Attachez vos ceintures...
perce-neige
Qu'est ce qu'une vie ? Et, surtout, - oh, mon Dieu, oui, surtout -, qu'en reste-t-il quand plus personne, soudain, n'est là pour en témoigner ? Et puis, sérieusement, les ami-e-s, vous est-il arrivés, à vous, j'insiste…, vous est-il arrivés, à vous, de croire pour de bon à ces histoires, pour le moins abracadabrantes, dont nous accablent le premier gus venu, sur le coup de vingt trois heures et des poussières, dès lors que le sourire mielleux du type en question, légèrement échevelé sur les bords, apparaît benoitement sur l'écran bien décidé, semble-t-il, à vous expliquer, en long en large et en travers, en quoi consistent précisément les avancées de la connaissance les plus récentes en matière d'astrophysique, à savoir l'effondrement silencieux des nuages de matière froide, l'étrange genèse des trous noirs au cœur même des étoiles, l'interminable fusion des galaxies les plus lointaines, les mystérieuses émissions de rayons gamma, voire, si toutefois, à ce stade, vous n'êtes pas encore définitivement écœurés, assommés, voire donc, ce que pourrait bien, mine de rien, signifier, dans notre quotidien le plus concret, la brusque distorsion du temps et l'inversion complète du monde sensible ? Sérieusement… Et d'ailleurs, plus généralement, comment peut-on, sans immédiatement sombrer dans la plus profonde des dépressions, consentir explicitement à cette extravagante et proprement incroyable théorie, dite du bing bang… Hein ? Oui, comment, au fond, accepter de but en blanc notre misérable et éphémère condition alors même que les dimensions physiques de notre monde ne sont qu'hypothèses et habiles constructions de l'esprit ? Surtout, qu'à ce propos, si vous me permettez, comment pourrions nous approcher, et plus encore effectivement confirmer la véritable réalité de la dynamique des pulsions, sans même parler de la structuration de l'inconscient dans ses rapports avec les instances du surmoi ? Non, vraiment, sérieux (…), comment peut-on penser –penser, au sens propre du mot – comment peut-on penser tout cela ? Et puis, faut-il accepter sans broncher ces obsessions de forclusion du sens dont Lacan et ses sbires semblent s'être hélas employés à imposer l'évidence dans l'univers intellectuel de la seconde partie du vingtième siècle ? Et comment se résoudre, entre parenthèses, à laisser la planète se réchauffer à toutes berzingue ? Et, dans le même ordre d'idées, ou à peu près, comment se comporter, au jour le jour, avec tous ces zozos plus ou moins bien intentionnés, il faut bien le dire, qui lorgnent vers votre jardin avec une avidité non dissimulée, et de plus en plus d'insistance, et se verraient bien, les mecs, ni plus ni moins assis peinards à votre place, à siroter un gin, au bord de la piscine… Putain… Et quant à Hélène, oui, parlons d'elle, quant à Hélène, comment simplement imaginer ce qu'elle a réellement dans la caboche quand elle vous balance dans les gencives que vous n'êtes qu'une ordure de première. Vu qu'elle en a, soi disant, marre de vos frasques. Et de vos, soi disant, propos injurieux. De votre, soi disant, comportement de salaud. Oh, bon Dieu, comment faire pour s'en sortir une fois encore ? Oui, comment faire, surtout, pour éviter que la discussion ne dégénère sévère et tourne alors en moins deux à l'affrontement quasi généralisé. Et qu'on en vienne à devoir tout, réellement tout justifier. La présence d'une certaine Véronique, à votre bras, l'autre soir. Les drôles d'appels téléphoniques à une heure du mat. Les débits, un peu excessifs, certes, repérés récemment par son œil de vipère, sur le compte bancaire... D'accord, d'accord… Parlons d'autre chose, tu veux bien ? Bon sang de bonsoir, de bordel de merde, comment se débrouiller avec ça ? Et bien, nul doute, croyez moi, que Frédéric Flament, dorénavant, aurait largement, oh mon Dieu oui, largement le temps de ruminer les réponses à toutes ces questions... Et, par parenthèses, à d'autres également, plus personnelles encore, vous pouvez me croire !
Mais en l'espèce, à cette heure là, Frédéric Flament n'est guère en mesure de répondre à grand chose ! Bien qu'on lui braille brusquement des trucs de dingue à moins de cinq centimètres de l'oreille droite. Et qu'on en vienne, soudain, à lui attraper le bras sans prendre, je vous assure, beaucoup de précaution. Et qu'on se permette, dans la foulée, de lui pincer la cuisse – laquelle, déjà ? - de manière, excusez du peu, de manière com-plè-te-ment cinglée. Non, mais je rêve… En fait, Frédéric Flament, ce jour là, à cet instant-là, très exactement, s'accroche désespérément à une espèce de saleté d'horrible tissu qu'il malaxe à mort, du bout des doigts, en s'efforçant vaguement de deviner ce dont il s'agit. Puis se défend comme un beau diable quand, quelque part dans le paysage, on lui travaille gentiment l'épiderme, les veines et les ramifications neurologiques. Oui, Frédéric Flament se rétracte alors comme une huitre. Et s'apprête à gesticuler. A se révolter grave. A se fâcher pour de bon. A se lever aussi sec. A tous, oui, même là-bas, dans le fond de la salle, à tous les envoyer se faire voir… A refuser, entendez vous bien, à réellement refuser dorénavant d'en supporter davantage. Non, mais, les mecs, ça va bien, là... Pour qui vous prenez vous ? Hein ? Voulez vous me le dire ? Ne serait d'ailleurs pas bien loin, Frédéric Flament, de se foutre carrément en colère. Mais rencontre surtout le montant froid de quelque chose qu'il est totalement incapable d'identifier. Hého, du navire, vous m'écoutez un peu ?
A peine, en vérité... Certes, Virginie Michon se penche régulièrement vers lui. Se met, alors, authentiquement, quoique brièvement, réellement à sa portée. S'approche, oui. Se penche, oui. S'avance un peu plus, oui. Et, surtout, surtout lui murmure. Lui raconte n'importe quoi. Lui susurre une berceuse. Et lui change, peut-être, ses couches, lui donne le biberon, allez savoir, cherche, en tous cas, maladroitement à le rassurer. Surveille tout de même la perf du coin de l'œil. S'inquiète, mais sans le dire, de la sous-clavière presque bancale qui pourrait bien ne pas supporter très longtemps la drôle de mixture dont on l'abreuve. Rassemble en moins de deux, pour les garder à portée de main, on ne sait jamais, les ampoules de cardiotonique et toute la panoplie d'électrolytes. Evite, on ne sait trop comment mais non sans s'esclaffer exagérément, à chaque virage un peu serré que négocie l'ambulance, de ne pas s'effondrer, illico, de tout son long, sur le client… On a connu ça ! Ouaaaah… Félicite alors, publiquement, Omar, l'as du volant, d'un large et franc sourire au rétroviseur qu'il conviendrait, tout de même, de ne pas trop trop prendre pour ce qu'il n'est pas. Quoique… Et profite d'une brève accalmie sur le front des intempéries, - super, on est à nouveau en rythme sinusal… - pour suggérer, d'un soupir, à Charles-Antoine Parmentier, le bellâtre, - lequel bellâtre se retrouve, une nouvelle fois, lamentablement coincé dans le fond du véhicule entre deux obus d'oxygène, - qu'il serait peut-être temps de fêter l'arrivée du printemps, d'une manière ou d'une autre, non ? Dans la version soft, il s'agirait juste de réserver une table au Prince de Galles… Sachant que dans la version hot, il s'agirait aussi de renouveler l'expérience du Prince de Galles… jusqu'au bout… Ce à quoi, en vérité, Charles-Antoine Parmentier ne s'empresse guère de répondre. Vu qu'il commence salement à se lasser de ce tout ce que manigance ma-de-moi-selle Delphine Michon pour peu qu'il ait le dos tourné. Et qu'il sait parfaitement ce à quoi elle voudrait parvenir. Et qu'il n'a nulle envie, mais alors nulle envie, mes ami-e-s, d'avoir demain, ou même après demain, ou même plus tard, une espèce de moutard sur les bras. Un gnard à torcher, si je puis dire, du matin jusqu'au soir. Un connard de gamin à qui, pour faire bonne mesure, il aurait à raconter des histoires, le soir, tout ça pour l'endormir sans trop traîner. Un môme à qui faire des risettes. Des giligilis. Des gulugulus. Des papapapas. Des mamamamas. Des chchchchchch. Des boudouboudousboudous… Non, merci bien Delphine, franchement… Dans tes rêves, oui, mais en vrai trop peu pour moi... Si bien qu'il consent à peine, - et ce, en dépit d'une imprévisible et brutale sollicitation hormonale, contemporaine d'un flash back suscité par un discret changement de perspective, à savoir la très légère rotation du buste de Delphine et, par suite, l'accentuation prononcée de son profil, la tendre volupté dont il se remémore l'issue, oui…, - en dépit donc du vertige un peu angoissant qu'accompagne inévitablement le sentiment d'avoir déjà vécu une telle scène, il consent à peine, oui, à peine mais tout de même, à hocher lentement, très lentement, la tête, tout en détournant ostensiblement le regard. Prétextant, sans le dire, une attention un peu excessive portée au paysage qu'il feint soudain de découvrir, estompé, à travers la buée de la vitre arrière du véhicule. Une option qui se révèle, d'ailleurs, bougrement intéressante. Vu que l'ambulance traverse à toutes pompes la campagne environnante, qui s'avère fleurie au possible, égayée de sapins comme ce n'est pas permis, illuminée d'azur éclatant et d'un soleil printanier, peuplée d'oiseaux et de diverses autres espèces qu'il serait inutile et tout à fait vain, en vérité, de vouloir recenser. Reste que la contemplation muette d'un paysage, fut-il enchanteur, n'a qu'un temps. Et que bientôt Charles-Antoine Parmentier se résout à planter tout à fait franchement son regard dans celui de Delphine Michon. Et que quelques mois plus tard, à peine plus, ni l'un ni l'autre ne se souviendront exactement, - car cela n'aurait, alors, croyez-moi, plus aucune espèce d'importance…, - de ce qu'elle s'était, mine de rien, imprudemment aventurée à lui raconter. Et qu'il ne s'agirait pas de répéter à voix haute à n'importe qui et surtout n'importe où. Et dont Frédéric Flament, bizarrement, avait ni une ni deux parfaitement deviné le sens. Au point de croire que c'était, maintenant, à lui de répondre. Et à personne d'autre. Au point de porter, à sa bouche, le pli malodorant et rugueux du drap dans lequel Omar, autrefois, l'avait bordé, et tout en rêvant d'embrasser de caresses le foulard de soie que Véronique portait quand ils s'étaient retrouvés, tout à fait par hasard, juré craché, une bonne dizaine d'années plus tôt, dans le brouhaha fiévreux d'une salle d'embarquement de l'aéroport de Florence. Au point de confondre, en un désir soudain, éperdu, la courbure feutrée de la bouche de Delphine, avec d'autres lèvres qu'appelaient d'autres noms, d'autres murmures, d'autres aveux jamais entendus. Reste que, plus tard, le soleil printanier se fera péniblement estival. Puis lentement automnal. Puis déclinera, peu à peu, sur l'horizon toujours incertain, brumeux, et de manière, croyez moi, affreusement vertigineuse. Reste que de longues, et désolantes, processions de grues sauvages traverseront, alors, durant des jours, - des jours et des jours,- le ciel souvent gris, mais changeant, d'est en ouest, zébrant les cumulonimbus d'un alphabet de la fuite et gémissant, du matin jusqu'au soir, leur lancinant chapelet de plaintes déchirantes et de cris acérés que l'on eût dit presque humains, presque sortis de la gorge asphyxiée d'un bambin.
Un voyage sensible et fascinant dans les limbes de la psyché à mi-chemin entre la vie et la mort. Merci pour ce ce périple !
· Il y a plus de 7 ans ·Julien Darowski