quelques mots : « Quatre notes qui ne feront jamais de mélodie ». Ma mère portait le prénom de Sidonie. Une preuve de plus, s'il en fallait, que je ne délirais pas.

Comme des éclairs qui jaillissent dans le ciel, une multitude d'exclamations et d'interrogations envahirent mon esprit désorienté. Passé le coup de la stupeur et le bouleversement physique qui m'avaient assaillie, je prenais conscience de l'incroyable événement que j'étais en train de vivre. Moi qui avais toujours senti planer un secret dans ma famille, je détenais peut être enfin le morceau de puzzle qui manquait à mon histoire. Ce qui m'arrivait était absolument dingue, un cadeau tout droit descendu du ciel ! J'avais souvent fantasmé que le hasard me gratifierait un jour de ce genre de bonté. Et il était arrivé, cet instant tant espéré.

Je ne voyais plus qu'une seule chose à faire, recontacter Mme LOL sans délai. Je lui renvoyais un mot la prévenant simplement qu'elle avait laissé une photo dans la travailleuse que je venais d'acheter.

Cette étonnante journée s'acheva dans l'euphorie que les événements avaient initiés sans pour autant que je n'obtins de réponse. Il fallait que je contrôle mon impatience débordante.

Au saut du lit le lendemain, je fonçai droit sur mon ordinateur et ouvris fébrilement le courriel que j'attendais.

« Je vous remercie pour cette information et en fais part à mon ami pour qu'il vous recontacte. »

Ces quelques mots furent loin de me réjouir. Je restai comme deux ronds de frites ! Certes, je n'avais donné aucun détail sur ce que j'avais trouvé et elle ne pouvait donc en saisir l'importance, mais je ne voyais pas non plus la raison pour laquelle je devais attendre des nouvelles du beau métis.

Je passai les jours qui suivirent à me torturer l'esprit avec des suppositions, en souhaitant que ma patience ne soit pas mise à trop rude épreuve. 

v   

Quand elle avait pris connaissance du message, Léa avait longuement hésité à en parler à Rémy. D'abord il venait de cette femme, avec laquelle il avait eu un échange un peu trop cordial à son goût, mais sa teneur risquait aussi de bouleverser son fiancé. Elle avait bien vérifié que le petit meuble était vide pourtant, elle en était sûre,  la photo ne pouvait qu'y être cachée. Que serait-elle en mesure de révéler ? Elle prit le parti de laisser un peu de temps s'écouler avant de se décider.

Au milieu de la semaine suivante, un deuxième mail rappela ses hésitations à l'ordre. Léa ne pouvait s'interposer indéfiniment et décida à contre cœur de mettre Rémy au courant. Elle prit cependant soin d'agir par paliers pour ne pas précipiter les choses. Elle le lui annoncerait juste avant qu'il reparte dans sa province, il aurait ainsi le temps de digérer la nouvelle, qui prendrait sûrement plus d'importance que le simple fait de revoir la dame en question.

v   

Restant dans l'expectative malgré une relance et ne tenant plus en place, il fallait que je force le destin. J'avais retiré d'un vieil album un portrait de ma mère, qui devait dater d'une période proche de la photo recueillie, avant de me rendre sans rendez-vous, à l'appartement de Mme LOL.

La pluie avait enfin cessé, ce matin-là, après plus d'une semaine de grisaille. Le ciel qui s'éclaircissait arborait deux magnifiques arcs-en-ciel. J'y vis d'emblée un signe prémonitoire. Je baignai dans une atmosphère surréaliste, refoulant l'idée que je ne trouverais personne à l'adresse où je me rendais.

Mes palpitations ne ressemblaient en rien à celle d'une personne calme et décontractée, elles reflétaient au contraire l'état dans lequel je me trouvais : au seuil d'un grand bouleversement. Ma tête bourdonnait, il n'y avait aucun doute cette fois-ci. Il se passerait bien quelque chose derrière cette porte à laquelle je m'apprêtais à sonner. 

Je fus un peu décontenancée d'être accueillie à nouveau par le compagnon de la résidente, mais compris immédiatement dans son regard que ma visite était providentielle. Je balbutiai quelques mots pour m'excuser de cette visite impromptue. En me prévenant du peu de temps dont il disposait - il s'apprêtait à rejoindre la gare-, il m'invita à prendre place au salon, me confia connaître la raison de ma venue et m'expliqua en quoi elle le concernait.

Je n'avais pas envisagé un tel rebondissement. Lui ? Aucune syllabe ne pouvait sortir de ma bouche tant ce scénario ne ressemblait à mes élucubrations. Il resta médusé devant le tirage abimé que je lui tendais.

Je demeurai silencieuse. Une intense émotion embrumait ses yeux et bouleversait mon esprit. L'évidence se profilait, il regardait pour la première fois le visage de celle qui l'avait mis au monde, je rassemblai les bribes de ce qui allait devenir notre histoire.

v   

 

Quand le 25 décembre arriva, l'excitation était à son comble. Je n'avais rien dit à ma mère des épisodes incroyables survenus dans la période de l'avent. Je l'avais seulement prévenu que ce Noël ne ressemblerait à aucun autre. Lorsqu'elle vit Charlie déballer son cadeau, ses yeux se remplirent de larmes. Elle avait reconnu le meuble. Son meuble. Rémy, qui attendait dans le bureau, vint alors nous rejoindre.

v   

J'ai toujours cru, et plus encore aujourd'hui, aux cadeaux que la vie peut réserver. C'est comme pour tout, il faut commencer par y croire.

Rémy m'a confié que le jour où il avait décidé de ne plus obstruer ses pensées avec son passé, qui l'empêchait d'avancer, et de se défaire de cet objet symbolique, il avait senti le souffle de la vie reprendre toute sa valeur.

Il en a été récompensé au-delà de ses espérances.

Si un jour vous doutez qu'après la pluie le soleil ne revienne, chaussez vos bottes et affrontez-la. Elle vous mouillera, vous rafraichira mais vous profiterez ensuite des doux rayons qui vous réchaufferont.

 

 

 

 

 

J'aime les objets qui ont vécu. Contribuer à leur donner une seconde ou une énième vie - après tout on ne sait dans combien de demeures ils ont séjourné - satisfait ma position d'anticonsumériste et ravit mon portefeuille. Un tas d'objets se retrouvent ainsi photographiés et mis en vente sur des sites de vente entre particuliers. On y trouve presque tout ce que l'on cherche à des prix auxquels aucun marchand ne pourrait faire concurrence et cette forme de commerce parallèle contente autant le client que le vendeur. C'est un nouvel état d'esprit qui surgit depuis quelques années : une forme de partage et d'échange qui évite le gaspillage et ravit les intervenants.

Je n'aurais jamais imaginé que mon gout pour cette nouvelle façon d'acheter dépasse le simple fait de me féliciter de faire une bonne affaire.

A chaque coin de vie peut surgir l'inattendu.

Je cherchais pour ma fille qui, en bonne héritière de sa mère s'adonne aux travaux d'aiguilles, une travailleuse sur pied. Ce style de petit meuble me semblait idéal pour remplacer les boites à chaussures où elle entassait ses accessoires de couture et de broderie et ses compartiments bien pratiques lui permettraient de classer tout son petit bazar.

Quelques offres correspondaient à l'objet de mes convoitises sur le site phare de cette nouvelle tendance. Une fois éliminées celles qui ne rentraient pas dans mes critères de sélection et dont le prix dépassait mon budget, j'adressai un mail à LOL. Le pseudo de cette vendeuse occasionnelle ne pouvait qu'être de bon augure, ne puis je m'empêcher de penser.

Sa réponse atterrit par retour dans ma boite de réception pour convenir d'un rendez vous dans la soirée. J'étais disponible puisque j'avais décidé de m'octroyer quelques jours de trêve dans mon emploi du temps de free lance, afin de me consacrer à quelques aménagements dans mon appartement parisien.

Avoir déniché aussi facilement le cadeau qui emballerait la jeune maman de mon adorable petit fils suffit à égayer cette courte journée de novembre, pluvieuse et avare en lumière. J'enfilai mes bottes en caoutchouc avec entrain et attrapai mon vieux ciré  jaune passé, prête à affronter les trombes qui déferlaient sur la capitale. Trottant sur le bitume qui scintillait sous les phares, au milieu des parapluies qui s'entrechoquaient et des trenchs mouillés, je dénotais assurément. Mais au moins j'étais à l'abri, moi, dans mon accoutrement de marin breton parfaitement imperméable. Les flaques que j'évitais à grandes enjambées reflétaient la teinte de mon humeur : les couleurs pétantes des enseignes lumineuses dansaient au gré des gouttes et des pas qui s'y perdaient. La ville brillait dans une fanfare de klaxons et de ronronnements de moteur.

C'était joli la pluie dans Paris.

Je chantonnais gaiement ce refrain d'Anne sylvestre, La pluie fait plic ploc… , alors que mes congénères maugréaient après les mauvaises prédictions de madame méteo. J'étais dans un bon jour. Râler contre les aléas de la nature – parlez-en donc aux habitants d'autres contrées qui prient pour voir le ciel s'assombrir ! –  n'embellirait pas ma journée. Je préférais chanter sous la pluie plutôt que ronchonner parce qu'elle trempait la chaussée. C'est fou comme la façon dont on appréhende les choses change totalement la vision qu'on s'en fait et influe sur notre environnement. Je ferais bien d'y penser tous les jours, ça rend la vie tellement plus agréable ! Mettre de coté les préoccupations qui finiront par trouver solution et s'attarder un peu plus sur les petits bonheurs simples qui transforment le quotidien, ce n'est pas si compliqué.

C'est dans ce genre de journée positive que se produisent un tas de petits épisodes sympas. Un jeune garçon qui vous laisse sa place dans le métro, un sourire de quelqu'un qui vous tient une porte, quelques mots échangés sympathiquement au hasard d'un croisement furtif…

Je ne fus tout de même pas fâchée de n'avoir que quelques mètres à faire en sortant du métro pour arriver au 63 passage du rouet : les grosses gouttes s'abattaient sur mes verres progressifs et réduisaient considérablement mon acuité visuelle. L'adresse avait réveillé mes fossettes quand j'en avais pris note : mon année de naissance dans un ancien quartier de fileuses ! Ce lieu, ne pouvait que prédestiner la couturière que j'étais à une bonne affaire.

J'aime bien les coucous de l'invisible, ils me rendent encore plus vivante.

Derrière la porte cochère, une enfilade de petits immeubles en arc de cercle se dressait au fond d'une cour pavée. Quelques arbres en pots cachés dans des caissons de bois agrémentaient cet espace clos où ne résonnait que le bruit de l'eau qui tombait sans discontinuer. Le brouhaha de la ville était à peine perceptible. Ce calme soudain exacerbait le charme de ce joli décor.

Mme LOL, prise par un contretemps, m'avait prévenu que ce serait son ami qui me recevrait. Je ne pus m'empêcher  de penser que c'était un signe du destin et que le coup de foudre dont je rêvais se trouverait peut être derrière la porte à laquelle je venais de sonner. Les grandes histoires commencent bien souvent par des coups du hasard… J'attendis sur le palier, impatiente de découvrir l'homme qui allait m'ouvrir.

A vue de nez, il devait avoir une petite quarantaine d'années. Sa peau métissée qui contrastait harmonieusement avec une barbe de quelques jours blanchissante, ses yeux aux couleurs de la mer des Caraïbes, et sa taille imposante – il devait bien faire un mètre quatre-vingt-dix –, me firent un effet particulier. C'était un très bel homme mais au-delà de cette beauté, je fus happée par une mystérieuse sensation. Quelque chose de puissant émanait de l'être que j'avais en face de moi, sans que je fusse capable de l'analyser ensuite sur le chemin du retour.

L'objet que j'étais venu chercher trônait entre nous deux dans le vestibule de l'appartement. La conversation s'engagea avec une aisance incroyable. C'était plus que de la simple courtoisie, une vraie sympathie s'installa aussitôt. Les mots coulèrent si naturellement que de l'utilité d'une travailleuse, nous étions vite passé au plaisir de la création et en une dizaine de minutes, chacun connaissait la passion de l'autre dans l'exercice de son métier. Il dirigeait une compagnie théâtrale en province et me confia qu'il profitait de son séjour à Paris pour faire la tournée des friperies. Son budget ne lui permettant pas de s'offrir les services d'une costumière, il devait lui-même s'occuper de la garde robe des comédiens pour sa prochaine création. J'étais ravie de pouvoir lui fournir quelques-unes de mes bonnes adresses, mon goût pour les occases s'étendant aussi au domaine vestimentaire. De fil en aiguille, si j'ose dire, nous nous étions installés au salon afin que je lui note les renseignements utiles. L'atmosphère décontractée me fit accepter le café qu'il me proposa. Il n'y avait, curieusement, rien d'équivoque dans nos attitudes, nous étions juste contents de cette rencontre opportune et sympathique qui méritait bien quelques biscuits, avait-il affirmé en posant une boîte de macarons sur la table.

Nous avons passé ainsi presque une heure à papoter comme de vieux camarades ! Au moment de partir, j'en avais presque oublié la raison première de ma venue. Je sortis la somme convenue avec Mme LOL de mon porte monnaie, qu'il empocha furtivement presque gêné. Nous nous saluâmes poliment, nous félicitant de cette belle entrevue. Sans émettre l'éventualité  de se revoir, chacun souhaita à l'autre une bonne soirée.

Je me retrouvai descendant la rue agitée pour rejoindre la bouche de métro, le cadeau pour ma fille dans les bras, hypnotisée par le moment que je venais de vivre. J'étais en proie à de drôles de sentiments. Cet épisode inattendu m'avait enchantée et en même temps provoqué une certaine frustration. Il me semblait étrange que ce drôle de rendez-vous ne puisse avoir de suite ! Je tentai de me raisonner en me focalisant sur l'instant agréable que nous avions passé et qui ne resterait vraisemblablement qu'une heureuse rencontre, ce n'était déjà pas si mal ! J'aurais pu tomber sur un abominable pervers que j'aurais craint au premier regard ou une femme acariâtre, soucieuse avant tout de  débarrasser sa cave ! De quoi pouvais je me plaindre, finalement ? « De rien, ma fille, de rien, criait mon Gimini dans mon for intérieur ! Tu veux toujours la lune, sache te contenter des étoiles… ».  Il avait raison, mon petit personnage imaginaire, mieux valait se contenter de ce petit moment convivial  que de spéculer sur le miracle, beaucoup plus rare, vous en conviendrez !

Satisfaite – je l'étais tout compte fait– et une fois rentrée chez moi, je repris l'ouvrage que j'avais en cours, une nappe que je brodais pour offrir en cadeau de mariage à ma cousine. J'aimais confectionner moi-même les cadeaux pour mes proches.

 Mon regard se posait sur la travailleuse chaque fois que je levais les yeux. Je l'avais laissée au beau milieu de mon salon en attendant de la nettoyer, comme si je voulais en profiter un peu avant de m'en séparer. Plus je la regardais, moins elle me laissait indifférente. La sensation était étrange. Il me semblait que ma mère avait détenu, jadis, ce genre de petit meuble mais ce n'était qu'un vague souvenir. Dommage qu'elle ne l'ait pas conservé, sa petite fille eut été ravie de se l'approprier.

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Rémy avait relaté à Léa l'ambiance dans laquelle il avait conclu la vente et l'avait remerciée de s'être chargée de déposer sur le site les vestiges qui encombraient son grenier. C'était une vraie bonne idée. Cette première expérience était positive et il espérait que le reste de ses affaires s'évacueraient avec autant de facilité et d'enthousiasme.

Elle l'avait taquiné en lui disant qu'il n'était pas non plus obligé d'offrir le café aux acquéreurs… ou plus exactement aux acquéreuses. Il avait noté une pointe de jalousie dans ses propos bien qu'elle fut ravie pour lui : il avait, à cette occasion, réussi à tourner une page de son passé, tout en collectant une liste de boutiques intéressantes.

Rémy était né sous X et cette fameuse travailleuse était le seul lien qui le rattachait à sa mère biologique. A plus de quarante ans, toutes les démarches qu'il avait effectuées pour tenter de la retrouver ayant été vaines, il avait décidé de se débarrasser du précieux souvenir. L'idée de Léa, d'utiliser un site de vente entre particuliers, l'avait séduit. C'était une bonne manière de s'en défaire car la démarche n'était pas anonyme, détail important pour lui qui venait de nulle part, et si l'objet trouvait acquéreur c'est qu'il était recherché.

Certains auraient pu trouver la manière de concevoir ce simple événement bien futile, anodine ou ridicule mais il appartient à chacun de donner sa propre valeur à sa façon d'agir. Pour Rémy, ce geste ultime avait toute son importance. Il allait faire une croix définitive sur le maigre témoin de ses origines. S'il n'avait pu contrer sa destinée, il déciderait comment il  effacerait l'infime trace de son passé. Il s'amusait à penser que, pour finir, cet objet ferait comme lui et trouverait sa place dans une autre maison.

Il avait imaginé, aucun élément n'engendrant de certitude, les circonstances de sa naissance. Il faut bien se faire une image, s'inventer une histoire. Des maigres informations glanées, il avait supposé être le fruit d'une relation extraconjugale, inavouable, au sein d'une famille où ce genre de débordement ne pouvait être toléré puisqu'on avait décidé de s'en séparer dès la naissance. Il savait juste qu'on avait accordé à sa mère, au moment de la fatale séparation, de remettre aux parents adoptifs de son bébé le trousseau qu'elle avait confectionné de ses propres mains, unique marque d'amour qu'elle pourrait jamais témoigner à l'enfant qu'elle avait porté. Les brassières et les chaussons  tricotés, les bavoirs et les draps brodés avaient été minutieusement pliés et rangés dans la fameuse travailleuse.

Rémy, enfant, avait souvent rêvé que cette femme qui l'avait mis au monde surgirait du petit meuble, tel le génie de la lampe d'Aladin. En vieillissant, aucune piste ne lui avait laissé le moindre espoir de retrouver, un jour, sa mère naturelle. Maintenant qu'il arrivait à la moitié de son existence, il lui avait paru plus sage de se détacher de cette relique pour qu'elle circule dans d'autres sphères, comme une bouteille qu'il aurait  jetée à la mer.

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A force de l'avoir dans mon champ de vision, j'entrepris de refaire une beauté à ce petit meuble de couture qui me faisait de l'œil. Je pris un chiffon doux et appliquai une crème nettoyante sur les parties extérieures. Les taches et la poussière disparaissaient et un joli bois clair, du merisier sûrement, apparut, en très bon état. Je pensais  au plaisir que je ferai à ma fille quand elle découvrirait son cadeau. En attendant que le produit pénètre en profondeur pour ensuite le lustrer, je dépliai les casiers en accordéon et donnai un coup d'aspirateur à l'intérieur, puis passai la main dans chaque compartiment pour m'assurer de leur parfaite propreté. Sous l'un des tiroirs ouverts, mes doigts croisèrent une aspérité. Il semblait qu'on avait scotché quelque chose qui recouvrait presque toute la surface. Avec précaution, je décollai la bande usée à chaque extrémité, puis grattai ce qui restait accroché à la paroi. Une pochette écornée tomba et j'en sortis une photo jaunie. Machinalement, je l'approchai du bas de mes verres, pour mieux voir à quoi la scène immortalisée ressemblait : une femme, assise sur un muret, posait devant une demeure bourgeoise que l'on distinguait dans le lointain. Le papier glacé avait subi quelques dommages qui altéraient la silhouette féminine mais je pouvais distinguer son visage.

Des picotements parcoururent chaque parcelle de mon épiderme, une vague de chaleur m'oppressa et un tambourinement violent secoua ma poitrine. J'étais abasourdie, tétanisée, incrédule devant l'image dont mes yeux ne pouvaient se détourner. Je devais me tromper, c'était impossible ! Ou il s'agissait d'un sosie. Mais en scrutant ma découverte à l'aide d'une grosse loupe, je dus bien admettre l'hallucinante réalité qu'elle révélait : c'était bien une photo de ma propre mère que j'avais entre les mains. L'imposante maison de maître à l'arrière-plan le confirmait, c'était celle qui avait appartenue à ma grand-mère... Au dos, on avait dessiné des croches sur une portée de musique : si do ré mi et inscrit ces quelques mots : « Quatre notes qui ne feront jamais de mélodie ». Ma mère portait le prénom de Sidonie. Une preuve de plus, s'il en fallait, que je ne délirais pas.

Comme des éclairs qui jaillissent dans le ciel, une multitude d'exclamations et d'interrogations envahirent mon esprit désorienté. Passé le coup de la stupeur et le bouleversement physique qui m'avaient assaillie, je prenais conscience de l'incroyable événement que j'étais en train de vivre. Moi qui avais toujours senti planer un secret dans ma famille, je détenais peut être enfin le morceau de puzzle qui manquait à mon histoire. Ce qui m'arrivait était absolument dingue, un cadeau tout droit descendu du ciel ! J'avais souvent fantasmé que le hasard me gratifierait un jour de ce genre de bonté. Et il était arrivé, cet instant tant espéré.

Je ne voyais plus qu'une seule chose à faire, recontacter Mme LOL sans délai. Je lui renvoyais un mot la prévenant simplement qu'elle avait laissé une photo dans la travailleuse que je venais d'acheter.

Cette étonnante journée s'acheva dans l'euphorie que les événements avaient initiés sans pour autant que je n'obtins de réponse. Il fallait que je contrôle mon impatience débordante.

Au saut du lit le lendemain, je fonçai droit sur mon ordinateur et ouvris fébrilement le courriel que j'attendais.

« Je vous remercie pour cette information et en fais part à mon ami pour qu'il vous recontacte. »

Ces quelques mots furent loin de me réjouir. Je restai comme deux ronds de frites ! Certes, je n'avais donné aucun détail sur ce que j'avais trouvé et elle ne pouvait donc en saisir l'importance, mais je ne voyais pas non plus la raison pour laquelle je devais attendre des nouvelles du beau métis.

Je passai les jours qui suivirent à me torturer l'esprit avec des suppositions, en souhaitant que ma patience ne soit pas mise à trop rude épreuve. 

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Quand elle avait pris connaissance du message, Léa avait longuement hésité à en parler à Rémy. D'abord il venait de cette femme, avec laquelle il avait eu un échange un peu trop cordial à son goût, mais sa teneur risquait aussi de bouleverser son fiancé. Elle avait bien vérifié que le petit meuble était vide pourtant, elle en était sûre,  la photo ne pouvait qu'y être cachée. Que serait-elle en mesure de révéler ? Elle prit le parti de laisser un peu de temps s'écouler avant de se décider.

Au milieu de la semaine suivante, un deuxième mail rappela ses hésitations à l'ordre. Léa ne pouvait s'interposer indéfiniment et décida à contre cœur de mettre Rémy au courant. Elle prit cependant soin d'agir par paliers pour ne pas précipiter les choses. Elle le lui annoncerait juste avant qu'il reparte dans sa province, il aurait ainsi le temps de digérer la nouvelle, qui prendrait sûrement plus d'importance que le simple fait de revoir la dame en question.

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Restant dans l'expectative malgré une relance et ne tenant plus en place, il fallait que je force le destin. J'avais retiré d'un vieil album un portrait de ma mère, qui devait dater d'une période proche de la photo recueillie, avant de me rendre sans rendez-vous, à l'appartement de Mme LOL.

La pluie avait enfin cessé, ce matin-là, après plus d'une semaine de grisaille. Le ciel qui s'éclaircissait arborait deux magnifiques arcs-en-ciel. J'y vis d'emblée un signe prémonitoire. Je baignai dans une atmosphère surréaliste, refoulant l'idée que je ne trouverais personne à l'adresse où je me rendais.

Mes palpitations ne ressemblaient en rien à celle d'une personne calme et décontractée, elles reflétaient au contraire l'état dans lequel je me trouvais : au seuil d'un grand bouleversement. Ma tête bourdonnait, il n'y avait aucun doute cette fois-ci. Il se passerait bien quelque chose derrière cette porte à laquelle je m'apprêtais à sonner. 

Je fus un peu décontenancée d'être accueillie à nouveau par le compagnon de la résidente, mais compris immédiatement dans son regard que ma visite était providentielle. Je balbutiai quelques mots pour m'excuser de cette visite impromptue. En me prévenant du peu de temps dont il disposait - il s'apprêtait à rejoindre la gare-, il m'invita à prendre place au salon, me confia connaître la raison de ma venue et m'expliqua en quoi elle le concernait.

Je n'avais pas envisagé un tel rebondissement. Lui ? Aucune syllabe ne pouvait sortir de ma bouche tant ce scénario ne ressemblait à mes élucubrations. Il resta médusé devant le tirage abimé que je lui tendais.

Je demeurai silencieuse. Une intense émotion embrumait ses yeux et bouleversait mon esprit. L'évidence se profilait, il regardait pour la première fois le visage de celle qui l'avait mis au monde, je rassemblai les bribes de ce qui allait devenir notre histoire.

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Quand le 25 décembre arriva, l'excitation était à son comble. Je n'avais rien dit à ma mère des épisodes incroyables survenus dans la période de l'avent. Je l'avais seulement prévenu que ce Noël ne ressemblerait à aucun autre. Lorsqu'elle vit Charlie déballer son cadeau, ses yeux se remplirent de larmes. Elle avait reconnu le meuble. Son meuble. Rémy, qui attendait dans le bureau, vint alors nous rejoindre.

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J'ai toujours cru, et plus encore aujourd'hui, aux cadeaux que la vie peut réserver. C'est comme pour tout, il faut commencer par y croire.

Rémy m'a confié que le jour où il avait décidé de ne plus obstruer ses pensées avec son passé, qui l'empêchait d'avancer, et de se défaire de cet objet symbolique, il avait senti le souffle de la vie reprendre toute sa valeur.

Il en a été récompensé au-delà de ses espérances.

Si un jour vous doutez qu'après la pluie le soleil ne revienne, chaussez vos bottes et affrontez-la. Elle vous mouillera, vous rafraichira mais vous profiterez ensuite des doux rayons qui vous réchaufferont.

 

 

 

 

 

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