Au revoir Beijing

Magali B.

texte écrit il y a quelques années. la fin de plusieurs mois d'expatriation en Chine...

J'entrouvre les yeux. Je suis fatiguée. Je suis dans le train qui nous ramène vers la capitale. J'ai du mal à garder les yeux ouverts. Mes paupières se ferment lourdement. Mais parfois j'entrouvre les yeux. J'aime ne rien perdre du voyage. J'aime regarder par la fenêtre. Depuis des mois, chaque fois que je prends le train, j'aime regarder par la fenêtre. Ne rien perdre, les paysages, des images qui s'impriment.

Je suis fatiguée par cette chaleur lourde connue de certains coins d'Asie. C'est la fin du mois de mai. Le soleil qui chauffe, l'humidité enveloppante, la peau qui colle, l'eau que je bois par litres, l'envie de pendre une douche. Je suis fatiguée de ces mois à me sentir loin. À sentir cette distance, à la ressentir dans mon ventre, à la supporter. Fatiguée de cette promiscuité, cette petite chambre que je partage avec une étudiante. Fatiguée de ces mots aux sons inconnus. L'apprentissage m'a permis de traverser le barrage de la langue mais je ressens de plus en plus le besoin d'entendre parler français. Je m'imagine en France, les gens qui parlent autour de moi et moi qui peut déchiffrer chaque conversation sans faire d'effort. Et fatiguée d'être fatiguée aussi.

Ça fait des mois que je suis à des milliers de kilomètres de chez moi. Dans cinq jours je rentre en France. Le train est moderne peut-être bien plus que certains trains d'Occident. Nous revenons les filles et moi d'une journée à plusieurs kilomètres de Pékin. Elles aussi dorment à moitié. J'entrouvre les yeux. C'est la fin de journée. Par hasard, à cet instant-là j'entrouvre les yeux et là tout près, le coucher de soleil qui caresse de ses couleurs vives et chatoyantes la grande muraille de Chine. Une vision. Je réveille ma colocataire « je sais tu es fatiguée mais regarde, regarde ! Tu ne verras plus jamais ça ! »

L'instant est magique. Nous le sentons toutes les deux. L'instant est unique. Je le sens dans mon ventre. Le train qui nous ramène de notre dernière escapade en Chine. Le soleil qui se couche sur la muraille qui s'étend à l'horizon. L'avion pour la France dans quelques jours.

Je crois que j'ai dit au revoir à la Chine à cet instant-là. Au revoir aux visages rieurs des chinois, au sourire de la serveuse du petit boui-boui d'en face, au sourire du vendeur ambulant de « tanghulu », aux gens qui dansent sur les places publiques dès que la nuit tombe, à mes plats pleins de piment, à mes victoires quotidiennes sur la langue, aux quartiers populaires où j'avais appris à me faufiler entre voitures et vélos, à ces rues desquelles j'avais réussi à m'habituer aux odeurs, aux taxis jaunes de Pékin, aux feux d'artifice du nouvel an et aux pétards qu'on a fait exploser partout dans les rues sans restrictions, à la poussière de cette Chine qui se détruit et reconstruit sans cesse à une vitesse vertigineuse.

Au revoir à tout ce dont je ne soupçonne pas, alors, que ça me manquera des mois plus tard. J'ai dit au revoir à Beijing.

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