Quand Marie rencontre Léo

sandocha

Concours WLW Feel Good

« J'ai une dette envers Nina Simone : lorsqu'elle chante Feeling good, je sens sa force malgré les épreuves, sa détermination à essayer d'être heureuse ; et je me dis que, pour moi, le meilleur est à venir. » - voilà le plus grand lègue de la mère de Léo à sa fille : les petites phrases telles que celle-ci, Léo les garde en tête comme autant de trésors. Et elles sont, à n'en pas douter, le plus bel héritage transmis par cette mère : mieux que les biens matériels, elle lui a transmis un état d'esprit que je ne suis pas la seule à lui envier.

 

Mais permettez-moi de vous raconter comment j'ai rencontré Léo et combien son amitié a changé ma vie :

 

-       Je vais fêter mes vingt-cinq ans dans un mois et j'ai tout ce que je voulais avoir quand j'en avais seize. Pourquoi ne suis-je pas heureuse ? Qu'est-ce qui explique cet effroyable ennui ?

 

 

Ce constat, je le formule à une personne extérieure à ma famille car celle-ci me traiterait de folle :

Comment ? Après des études si brillantes, un travail stable et rémunérateur, un appartement dans les beaux quartiers, en plein cœur de Paris ?

 

J'évite même d'en parler à mes copines :

- Avec la vie de rêve que tu as et ton copain qui t'offre tout ce dont tu as envie ?

- Précisément, docteur : je n'ai envie de rien. C'est désespérant.

-  C'est la fin de la séance.

 

Dehors, je maudis ce psy. Dire que je cache à tout mon entourage nos rendez-vous hebdomadaires. Ce jour-là, je sens que j'ai franchi un cap. Alors, je décide de prendre mon temps.

 

En face du cabinet du Docteur Chossenski, du côté plus ensoleillé de la rue, j'observe cette devanture singulière qui, dès la première séance, avait attisé ma curiosité. Pourtant, il m'aura fallu attendre trois mois et demi de consultations et ce constat pour traverser la rue et oser ouvrir la porte de cette boutique.

 

Sur la devanture, je lis : Des fleurs, des livres et des cookies. C'est peut-être un concept store. Je passe le pas de la porte.

 

Une jeune femme s'approche de moi. Sûrement la vendeuse qui vient voir si elle peut m'aider à me délester de mon argent.

 

-       Voulez-vous un café ?

-       Comment ?

-       Vous préférez peut-être un thé ? Je peux vous en proposer aussi.

-       Non, merci. Je ne suis pas entrée pour acheter du café ou du thé. Je viens juste pour regarder.

-       Pardonnez-moi, je me suis mal exprimée. La boutique Des fleurs, des livres et des cookies vous offre le café ou le thé.

-       Ah ?

-       Si vous voulez bien, je vous présente la boutique et vous donne un aperçu de notre mode de fonctionnement.

-       …

-       Dans ce lieu, nous avons deux grandes pièces reliées entre elles par un couloir. La première pièce, qui s'ouvre sur l'extérieur grâce aux vitrines, est la pièce des fleurs coupées, proposées en bottes ou en bouquets. Nous avons aussi, comme vous avez dû le remarquer, un mur végétal de chaque côté de la vitrine ainsi que cet îlot central avec la caisse et de l'espace sur le côté pour que Damien, notre fleuriste, puisse composer ses bouquets à la demande.

 

-       Ensuite, si vous voulez bien me suivre, dans le couloir, nous avons mis nos livres coups de cœur du moment en vitrine et là, sur les étagères, une partie des livres poches que nous proposons.

 

-       Et pour finir, notre espace librairie avec ces tables au milieu où vous pouvez vous installer et choisir à loisir les livres que vous souhaitez prendre. Enfin, sur ce petit établi, vous avez de quoi vous servir un café ou un thé.

Bouche bée, je me retiens néanmoins de lâcher un « ah » admiratif, comme une enfant. Une grande pièce que l'on ne devinait pas, même depuis le couloir et très haute de plafond. Je n'avais jamais vu de boutique aussi spacieuse, pas à Paris, en tout cas. Tout autour des tables laissées en libre-service, des étagères contenant les livres et, au fonds…

-       Cette verrière donne sur une cours ?

-       Oui… Enfin, c'est plus un jardin de poche qu'une cours.

Elle sourit.

-       Effectivement.

Je souris.

-       Merci pour les explications, euh…Léo ?

-       Ah ! Vous faites partie des rares personnes qui regardent le prénom inscrit sur nos badges. A croire qu'ils ne servent à rien. Oui, en fait, je m'appelle Eléonore – ma mère avait le goût des prénoms désuets, il faut croire – mais tout le monde m'appelle Léo. Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas. Nous sommes là pour ça.

-       J'en ai une : cette boutique se nomme « Des fleurs, des livres et des cookies » ?

-       C'est exact.

-       Pendant que vous me faisiez visiter la boutique, j'ai vu les fleurs et les livres mais…

-       …Quid des cookies ?

-       Précisément !

-       Vous avez mis le doigt sur un sujet épineux et, pour l'instant, nous sommes obligés de faire sans les cookies.

-       Donc vous faites de la publicité mensongère – dis-je pour plaisanter. Je me ravise aussitôt que j'aperçois un rictus sur le visage de Léo, pourtant si souriant jusque-là. D'ailleurs, la voilà déjà qui esquisse un sourire mais je sens bien qu'il y a là plus qu'un sujet épineux.

Je comprends que je n'en saurai pas plus aujourd'hui, d'autant qu'on vient lui demander conseil. Un « je vous prie de m'excuser un instant » et voilà Léo dans le couloir qui échange avec un adolescent hésitant entre deux romans jeunesses.

 

Je me dirige donc vers la sortie, après avoir salué, d'un geste de la main, Léo, puis, Damien. Je me dis que je reviendrai, peut-être plus tôt, pour éviter l'afflux de personnes, comme à cet instant.

 

J'avais dans l'idée d'attendre le prochain rendez-vous chez le D. Chossenski, le mardi suivant, d'y aller, cette fois-ci, avant la séance, en me donnant pour prétexte de tirer au clair cette histoire de cookies. En fait, à la première opportunité telle que le cadeau à faire à une amie, je décidais d'y faire un tour. Et, justement, je me retrouve un samedi à dix heures moins dix du matin à la porte de la boutique qui n'ouvre qu'à dix heures, un paquet à la main. Moi ? Debout à dix heures un samedi matin ? Ça ne se voit pas, même pendant les soldes. Ça tient du miracle.

Et comment je sais que la boutique n'ouvre qu'à dix heures ? Internet. J'ai un peu navigué sur le web, l'air de rien, et suis tombé sur le site de la boutique. Tout ceci ne relève, finalement, pas vraiment du hasard : bien sûr, il y a cette histoire de cookies restée en suspens qui m'intrigue ; mais surtout, j'ai apprécié le projet développé par ces deux personnes qui doivent avoir mon âge. La boutique est agréable, bien agencée, avec ces divers univers qui se combinent comme par magie. Ce lieu me fait penser à un refuge - sûrement le mien, bientôt – dans la jungle urbaine de Paris.

 

Dix heures : Damien ouvre la porte depuis l'intérieur de la boutique et me cueille plantée là, dès l'ouverture – je suis la seule. Il me sourit. Je me demande s'il se souvient de moi. J'entre. Je lui explique le pourquoi de ma visite : l'envie d'offrir un livre - Lequel ? Bof, pas d'idée précise – et de compléter avec un bouquet d'anémones.

 

-       Pour le bouquet d'anémones, je m'en occupe. Par contre, pour le livre, si vous souhaitez des conseils, c'est le domaine de Léo. Si vous pouvez l'attendre, elle arrive dans quinze minutes.

-       Oui, je peux attendre. Au fait, j'ai pris des cookies chez un boulanger. Vous en voulez ?

-       Merci, c'est gentil mais je ne suis pas du tout un bec sucré.

-       Vraiment ? Vous n'aimez pas les cookies ?

-       J'en mangeais à l'occasion, mais je n'en mange plus du tout.

-       Vraiment ?

-       Que c'est triste ! Je veux dire : la boutique s'appelle…

-       Des fleurs, des livres et des cookies, oui, je sais

-       Et vous n'en mangez pas ?

-       Et non.

-       Bon. Je n'insiste pas.

 

A l'eau. A la flotte ma tentative d'éclaircir le mystère cookies car Damien n'était pas très bavard sur le sujet. Je ne m'avouais pas vaincue et trouvais une place dans la pièce du fonds pour ce paquet de cookies, mon sac de fille et moi.

 

Vous ne me croirez pas mais ce jour-là, je suis devenue l'amie de Léo, juste parce qu'à son arrivée, je lui ai tendu le fameux sac de cookies. Sa réaction ne fut pourtant pas celle, par moi, escomptée : elle a fondu en larmes. Des larmes qu'elle ne retenait pas, des larmes au milieu de sanglots d'une tristesse sincère.

 

Ça a duré. Un petit bout d'éternité pour moi. Je suis tétanisée et bouleversée par cette réaction, suscitée par ce qui n'était qu'après tout qu'un simple geste. Ne comprenant pas le pourquoi de tous ces pleurs, j'interroge du regard Damien et là, il m'a semblé voir sur son visage un sourire : Léo pleure à chaudes larmes et Damien en est ravi. Je ne comprends plus rien.

 

J'esquisse un « je suis désolée » écrasé par le poids de ma faute peut-être – oui, mais laquelle ? – et, tout de suite, Damien prend la parole :

 

-       Vous n'avez pas à être désolée ! Au contraire, permettez-moi de vous remercier.

 

Face à ma totale incompréhension et, alors, que les sanglots qui s'étaient quelques peu arrêtés, reprennent de de plus bel, Damien prend mon bras et m'entraîne vers la pièce d'entrée, laissant Léo à ce qui me semble être une détresse profonde.

 

-       Elle pleure enfin. Ça fait, maintenant, un mois qu'elle a enterré sa mère et, jusqu'à présent, je ne l'ai pas vu verser une seule larme. Elle a fait comme elle fait d'habitude, elle a tout pris sur elle, y compris cet immense chagrin. A mon sens, si elle ne pleure pas sa mère qu'elle aimait tant, ce chagrin risque de la consumer de l'intérieur, l'empêcher de survivre à sa douleur.

-       Tout ça parce que je lui ai offert un cookie ?

-       C'était sa mère la fée cookies de la boutique : elle faisait des cookies merveilleux. Quand Léo arrivait avec une fournée de cookies encore chauds de chez sa mère, ils embaumaient les lieux, étaient moelleux et fondaient dans la bouche. Ce sont les seuls cookies que je trouvais délicieux : sa mère avait un don que Léo a découvert sur le tard.

 

Damien arrête le flot des confidences à cet instant précis et regarde en direction du couloir. A mon tour, je me retourne et vois Léo arriver vers nous :

-       Je vais prendre l'air.

-       D'accord Léo.

La voix hésitante, elle ajoute à mon intention :

-       Le café d'en face fait un chocolat chaud très correct. Je vous invite.

 

Sans marquer de temps d'hésitation, je lui emboîte le pas en silence. La première à ouvrir la bouche, une fois passée la commande ? Léo. Elle prend la parole et me confie toute la tendresse qu'elle avait pour sa mère, les malentendus et leur fichus caractère qui les avaient éloignées l'une de l'autre une grande partie de sa vie d'adulte. Ce samedi-là, le flot n'était interrompu qu'à son initiative, quand elle se rendait compte qu'elle monopolisait la parole. En victime consentante, je la rassure et lui demande de continuer de me parler de cette femme fantastique qu'a dû être sa mère. Et les phrases d'anthologie de Marina sortent de la bouche de sa fille au fil des anecdotes que Léo me raconte. C'est ce jour-là que sa mère prit corps, dans ce tête à tête invraisemblable.

 

Marina, la décoratrice qui, après plusieurs années à enchaîner des chantiers d'exception, a décidé de se poser pour passer plus de temps avec sa fille, Léo. Elle ouvre alors une boutique de décoration. En la faisant prospérer, Marina a sûrement l'espoir de voir Léo prendre un jour le relais. Mais l'adolescente qu'est Léo, à cette époque, se construit en s'opposant à sa mère, aux choix qu'elle fait pour sa fille, notamment. Léo se désintéresse de la boutique de Marina.

-       Dire qu'aujourd'hui, j'ai repris sa boutique pour en faire, certes, autre chose qu'une boutique de décoration, mais la vie nous réserve de ces surprises !

Elle s'arrête de parler un instant, cherche le serveur des yeux, lui demande un verre d'eau pour elle et :

 

– Est-ce que vous voulez autre chose ? Non ? Bon. Merci beaucoup de m'avoir écoutée. Je crois que j'avais besoin d'en parler. A présent je me sens beaucoup mieux et, en même temps, je suis étonnée de vous avoir autant parlé car enfin je ne vous connais pas ! – elle éclate de rire.

 

-       Ne me remerciez pas. C'est un plaisir de faire la connaissance de votre mère, par votre intermédiaire – un être à part, il me semble.

-       Oui… Mais vous ne vous en tirerez pas si facilement. C'est votre tour de parler : racontez-vous.

 

A mon tour de me confier auprès de cette inconnue qui ne m'analysait pas, n'était pas attentive à l'heure qui passait. C'est sûrement pour ces raisons que, de confidences en confidences, nous avons oublié le temps, oublié de manger, oublié Da        mien.

 

En arrivant chez moi, à temps pour dîner avec Robin – oui, mon copain s'appelle Robin -, je prends la résolution d'annuler mes rendez-vous chez Chossenski. C'est bon, j'ai trouvé ma thérapie. Et cette thérapie est un savoureux mélange entre Léo, son écoute attentive et Marina avec ses mots que sa fille me transmet lorsque le moment s'y prête.

 

Ça fait un mois que je connais ce refuge. C'est mon anniversaire. Officiellement, j'ai vingt-cinq ans. Léo m'appelle : est-ce que je peux passer dans la journée ? Oui, je peux venir à l'heure du déjeuner.

-       Parfait ! – et elle raccroche.

 

J'entre dans la boutique. Damien et Léo sont occupés à renseigner pour l'un et encaisser pour l'autre, des clients tandis que d'autres arpentent les lieux. Une fois libérée, Léo m'entraîne dans la rue et me tend une grande enveloppe kraft.

 

-       Je sais combien tu apprécies quand je te raconte les anecdotes autour de ma mère. C'est pourquoi, je t'offre ce que j'ai de plus précieux la concernant. C'est juste une copie mais le principal, c'est ce qui y est écrit. Tu as dû le remarquer : quand tu te racontes, ton histoire me rappelle la mienne il y a quelques années de cela. Cette enveloppe contient une copie de la lettre que ma mère m'a écrite au moment où elle a préparé sa succession. C'est mon cadeau pour ton anniversaire. Maintenant, j'y retourne.

 

Et elle est repartie renseigner d'autres quidams, me laissant dans les mains cette enveloppe. Je regarde l'enveloppe, la met dans mon sac-besace et file vers la bouche de métro, en direction à mon chez moi. Pendant le trajet, je me dis heureusement qu'aujourd'hui on est samedi : je vais pouvoir lire tranquillement cette lettre.

 

Seulement, arrivée chez moi :

-       Surprise ! – Robin avait préparé un anniversaire surprise avec mes amies… en pleine après-midi ?

 

Je vous passe les détails pour vous transmettre à mon tour le contenu de la lettre tel que je l'ai découvert le dimanche au matin dans mes toilettes – autre refuge pour moi, dans mon appartement quand Robin dort chez moi.

 

«  Mes mains trahissent mon âge. C'est vrai, je n'ai plus vingt ans. Mais je ne suis pas encore vieille non plus : à quarante ans, de nos jours, on peut espérer vivre encore de belles décennies tant qu'il ne nous arrive pas une tuile. Seulement, comme une tuile, ça n'arrive pas qu'aux autres, je préfère prévenir que guérir.

 

Ma chérie, si tu lis cette lettre c'est qu'il m'est arrivé une tuile : j'ai pris mes dispositions pour qu'elle te soit remise au moment de la lecture de mon testament par le cabinet de Maître Guedj. Ils t'expliqueront tous les termes de la transmission de mes biens matériels.

 

J'écris cette lettre une semaine après que l'on ait fêté ensemble mes quarante ans. Tu avais été étonnée de ne pas voir ta mère faire une crise de la quarantaine, en relevant un défi débile pour se prouver qu'elle était encore vivante et capable de tout, comme la plupart de mes amies l'ont fait avant moi.

 

C'est qu'avoir quarante ans et une fille de dix-neuf ans, ça a provoqué en moi une réflexion autour de ce que je voulais te transmettre. Tu l'as compris, cette lettre c'est la conversation que j'aurai voulu avoir de mon vivant avec toi mais que notre façon de communiquer si conflictuelle m'a dissuadé d'avoir.

 

Ma chérie, je te vois grandir et tu deviens très vite – à mon sens, trop vite – une jeune femme indépendante qui veut surtout se démarquer de moi, ta mère.

Tu ne le sais pas mais tu fais les mêmes erreurs que j'ai faites avant toi : tu commences dans la vie et tu ne veux surtout pas te tromper ; alors tes choix sont ceux d'une vieille dame.

 

Je le vois tout le temps à la boutique de décoration, quand mère et fille viennent pour décorer l'appartement de la jeune femme, la fille a des goûts très classiques tandis que la mère, pour qui ce n'est pas le premier projet de décoration, ose plus, va vers des produits plus innovants, plus avant-gardistes. Etonnant ? Pas vraiment.

 

J'espère que quand tu liras cette lettre, tu auras dépassé ce cap.

 

Tu sais, ce n'est pas parce qu'on tombe qu'on échoue. Tout dépend de ton attitude face à cette chute. Tu peux te dire que c'est trop dur, que tu t'en remettras jamais, que vraiment tu ne te relèveras pas indemne – et là, tu auras échoué. Ou tu peux essayer de comprendre pourquoi tu es tombée, tirer un enseignement, te relever et repartir – là, tu auras appris quelque chose qui te permettra de progresser.

 

Je ne l'aurais jamais avoué - pas même à moi-même – mais à ton âge, j'étais morte de trouille. Je commençais dans la vie active en tant qu'architecte d'intérieur dans un cabinet très en vue, une grosse machine à projets. Comme j'étais inexpérimentée, on ne me confiait pas de beaux projets. Mon ambition me rendait impatiente et mon orgueil faisant de moi une personne prétentieuse, une jeune femme exécrable qui savait tout sur tout. Que c'est drôle quand j'y repense !

 

Si je pouvais avoir devant moi la jeune femme que j'étais alors, je lui mettrais des baffes. Quoique, quand je te vois essayer de percer, de pige et pige, en tant que journaliste, je vois que tu as la même attitude que moi à ton âge… et je te laisse être cette petite conne avec une tendresse et, même, un brin de fierté. Bien sûr, je ne laisse rien paraître, ne dis jamais que je crois en toi, en ta réussite professionnelle.

 

Côté vie privée, je voulais tant me détacher de ma mère qui n'a jamais rien fait d'autre que d'être dans l'ombre de papa, à le servir comme si elle était sa bonne et à attendre à la maison qu'il revienne de son boulot. Je ne voulais pas être une femme au foyer. Je ne voulais tellement pas dépendre financièrement d'un homme que je n'en laissais aucun m'approcher. Juste de multiples histoires d'un soir. J'étais comme certains mecs : je consommais des hommes jetables.

 

Je me croyais libre et indépendante. Pourtant, en cherchant à atteindre des objectifs que je croyais m'être fixée toute seule, je me mettais une énorme pression. Fille unique, je ne voulais surtout pas décevoir mes parents et, en même temps, je tenais à leur prouver que je pouvais faire beaucoup mieux qu'eux dans ma vie.

 

Combien de temps perdu à essayer de devenir quelqu'un d'autre que moi ! 

 

Mais ça c'est mon histoire. Mon Eléonore chérie, à toi de construire ta vie comme il te semble. J'espère juste que ces confidences que je te fais, au sujet de la jeune femme que j'étais, seront autant d'anecdotes qui feront que tu oseras être toi-même dans tes choix de vie. »

 

Bien sûr, la lettre continuait mais elle concernait plus Marina et Léo dans leur relation si particulière d'une mère et sa fille : je ne me suis pas sentie le droit de vous le transmettre.

 

Je vous ai rencontré par l'intermédiaire de Robin, ce qui est si peu probable quand j'y pense, et comme on s'échangeait les banalités d'usage dans ces soirées-là, j'ai compris que vous pourriez m'aider à devenir celle que je sais que je suis.

 

Je n'ai pas osé vous le dire ce jour-là mais, en plus d'avoir démissionné de mon poste pour aller travailler dans la boutique de Damien et Léo, je me suis mise à tricoter des histoires. J'écris tous les jours parce que ça me fait du bien.

 

Mon style n'est pas encore très étoffé mais si vous voulez bien jeter un œil sur ce manuscrit que je vous envoie ci-joint.

 

J'aimerais pouvoir avoir l'opportunité d'avoir votre avis car j'admire votre travail d'écrivain et, comment vous le dire, j'admire l'homme que vous êtes.

 

Excusez mon audace. J'espère sincèrement que vous serez allé au bout de cette longue lettre.

 

Bien à vous,

 

Marie Guevost

 

 

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