Au fil de l'histoire
akayuki-ookami
C'est comme ça que ça commence. A moins que ce ne soit en train de finir. Une larme qui perle sur ma joue, un couteau de cuisine dont le tranchant effleure dans une caresse à la douceur inouïe la peau de mon poignet gauche. Ma main droite ne tremble pas. Mon bras gauche est un peu replié, il ne tremble pas non plus. Mes yeux sont fixé sur le couteau. Qu'est ce qui se passe ? Qu'est ce que je fais ? La dernière question est inutile, vous devez bien connaître la réponse sans vouloir vraiment l'admettre. Qui commencerait un récit par la fin, après tout ? Qui commencerait par le dénouement et non par la situation initiale ? Eh bien, moi, je le fais, apparemment. Je ne vais pas vous dire mon nom maintenant, je ne vais pas vous énoncer la situation de départ maintenant. Je vais remonter dans le temps au fur et à mesure des paragraphes : il ne devrait pas y en avoir énormément, c'est rapide. Comme la lame qui fend le vent : rapide et meurtrier.
Quand l'idée de me tuer à germer dans mon esprit, car c'est de cela qu'il s'agit, j'étais recroqueviller sur le canapé blanc de mon salon. Sur le plancher vieillot, que je n'avais jamais pris le temps de cirer, gisait de multiple bouteilles de whisky vides. Je détestes le whisky. Mais certaines choses m'ont poussées à finir la réserve qu'Il cachait dans la cuisine. J'étais en train de penser à tout ça, en train de réfléchir à ce qu'avait été ma vie et à ce qu'elle était maintenant. Mon bras gauche pendant dans le vite, ma joue était écrasée sur un coussin, j'ai même bavé un peu il me semble. Une position bien élégante pour un ancien cadre de 36 ans. Je gagnais bien ma vie, l'appartement fait dans les 120m², dans un arrondissement chic de la métropole, au dernier étage d'un immeuble qui fut blanc, jadis, avant d'être éreinté par le temps. Il était 15h, le soleil passant par la fenêtre venait se heurter directement au canapé, je ferme les yeux pour éviter de le subir. L'extérieur était calme, le calme d'un jeudi après-midi hors vacances scolaires.
Alors, qu'est ce qu'un cadre fait rependu sur son canapé un jeudi de travail, à 3h de l'après-midi ? Laissez moi vous l'expliquer. Cela fait environ un an que je suis sans emploie. Mais vraiment, sans emploie. Je n'ai pas fais de petits boulots quelconque depuis mon renvoie de l'entreprise où je travaillais. L'indemnisation de la rupture du contrat a été suffisante pour vivre aisément jusque là, l'allocation chômage qui s'y ajoute m'aide aussi. Je me suis inscris à l'ANPE le jour où j'ai été viré et j'ai attendu en prenant soin de me rendre à chaque rendez vous fixé. 36 ans, ce n'est pourtant pas si vieux... Mais personne n'a voulu de moi. Bien que j'ai des qualifications plutôt encourageantes. Diplômé de la plus grande école avec un an d'avance, engagé dans une entreprise de renom dès mon entrée sur le marché du travail... A quoi bon dans cette société ? Tout ça ne sert à rien lorsqu'on a plus la « rage » comme ils me répètent sans cesse. Car c'est ce qui est ressorti de tout les entretiens d'embauche que j'ai passé : je n'ai pas la rage, je n'ai pas la hargne, je n'ai pas l'envie de me battre. Qui sont-ils pour juger de ce que j'ai envie de faire ? Même si ils ont raison, ils n'ont absolument pas à me dire ça.
Reste à savoir dans quelles circonstances j'ai été renvoyé. Vous serez surpris d'apprendre que la raison de mon renvoie et la raison de mon incapacité à me faire embaucher sont identiques. Je suis sur que tout les PDG ont eu la même éducation car peu importe face auquel je me tiens : je n'ai encore une fois plus la hargne. Après plusieurs mois à attendre un mieux, donc, mon patron m'a convoqué dans son bureau et a cru bon de me réciter un monologue que j'aurais pu définir d’aparté puisqu'il ne semblait pas vraiment s'adresser à moi mais à son secrétaire. Il lui dit donc « Il est clair qu'il est incapable de reprendre le travail dans une optique d'optimisation. Il faudrait songer à une mise à pied. Je sais que les circonstances sont atténuantes mais tout de même, cela fait bientôt 2 ans et il faut qu'il apprenne à se reprendre et à oublier ses maux. » et de rajouter « Il sera correctement indemnisé évidement. ». Parce que l'argent, dans la vie d'un cadre, c'est primordiale évidemment. Me voilà donc fichu à la porte avec mon indemnisation. Et à ce moment, ma seule pensées, c'était qu'il pouvait se la mettre là où on pense.
Pendant les 21 mois qui ont précédés mon renvoie, je n'étais pas tout à fait présent, j'étais même assez... « ailleurs », à vrai dire. Mon esprit était hanté par milles et une pensées, des pensées noires, profondes et maladivement obsédante. La lumière du jour ne m'atteignais plus, les condoléances de ceux dont je reconnaissais à peine le visage ne venaient plus réconforter mon cœur, si elles avaient réussis à le faire un jour. Au bout de quelques semaines, il n'y eu plus de condoléances, comme si il n'y avait plus de mort. Mais il y avait toujours un mort pour la simple raison qu'Il n'était pas vivant à côté de moi, une bouteille de whisky sur la table basse, une main dans mes cheveux, ma tête contre son torse, son regard vers la fenêtre, mon regard vers ses lèvres. Il n'y avait plus ça. Il n'y avait plus lui.
Quelques jours après sa mort, on m'avait forcé la main pour que j'aille voir un psychologue : j'avais fini par le faire. Ça faisait 8 jours et 6h qu'Il n'était plus mais je ne l'avais toujours pas vraiment emmagasiné. Pour moi, il était en voyage d'affaire, encore, c'est pour ça qu'il n'était pas revenu. Une réunion le retardait. Je crois qu'à un moment je me suis même dit qu'Il m'avait trompé et qu'Il se faisait passé pour mort pour éviter que je l'étrangle. Je lui envoyais des SMS pour lui dire que je ne lui en voudrais pas, que ce n'était pas si grave, que je voulais qu'il rentre parce qu'il me manquait. Je l'appelais plusieurs fois par jour, j'entendais juste « vous êtes bien sur ma messagerie, si je répond pas c'est que je suis avec mon chéri. Ou que je suis pas dispo, au choix. Laissez moi un message, je verrais si je peux prendre le temps de vous rappeler ! ». Alors je laissais un message pour lui dire qu'il n'était pas avec moi mais qu'il n'était pas dispo. Mais il ne rappelait jamais . Un soir, il devait être minuit et demi environ, le message avait changé. « Le numéro que vous avez composé n'est plus attribué. » Mais là encore. Il n'était pas mort, Il avait voulu m'oublier, Il m'avait rejeté. Je voulais tout croire, mais pas la vérité.
Si Il ne répondait plus, donc, c'est parce qu'Il était mort. Quand on est mort, on ne répond plus, logique. C'est arrivé le 8 mais 2010. Jour férié censé être heureux, jour de la capitulation de l'Allemagne, de la fin de la guerre. Jour de sa mort. Il n'avait pas la notoriété du soldat inconnu, Il n'avait pas le talent de Jesus, mais Il était mon Dieu, bien plus encore. Il était donc parti pour un voyage d'affaire à Londres, ce n'est pas bien loin de chez nous : nous habitons à Paris. Alors le savoir parti ne m'a pas trop inquiété d'autant plus que son niveau d'anglais est magnifique, aucun risque semblait-il. Eh puis c'est arrivé, Il sortait d'un restaurant magnifique, une beauté dorée, décoré de pierres et d'un chic rustique qui aurait donné envie d'être paysan. Des peintures de désert majestueuses rappelant les vieux westerns de notre enfance, un sable en poussière d'or. Il suffirait de gratter un mur pour devenir riche. Il est sorti, donc, il a sûrement sorti ses clés de sa poche pour faire clignoter les fard de sa Chevrolet Impala de 1967, une voiture de collection, achetée uniquement parce que, disait-il, « avoir la classe de Dean Winchester, c'est avec sa voiture, ou ce n'est pas. ». Dean est un personnage de sa série favorite : Supernatural. Mais qu'importe, Il a certainement ouvert la portière, Il est monté, Il a ajusté le rétroviseur, a passé sa main dans ses cheveux, a vérifié la jauge d’essence, a ouvert la boîte à gant et sorti une cassette des Beatles, puis Il aura démarré. Il sera sorti du parking. Le camion ne l'aura pas vu, parait-il. C'est fou comme la vie ne tient qu'à une seconde d’inattention.
A la base, je ne voulais pas qu'il aille à Londres. Je n'aime pas le savoir loin de moi, même pour une courte durée. 3 jours, ce n'est pas grand chose. Trois tout petits jours de rien du tout. Soixante-douze heures, quatre mille trois-cent-vingt minutes, deux-cent cinquante-neuf mille deux cents secondes. C'est court. Je les comptais, impatient de le voir revenir. Il ne reviendra pas. Je suis là. Je me tiens là. Plus d'amour, plus de travail, plus d'ami, plus de but, plus d'envie. Plus rien. Même plus de vie. Cet appartement est trop cher, trop grand. Le temps qui me sépare d'une mort naturelle semble s'allonger devant moi. Peut-être ne devrais-je pas faire ça. Peut-être trouverais-je l'amour si je restais en vie. Mais non. Je ne peux pas. Je ne peux pas car il était le seul et il restera le seul. Ce garçon à été tué parce qu'il m'aimait. Parce que l'on s'aimait. Mon amour, mon amant... Mon fiancé. Mort parce que certains n'ont pas supporté.
« Un meurtre homophobe dans la banlieue de Londres » titrait la presse le lendemain de sa mort. « Un camionneur de 34 ans avoue, ce matin, après s'être rendu au commissariat qu'il est responsable de la mort d'un jeune cadre français âgé de 23 ans. Nous n'avons pour l'instant que peu d'information à propos de cet homme qui ce serait fiancé la veille de son départ pour un voyage d'affaire dans notre pays. « Sa famille ne s'est pas encore manifestée », nous affirme l'enquêteur en charge de l'enquête. » Je l'ai appris ainsi. Je l'ai compris. Comme un choc. Comme une intuition. Je savais que c'était lui. Et j'avais raison.
Que c'est triste. . .Tu expliques bien à travers le flash back la raison de son désir de son suicide, le décor se pose petit à petit avec ta belle plume. . .Alors, finalement, commet-il le suicide ? On le sait pas. . .Mais faut dire que ce personnage est faible mentalement !
· Il y a plus de 11 ans ·psycose