Au-delà des cimes muettes
nessus
La ville grouille verticale et magnétique - manufacture populeuse et exaltée - bruisse du fracas rauque et frénétique des machines besogneuses.
Cortège de paysages cruels, de bitumes tièdes... kyrielle morose de plates-formes poisseuses... de calottes rigides et de chapes liquides... d'armatures complexes et de traverses muettes qui se suivent et se mêlent, palpitent, croisent et s'entremêlent... tempête de pistons et d'appendices qui coulissent et s'époumonent en invectives laborieuses, vibrent et sonnent clairs jusqu'au ciel.
Les immeubles immenses et réguliers réfléchissent les rayons, se délectent de leurs pointes ternes, minces feux de paille qui embrasent les étendues rases et désertiques d'un halo fade et desséché.
Leurs murailles de verre et de béton se dressent vers les cieux, industrielles... démesurées... saillies franches et livides dont l'ombre se découpe immobile, abîme suspendu sur la cité.
Les multitudes ondulent farouches et terribles, grondent de concert, déchainent leurs airs pénibles et lancinants. Elles charrient un flot amer de silhouettes de métal, spectres grêles et mécaniques froissés par les vents dont certains oscillent confus et lointains au-dessus des gratte-ciel, là où d'autres filent nets et fendent l'air avant de fondre bien visibles sur leur proie.
Leurs moteurs et leurs hélices vibrionnent furieux, éructent et toussent violemment, vomissent un langage lourd et convulsif qui recouvre le murmure subtil du temps d'une rumeur sourde et électrique.
Automates fidèles, acrobates fébriles, ils dévorent les espaces, galopent dans l'éther pourpre infatigables et serviles… souples et métalliques…
Nul besoin d'équipages pour ces étranges appareils qui cinglent véhéments, tourbillonnent et dévoilent en chemin l'éclair fugitif de leurs rémiges de bronze.
Leur essaim bourdonne bruyamment, prend parfois des allures de cohorte redoutable, meute féroce et vorace rompue à la traque… myriade véloce et disparate qui tavèle le ciel gondolé de mille rayures de métal... dévore l'espace d'une noria âpre et infernale...
Laniers de ferraille insaisissables et anonymes, ils scrutent les masses compactes et affairées, traquent les visages hâves disséminés le long des voies, embrassant d'un œil clair la touffeur moite de la foule agglomérée…
Il arrive qu'un engin s'écrase brutalement, morde la poussière vulgaire et disgracié, la carcasse brisée, les tôles mutilées… sentinelle rompue sur le bitume encore moite… dépouille raide et foudroyée… débris fantastiques de grenaille… vestiges lâches et désarticulés.
Ses condisciples prolongent las leurs rondes intraitables, plongent froidement vers la foule perméable et habituée au ballet permanent des vaisseaux de passage, qui collectent et enregistrent, implacables et sans relâche.
Foule morne, excitée par l'odeur fade de l'acier… blême et inusable… masse brutale et morcelée, molle… enragée de techniques, étranglée d'espérances inertes et maussades, impatiente et malléable.
Le seuil du crépuscule épuise finalement les courses folles des nacelles qui fléchissent et enfin se replient, pâlies par l'aura chancelante des nébuleuses délicates, qui se consument puis s'évanouissent, happées dans la pénombre froide et opaque.
Les astres entament alors leur valse juvénile, embaument l'air frais de volutes de résine - funambules indolents et fragiles - étourdis par l'obscurité voluptueuse et limpide, d'un bleu de Prusse très profond et très lisse.
Témoins silencieux de l'éclat dense et sidéral qui pare les voûtes cosmiques de reflets virides et pâles, des formes fluides et rémanentes fleurissent à leur tour, peuplent les cimes de reliefs de dentelle, déguisent le ciel des fragments de mystères grandioses avant de glisser imperceptibles vers la houle calme et élastique, disloquées dans l'immensité vierge et absolue.
Messagers impalpables et éthérés - gonflés d'espace et de temps - essence diffuse et invisible dont les chants frissonnent pour longtemps, paisibles et légers, vibration pure et éternelle des choses qui ne sont plus.