Au milieu des vignes

ttr-telling

Elle dormait à poings fermés, mais de légers soubresauts vinrent malgré tout la tirer hors de ses songes.

Elle mis quelques secondes à comprendre ce qui l'avait réveillée. Elle sentait de très légers mouvements dans son dos, et une respiration étouffée et saccadée. Un frisson la parcouru un instant, lui provoquant une vague de chair de poule.

Cela faisait un peu plus de deux ans qu'elle fréquentait William, et jusqu'à présent, elle n'avait jamais eu l'occasion de voir ne serait-ce qu'une faille dans son armure. Elle l'avait toujours considéré comme un roc immuable, sur lequel glissaient la pluie et le vent.

Mais cette nuit-là, elle perçu, au moins en partie, les aspérités creusées par les intempéries qu'il avait traversé.

Alors qu'elle se retournait doucement dans le lit, elle se figea un instant, ne sachant trop quoi faire. Elle percevait la silhouette de son amant dans la pénombre. Il semblait assis, penché en avant, les épaules affaissées et tremblantes. Il avait l'air de serrer quelque chose dans ses bras.

- "Will..? Qu'est ce qu'il se passe?" lui murmura-t-elle doucement, en posant délicatement sa main dans son dos. Son t-shirt était trempé.

William réagit à peine à son contact. Tous ses muscles étaient crispés, comme s'il faisait un effort surhumain pour contenir une tempête.

Alors que l'inquiétude grimpait en elle, devant l'absence de réaction de Will, Sarah alluma la petite lampe de chevet qui trônait sur sa table de nuit. Une lumière jaune, chaude et tamisée, projeta des ombres difformes sur les murs de la chambre.

Sarah ne put réprimer un hoquet dû au choc qu'avait provoqué cette vision. Will se balançait faiblement d'avant en arrière, les yeux fermés avec force, serrant dans ses bras son oreiller qu'il semblait vouloir écraser complètement. Ses mains labouraient ses épaules ensanglantées, lacérées par ses propres ongles. Il était trempé de sueur, et marmonnait faiblement cette phrase, qu'il répétait en boucle : "J'ai été lâche... C'est ma faute... Je te demande pardon..."





Le soleil embrasait un ciel parsemé de hauts nuages blancs. Un léger vent faisait frémir le feuillage des vignes qui l'entouraient. Will ne se souvenait pas comment il s'était retrouvé là. Il était debout, sur un petit chemin qui sillonnait au milieu des champs. Il mis sa main en visière au-dessus de ses yeux pour admirer ce paysage familier, avant que son attention ne soit détournée par ce qui lui sembla être un sanglot derrière lui.

Il tourna le dos au soleil printanier, et vit une fillette accroupie au bord du sentier, près d'un pied de vigne. Elle ne devait pas avoir plus de trois ans. Elle avait de longs cheveux blonds foncés, portait une petite robe blanche à pois rouges, et cachait son visage dans ses mains, essayant tant bien que mal d'essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues.

Will se rapprocha doucement de la fillette, avant de s'accroupir à deux mètres d'elle.

- "Bonjour jeune fille, tu as besoin d'aide? Je m'appelle William, mais mes amis m'appellent Will. Qu'est ce que tu fais ici toute seule?"

Il avait pris une voix douce et rassurante, affichant un sourire bienveillant. Les hoquets de la fillette s'espacèrent, et elle réussi à vaincre ses larmes pour lever son petit visage vers lui. Elle avait de grand yeux bleus, des traits fins malgré la rondeur due à son jeune âge, et des tâches de rousseurs mouchetaient un petit nez légèrement retroussé. Elle avait un regard qui intrigua William sans trop qu'il sache pourquoi. Il avait comme une impression de déjà vu.

- "Je sais." Fit la fillette en reniflant. Elle était toujours accroupie. Elle avait enroulé ses bras autour de ses genoux, et posé son menton dessus. "Toi aussi, tu m'as oubliée..." Dit-elle d'une petite voix.

William pencha légèrement la tête sur le côté, ne comprenant pas trop les propos de la gamine.

- "Je t'ai oubliée aussi?" répéta-t-il, dubitatif. "Nous nous sommes déjà rencontrés? Comment tu t'appelles?"

- "Non, c'est la première fois qu'on se voit... Mais je sais qui tu es. Et toi aussi, tu sais qui je suis." Elle leva ses yeux pour plonger son regard dans celui de William, qui sentit ses cheveux se dresser dans sa nuque. "C'est ici que tu as appris que j'existais."

William sentit son cœur s'accélérer. Il regarda rapidement autour de lui. Le sentier. Les vignes à perte de vue. Le ciel. Il reporta à nouveau son attention sur la fillette. Sur ses yeux. Ses taches de rousseur. Son petit nez retroussé. Il ne comprenait pas ce qu'il voyait.

- "Je n'ai jamais vraiment eu de nom... Mais toi et maman, vous aviez pensé à m'appeler Liv..." Poursuivit la fillette, qui continuait de fixer William.

Il eu l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Qu'une lame d'acier s'enfonçait dans sa poitrine. Qu'une cuve d'azote liquide se renversait sur son cœur.

- "Pourquoi est-ce que vous n'avez pas voulu de moi..? Pourquoi est-ce que maman a décidé de garder ma sœur plutôt que moi?" Des larmes apparurent de nouveau dans ses yeux clairs.

- "Liv..? Mais... Comment..? Qu'est-ce que..?" Il ne comprenait plus rien.

- "Je n'étais pas assez bien? C'est pour ça que vous m'avez abandonné?" Questionna Liv.

Un torrent d'émotions d'une violence inouïe percuta William. Il ne savait pas comment une telle chose pouvait être. Mais il était là, au milieu de ces champs, où il avait appris quelques années plus tôt qu'il aurait pu devenir père. Face à une fillette qui devait avoir l'âge qu'aurait eu son enfant s'ils en avaient décidé ainsi. Une fillette qui avait les mêmes yeux que la femme qui aurait pu être la mère de son enfant. Une fillette qui prétendait qu'elle aurait pu s'appeler Liv. Comme le prénom qu'il avait soufflé à la femme qui avait partagé sa vie.

- "Liv..? C'est... Tu es... Je..." Tout s'embrouillait dans sa tête. Tout allait trop vite et trop lentement à la fois. Tout se mélangeait. Tous ses souvenirs, tous ses regrets, tous ses espoirs. Il fini par écarter ses bras, invitant la fillette à venir à lui. "Oh Liv, ma chérie... Je te demande pardon..."

La gamine n'attendit pas plus longtemps pour se relever et se ruer dans les bras de William, qui la serra contre lui aussi fort que possible sans mettre son petit corps en danger. Il pleurait sans pouvoir s'arrêter.

- "Oh ma chérie, mon petit ange... Si tu savais comme je m'en veux..."

La fillette serrait William aussi fort qu'elle le pouvait, engloutie dans ses bras protecteurs.

- "Je suis désolée de pas avoir été assez bien pour maman et toi... Je pensais que toi aussi tu m'avais oubliée, comme maman..." Fit Liv d'une toute petite voix.

William sentit son sang se figer. Il s'écarta légèrement de la fillette, pour la regarder droit dans les yeux.

- "Liv, mon ange, tu n'y es pour rien. Ce n'est pas ta faute du tout. Tu..." Malgré les larmes qui coulaient sur ses joues, il lui fit le sourire le plus authentique qu'il ai jamais eu en admirant la bouille de la fillette qu'il tenait dans ses bras. "Tu es la plus merveilleuse des filles que j'aurai pu espérer avoir. Et jamais je ne t'oublierai ma chérie... Et maman non plus ne t'oubliera jamais, pourquoi penses-tu une chose pareille?"

Liv baissa les yeux avant de répondre.

- "Parce qu'elle en a choisi une autre... Je le sais... Et je sais aussi que c'est à cause de moi que maman est partie..." Les larmes montèrent à nouveau dans ses yeux bleus. "C'est à cause de moi si maman et toi vous êtes plus ensemble..." Sanglota-t-elle.

William la serra à nouveau contre lui. Elle paraissait si menue et si fragile dans ses bras.

- "Shhh... Ne dis pas ça... Tu n'y es pour rien, ma chérie. Rien de tout ça n'est ta faute. Je suis le seul et unique responsable de tout ça... Ce n'est pas ta faute Liv... Ce n'est pas ta faute..." Il se balançait doucement en essayant de rassurer la fillette, luttant autant qu'il le pouvait contre ses propres sanglots. "Maman ne t'a pas oubliée mon ange. Elle ne t'oubliera jamais. Et moi non plus. La vérité c'est qu'on a..." Il marqua une pause, avant de déglutir, et de se reprendre. "La vérité, c'est que j'ai été lâche. Je n'ai pas eu le courage de t'accueillir. C'est ma faute si nous t'avons abandonnée..." Fit William, que la culpabilité et les regrets cisaillaient. "C'est ma faute, Liv. Ce n'est pas la tienne, ni celle de ta mère. Tout comme c'est ma faute si ta mère est partie. C'est moi qui n'ai pas été assez bien pour maman. C'est moi qui n'ai pas été assez bien pour toi. Je te demande pardon ma chérie... Si tu savais comme je m'en veux..." William renifla avant de poursuivre. "Ta mère a décidé de prendre une autre route. Une route qui lui a donné la possibilité d'accueillir ta sœur, c'est vrai. Mais elle ne t'oublie pas pour autant, je le sais. Jamais elle ne t'oubliera. Jamais nous ne t'oublieront, ma chérie."

Il serrait ce petit corps qui s'accrochait à lui, comme s'il pouvait protéger cette projection de la réalité.

- "Alors... Tu m'aimes quand même..?" demanda Liv de sa petite voix, blottie contre William.

Il la serra de plus belle.

- "Bien sûr que je t'aime, mon ange. Je t'ai toujours aimé. Depuis l'instant où ta mère m'a dit que tu existais. Je t'ai aimé dès la première seconde. Mais... Je ne pense pas que tu pourras comprendre, mais c'est en partie parce que je t'aimais que je n'ai pas eu le courage de t'accueillir. Je ne pensais pas être à la hauteur. Je ne pensais pas être capable de te donner ce que j'aurais voulu pour toi... Je suis désolé mon ange... Je suis si désolé... Je te demande pardon Liv... J'ai été lâche... C'est ma faute..."


Alors qu'il serrait ses regrets dans ses bras, il eu l'impression d'entendre une voix lointaine l'appeler, comme un mélodie d'un autre monde.




- "Will..? Qu'est ce qu'il se passe?"







TTR.

  • Quel récit! Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris mais cette histoire me touche vraiment.
    Bravo à l'auteur que j'admire le plus sur ce site.

    · Il y a 6 mois ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Merci beaucoup ! Au vu du nombre d'auteurs de talents qui posent leurs écrits ici je ne suis pas certain de mériter autant d'éloges, mais merci !

      · Il y a 6 mois ·
      Tree paper

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