Arthuro Bandini
boul2neige
C’est à toi que je m’adresse Bukowski. Prends ce compliment en premier lieu : tu es un alcoolique. Mais ne te réjouis pas trop vite, je te passe la brosse à reluire pour que tu puisses y sentir ses pointes : tu es un menteur.
Lors d’une préface perfide, jouant de ta notoriété, tu as prétendu être Arthuro Bandini. C’est faux. Je suis Arthuro. Et je suis bien placé pour le savoir, vu que je le suis.
Je suis l’excuse de Fante pour pouvoir être mauvais, pour pouvoir être torturé. L’excuse qui lui permet de coucher sa misérable vie sur papier. Il arrive même à faire de l’argent avec. Mon Dieu, pardonnez-moi, gagner des billets à écrire des vilaines choses qui se sont passées cela doit être pêché. Je m’en veux des fois d’être ça. D'être un prétexte pour que ce gros abruti de Fante puisse s'épancher et pleurnicher sur son malheur. Alors qu'il est si fourbe avec sa mère, avec les femmes, si peureux de son père, si jaloux de tout et de tout le monde. C'est bien fait quand la seule chose qui me reste pour dîner c’est du lait babeurre. Moi qui hais le babeurre.
Bandini, c’est mon blaze et il est taillé pour moi, juste assez cintré avec son odeur de crapule mal dégrossie. Il me vient de mon père. Un maçon cubique qui a des battoirs à la place des mains. Ils ont débarqués d’Italie lui et ma mère. Il me parle du pays, de sa chaleur, de son amour pour ce lopin de terre brulé par le soleil.
Le paternel, il ne pense qu’à son boulot de poseur de brique. Il ne jure que par le travail parfait. Et par les claques qu’il me file quand je fais des conneries. Il voulait que je le suive. Que je reprenne le flambeau familial.Si seulement j'avais pu être un artisan comme lui, un amoureux du ciment, un passioné de la brique. il aurait été comblé.
Mais je n’ai rien à voir avec lui. J’ai des idées dans la tête, moi, j’ai des plans et je rêve à des choses que personne dans cette fichue baraque ne pourrait même soupçonné.
Je veux devenir joueur de baseball. J’ai un bras gauche magique, un bras qui sait lancer, qui sait aimer la balle, qui la cajole. La balle est l’amie de mon bras, elle lui sourit, elle lui parle. Je serais le nouveau Babe Ruth, c’est une evidence.
Quant à ma mère, elle ne vit que pour deux hommes. Mon père et Jésus. Elle est tellement dévouée. On peut lire dans ses grands yeux larmoyants son amour sans faille pour notre Seigneur. Il passe avant tout sauf mon père qui ne se prive pas pour se moquer d'elle quand il rentre ivre après ses parties de carte en puant le mauvais cigare.
Je déteste la décevoir, pourtant je n’arrive pas à faire autrement, c'est plus fort que moi. Alors, elle égrène son chapelet en répétant mon nom d’une voix suppliante. « Qu’as-tu encore fais Arthuro à l’école ? Pourquoi jettes-tu de l’encre sur cette jolie petite fille ? Oh, Arthuro, que vas-tu devenir ? Arthuro, mon petit, ne finis pas comme le fils des voisins, le mexicain, celui qu’ils ont envoyé en pension. Arthuro, va à l’église, le père t’aime bien, il t’apprendra à bien te tenir. »
Ma pauvre maman, si tu savais. Le prêtre n’est rien à côté du diable que j’ai dans le corps. Cette petite fille, Juliette, avec sa peau si pâle, si blonde. Elle m’a rejeté. Elle m’a traité de sale rital. Je me suis senti crasseux. J’ai même eu honte de nous, de ce que l’on est. Tu te rends compte, j’ai eu honte de toi, de papa et du petit. D’être ce sale immigré crasseux qui ne sera jamais aussi blanc et qui ne pourra jamais avoir cette fille. Alors j’ai juste voulu la noircir un peu, maman. Pour qu'elle ressente comme c'est dur de n'être qu'un basané, qu'un rebus. Tu comprends ? Je sais que non, maman mais tu aurais vu sa tête, elle était écoeurée, elle pleurait de dégout. cela m'a tellement fait jubiler, même la punition ne m'a pas dérangé. Pour te dire, sur le moment j'en ai oublié le Seigneur.
Quelques années plus tard, à mes 20 ans, je suis un écrivain, comme mon inventeur, comme John Fante. Je déménage à Los Angeles. la Cité des Rêves. Un endroit qui permet à un n'importe qui comme moi de devenir quelqu'un. J’ai lu quelque part qu’être écrivain ça plait aux filles. De toute façon, les choses que je vois, mes émotions ne m'ont pas laissé le choix. Et mes parents ne voulaient pas entendre parler du baseball.
Tous les grands artistes ont plein de conquête, des femmes sculpturales avec des longs cheveux qui sentent l’interdit.
Les femmes me dévorent de l’intérieur. Je les aime et je les hais, je ne les comprends pas. Elles me dégoutent parfois, surtout quand elles me font pitié, pourtant je n'arrive pas à faire autrement que d'être là pour elle, que de les regarder. Elles me poignardent quand elles me volent mon coeur et mes affaires mais au final je reste passif, asservi. Avec pour seul arme des coups de gueules et des intimidations physiques.
Elles ne savent jamais ce qu’elles veulent. Quand on est là, elles passent leur temps à nous fuir, quand on est gentil, elles nous attaquent avec leur venin. Mais dès qu’on en a marre de se faire piétiner, elles rappliquent comme des petits toutous peureux. Cette Camilla par exemple. Cette immigrée encore plus que moi, avec son accent latin à couper au couteau. Je la trouve si belle. Une vraie danseuse, ses huaraches aux pieds, elle volette de table en table, assurant le service de ce restaurant minable. Mais cet horrible accent, ça ne veut rien dire. Comment pourrais-je être avec une femme qui me tirerait vers le bas alors que je fais tout pour être quelqu’un ? Nous ne serons jamais acceptés par le beau monde avec ses manières de métèque mal éduquée.
Alors on se fait la guerre tout le temps car elle ne veut pas être sur mesure pour moi, elle ne veut pas rentrer dans ma vie et ne veut surtout pas bien se comporter. En plus elle s’est amourachée du barman, John, une espèce de grand échalas moribond et mourant. Lui, il s’en fiche complètement et c’est moi qui me retrouve à devoir lui filer un coup de main après les supplications de Camilla. Moi qu'elle à quitter pour cette loque. C'est un vrai coup dans le ventre, ça fait mal à ma fierté, mais Dieu s’en souviendra. Arthuro le sauveur, Arthuro, l’homme prêt à aider son pire rival, son ennemi juré. Arthuro à eu des travers mais, au fond il est bon. Ma maman serait fière.
Elle le sera d’autant plus quand je lui aurais dit que j’ai vendu des exemplaires de mon premier livre « mon chien stupide ». J'ai vraiment taffé pour ça, j'ai même mon petit appartement en contrebas d'une colline que je peux payer grâce à mes ventes.
Je ne sais pas si Jésus me regarde. Je ne sais toujours pas choisir entre tous ces interdits qui m'attirent si fort et être un homme recommandable. Je ne comprends toujours rien aux femmes et ne vois pas de quoi l'avenir sera fait. Je n'ai aucune place dans la société, ni immigré, ni américain, je ne suis que sur le fil de ce cantonnement que je ne maitrise pas.
Je sais par contre que je suis sanguin, impulsif, émotif, guidé par mon coeur qui est grand même si je m'en défends. Je sais que je me délecte des plaisirs simple et que j'aime par dessus tout mon métier et ma famille malgré leurs énormes défauts.
Je sais que je suis Arthuro Bandini et c'est déjà pas mal. Tiens le toi pour dit Bukowski.