Au matin du 42° étage

Jade Dorcier

Texte inspiré de l'affiche de Divergente dont je trouve les couleurs sublimes.
Il fait nuit et le ciel est dégagé. Il doit être aux environs de cinq heures du matin et la température doit avoisiner les zéro degrés. Heureusement que ma veste a été conçue pour conserver la chaleur corporelle sinon je serai morte d'hypothermie à l'heure qu'il est. Vous devez sûrement vous demander ce que je fais dehors à une heure pareille, d'autant plus qu'il ne fait pas une chaleur à mettre son nez dehors. Et bien, depuis quelques temps, je suis réveillée en plein milieu de la nuit par des cauchemars dont je ne peux pas me rappeler. Je suis alors incapable de me rendormir et j'ai l'impression d'étouffer dans l'espace confiné de ma chambre. Dès lors, j'ai pris l'habitude de monter en haut du plus grand immeuble de la ville et de regarder le soleil se lever. J'aime cet instant où il n'y a que moi et où j'ai l'impression d'avoir accès à un trésor dont personne d'autre ne connaît l'existence.  Pendant quelques temps, j'oublie toute la noirceur qui entoure mon être et je me prends pour le maître du monde- ou du moins, de la ville. 
J'arrive enfin au pied du plus haut bâtiment que je connaisse. Je me dévisse le cou pour pouvoir apercevoir le sommet. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire d'excitation et un frisson d'adrénaline me parcours l'échine. J'ai vraiment hâte d'être là-haut.
Je m'avance vers l'entrée et passe à travers la porte en verre, brisée depuis longtemps. La lumière de la Lune et des étoiles se reflètent sur le verre pilé qui crisse sous ma semelle épaisse, donnant l'impression que le sol est recouvert de milliers de petits diamants. C'est beau. Je me dirige vers l'ascenseur qui se trouve au fond du hall d'entrée. Bien que le bâtiment ait été abandonné depuis longtemps, le courant passe toujours ce qui m'évite de gravir à chaque fois les quarante et un étages à pied. J'appuie sur le bouton d'appel et les portes métalliques s'ouvrent aussitôt sur une cabine plutôt large avec un miroir qui recouvre la paroi du fond. Tout le reste est tapissé par de la moquette décolorée et mangée par des mites par endroit. J'entre et appuie sur le bouton qui mène au quarante et unième étage. Les portes se referment et je commence à m'élever. Le néon qui éclaire l'espace confiné dans lequel je suis grésille et me plonge dans le noir par moment. Il faudra que je pense à régler ce problème si je ne veux pas être dans le noir complet la prochaine fois. Je me tourne vers le mur du fond et regarde dans le miroir de quoi j'ai l'air. On dirait vraiment un espion, habillée toute en noir et la capuche rabattue sur ma tête qui cache mes yeux. 
Quelques minutes plus tard, j'arrive au dernier étage du bâtiment. Néanmoins, il me reste encore une trentaine de marches à gravir avant d'arriver sur le toit. Je sors de la cabine qui ouvre sur un couloir dont le sol est recouvert d'une moquette vert foncé immonde. Je tourne à droite et me dirige vers la fenêtre qui se trouve au bout. Je l'ouvre et un vent glacial s'engouffre à l'intérieur me faisant frissonner. Je baisse la tête et aperçoit l'escalier métallique qui mène droit vers mon but. Sans hésitation, j'enjambe le rebord et me laisse tomber sur la grille en métal qui se trouve juste en-dessous. J'écarte les jambes, plie les genoux et atterris sans problèmes. Une poussée d'adrénaline me fait sourire. J'y suis presque. Je m'élance au pas de course dans l'escalier. J'arrive sur le toit à bout de souffle, les cuisses en feu mais aux anges. Le vent du Nord, froid et puissant, s'engouffre dans ma capuche et la fait basculer en arrière. Je m'avance vers le rebord et me campe là, à un pas du vide, les bras écartés, les cheveux aux vents et les doigts frigorifiés. Je contemple les ténèbres qui s'étalent à mes pieds comme si j'étais devenue la maîtresse des Enfers. Un vertige me prend et je m'éloigne précautionneusement du rebord. Je tire sur mes manches pour recouvrir mes doigts devenus de véritables glaçons. Je m'allonge sur le sol et contemple le ciel étoilé. La nuit, toutes les lumières de la ville sont éteintes, ce qui fait que je vois parfaitement la Voie Lactée s'étendre dans l'encre noir du ciel. Je contemple la beauté de ce tableau unique et éphémère. Les autres ne savent pas ce qu'ils ratent.
Deux ou trois heures plus tard, le ciel commence à s'éclaircir à l'est. Je me relève péniblement, les membres ankylosés. Je m'approche du bord et m'assoie, une jambe dans le vide, l'autre repliée contre ma poitrine. Une à une, les étoiles disparaissent et les rayons du soleil commencent à poindre de derrière les montagnes au loin. De magnifiques couleurs envahissent le monde: les montagnes, les nuages et les bâtiments se teintent de violet, le ciel devient un magnifique nuancier allant du blanc au rouge sanglant,passant par le bleu azur, le bleu roi, pour terminer par le bleu nuit et enfin le noir ponctué des dernières lueurs de la Lune et des étoiles. Je sens peu à peu les rayons du grand astre frapper ma peau et la réchauffer. Aveuglée par la vive lumière, je place ma main devant mon visage. Je m'amuse avec mes doigts à filtrer les rayons incandescents. Une pensée me fait sourire: il y a longtemps, quelqu'un a dit que la journée appartenait à ceux qui se levaient tôt. Ses propos n'avaient jamais été aussi vrais qu'aujourd'hui.
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