AU PARC DE SAINT-CLOUD

Mon voisin cultive le don de soi et des substances illicites dans sa tête. Rien qu'à regarder au fond de ses yeux, on y voit son âme. Il y cache des blessures et des voyages vers des sables endormis et exubérants.

Mon voisin donne dans l'ascèse, comme au parc de Saint-Cloud.

Trois euro l'ascèse pour s'asseoir et écouter le dimanche la fanfare municipale sous le toit dentelé du kiosque fleuri, c'est pas très cher, y en a qui payent bien plus que cela. Parfois de leur vie. 

L'ascèse est une sorte de philosophie, de ligne de conduite qui tend à libérer notre esprit du surplus, de l'inutile. Se débarrasser des encombrants multiples qui pèsent sur nos existences pour atteindre l'inaccessible étoile en restant droit dans ses bottes. 

C'est quand même curieux, payer trois euro pour rester debout ... et espérer atteindre la perfection qui parait-il n'est pas de ce monde.

A trois euro l'ascèse, je préfère m'asseoir au bord de la fontaine, je n'ai pas encore les moyens de mes ambitions. J'ai les pieds qui ont barboté dans les remous et béni soit le soleil qui me réchauffe le coeur et les orteils. Qu'un jour, il me réchauffe le corps tout entier et qu'enfin je retrouve la lumière.

Mon voisin est une mesure de capacité. Sa foi en l'homme n'a aucune limite. Il encaisse beaucoup sans rien en laisser paraître à tel point que je me demande s'il n'a pas servi de modèle au mètre-étalon exposé au pavillon de Breteuil.  

Derrière les haies de buis, y a des amoureux qui picolent sur les bancs publics. Moi j'picole seul, planqué entre deux ifs coniques, à l'abri des reproches de ceux qui n'ont rien à se reprocher. Je somnole en rêvant, les paupières au soleil de midi, je me demande si l'amertume de nos vies passe avec le goût du sucre, avec l'âge des possibles.

Je sais, je suis un peu barge. J'en profite pour traverser la Seine. Dans le parc d'en face et poser mes fesses devant le kiosque fleuri.

Une cigale dans un tulipier et mes yeux qui échappent une larme ...

Savez-vous que la cigale reste dix-sept ans sous la terre pour parvenir à l'état de nymphe aérienne ? J'ai mis presque le triple. Plus trois ans. Sans doute les trois premières années de ma petite petite enfance, celle où parait-il les souvenirs sont enfouis si profond qu'il y a peu de personnes aptes à s'en rappeler.

Allez, le soleil décline derrière les frondaisons, il est temps de retraverser la Seine.

Je reviendrai à Saint Cloud, peut-être un dimanche, m'asseoir sur le rebord de la fontaine en écoutant le chant des cigales et des oiseaux jolis.