Au bal des sentiments

Benjamin Katagena

“Les regrets éternels n'existent que sur la pierre” Tristian Maya
Je lève mon verre !


À son corps étendu comme une caresse, comme une promesse qui ne se tiendra pas. Je lève mon verre. Aux rêves de nos enfances et à ceux d'à présent, moins faciles à toucher, plus lourds de conséquences. 
Je lève mon verre. À mes bientôt trente ans que je peine à porter. À nos vains décollages, quand on pensait encore pouvoir toucher les cieux.
Aux veaux pour l'abattoir comme morts à la mémoire de notre cruauté. Aux jardins de Versailles sous la brume d'un dimanche d'automne.
Je lève mon verre.  Au goudron qui tapisse mes petits poumons noirs.
Aux professeurs martyrisés d'insolence. Aux pages restées trop blanches sur les bancs du lycée. Je lève mon verre.
 Aux gilets que ma mère me cousait, aux soucis que je lui ai causé.  Aux vers que j'écris et à ceux que je porte à mes lèvres rougeâtres.
Au piano du voisin dont les notes viennent caresser mes volets fermés. À la pluie qui tombe sur nos mélancolies et au soleil qui revient parfois. À Stockholm aussi, je lève mon verre.
À ce pauvre curé solitaire qui se termine au vin de messe au fond de la sacristie, se demandant si son Dieu le regarde encore. À l'herbe du voisin bien plus verte que la mienne. Au temps que j'ai passé à regarder le temps défiler sous mes yeux mi-clos, aux tics et aux tacs de la ténacité de l'horloge à mon âme. À ceux qui lisent mes humeurs souvent sombres. À notre jolie France dont l'avenir dépend d'une poignée de connards. Je lève mon verre.
Aux rois de pacotille et à ceux qui crèvent pour un morceau de pain. Aux collectionneurs de dollars dont l'indécence n'a de limites. À l'amour qui revient, à celui qui s'en va. Aux cases dans lesquelles les autres nous foutent, je lève haut mon verre.
Signaler ce texte