Au dessus de l'écran

Jean Claude Blanc

A mon père "ce héros au sourire si doux..." d'après V Hugo

                                Au-dessus de l'écran

 

Au-dessus de l'écran, j'ai placé ton image

Une photo flétrie, sûrement d'un autre âge

Alors t'étais vivant, pas de rides au visage

Je te ressemble Père, mais en un peu moins sage

 

Pourquoi t'ai collé là, sur le téléviseur

Pour te prendre à témoin, du monde des horreurs

J'alterne mon regard entre ces deux mirages

Du haut de tes vertus, t'adoucis mes orages

 

Une gravure figée, promet l'éternité

C'est plus qu'un feuilleton, sans cesse, ressassé

Une scène de vie, gravée dans le papier

On s'en fait tout un film, pour se réconforter

 

Dans mon étroit logis, j'assemble quelques traces

De mon enfance heureuse, pour pas qu'elle s'efface

Mais le temps prend son temps, pour dérober, hélas

Des parcelles de vie, les tendresses fugaces

 

Faut dire qu'à 20 ans, t'ensorcelais les dames

L'air ne pas y toucher, couvait en toi, la flamme

Moustache à la Gable, la mèche sur les yeux

Comme dans « Casablanca », charmeur demi-dieu

 

C'est pas de son vivant, qu'on est plus adulé

Se croisent sans se voir, chalands, regards distraits

Bonheur à ta portée, au présent dédaigné

Quand a viré de bord, t'enchantent ses bienfaits

 

Un peu anachroniques, ces scènes domestiques

Pointe de modernité, pour faire un peu branché

Quelques objets épars, souvenirs nostalgiques

On mélange le tout, juste pour se rassurer

 

Cendrier fantaisie, voisine avec rengaine

Une pipe rongée, est mise en quarantaine

Pendant que l'autre pitre, t'éblouie les mirettes

Drôle de philosophie, réalité surfaite

 

Je ne suis pas du genre, invoquer mes ancêtres

Ni de m'accaparer, la science du paraitre

Dans ton cadre doré, je sais que tu m'observes

Guettant mes moindres gestes, rajustes mes colères

 

Ça fait un peu ringard, ces formules surannées

J'ai retenu de toi, les valeurs sacrées

Faut pas jeter aux chiens, ce qu'on a adulé

Mais regarder en face, notre complicité

A ce carré magique, ne fais plus attention

Réflexe automatique, allume télévision

Prétexte pour raviver toutes mes émotions

Mais ce n'est que du flan, pour toi, ma dévotion

 

C'est fou, ce qu'on fait dire, à un simple cliché

De l'imagination, j'en ai à satiété

Mais j'ai pris pour parti, écrire à l'infini

Que ne ferais-je pas, pour te redonner vie

 

Y'en a bien qui placardent, les fruits de leur nichée

C'est fou ce que ça change, année après année

La saga au complet, s'affiche sous leur nez

Mais la félicité, s'envole à l'imparfait

 

Au-dessus de l'écran, tu règnes en solitaire

Parfois je t'époussette, quand j'y vois plus trop clair

Souvent besoin de toi, je cherche tes lumières

Chaque jour que Dieu fait, te confie mes galères

 

Qu'est-ce qu'on va pas chercher, pour avancer sans trêve

Souvenirs du passé, ne sont jamais en grève

De ce monde d'aujourd'hui, évidemment j'en crève

Me retourne vers toi pour caresser mes rêves

 

On s'attache à des riens, on bricole symboles

Avec notre existence, on subsiste à la colle

Mais ton harmonica, rangé dans son coffret

Le garde près de moi, témoin de tes trophées

 

De ces humbles reliques, ne me séparerai

Car ce sont des trésors, bénis d'éternité

Je marche sur tes sentiers, modeste, à pas feutrés

Intime de ma famille, aux secrets bien gardés

 

Sévère réalité, qu'on nous assène tout cru

J'élève mon regard, pour pas te perdre de vue

Y'a deux humanités, qui se battent en duel

D'un côté cruauté, de l'autre 7ème ciel

 

De déchirer la toile, c'est sûr, le voudrais

M'asseoir près de toi sur moelleux canapé

Mais tu t'en es allé, au pays des abstraits

Tu m'as laissé tout seul, aux dilemmes confronté

 

A la lucarne magique, préfère ta musique

Bel homme tu faisais, un semblant romantique

Dans ton cadre doré, t'assièges mes pensées

Quand j'en ai plus que marre, tu viens me consoler

 

JC Blanc                 octobre 2019    (à mon Père disparu, 26 ans déjà)

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