Autobiographie d'une conVERTie

Joséphine A.

Comment je suis devenue une vraie Stéphanoise

1 – Arrivée en terre inconnue
Juillet 1991. J'ai 18 ans. Je viens d'avoir le bac. Il me faut passer un entretien avant d'intégrer la fac d'Economie, à l'Université Jean-Monnet de Saint-Etienne. J'arrive de Nice avec mon père qui est déjà stéphanois depuis cinq mois et qui rameute sa famille dans le Forez. J'ai vécu onze ans à Nantes et je suis née à Chartres. J'ai vu du pays, la faute à Papa d'Pau (en fait, il est auvergnat, c'est juste pour le jeu de mot laid). Je vis à Nice depuis deux ans. Je n'ai aucun a priori sur Saint-Etienne, ni négatif, ni positif. Je sais juste qu'il y a une équipe de football et que je vais y vivre jusqu'à ce que Papa bouge de nouveau ou que je m'émancipe peut-être un jour du cocon familial.
Après l'entretien, j'ai quelques heures à tuer. Je suis quelque part en centre-ville, une carte de Saint-Etienne entre les mains. Je suis perdue. Une dame âgée m'aborde et me demande gentiment : « Vous êtes perdue ? » Dans ma tête : « Une vieille me parle ? Une vieille gentille ?!? » Je vous rappelle que je viens de Nice, ville dans laquelle les vieux ne sont pas gentils. Ils sont juste vieux, surtout les vieilles. Et cette « vieille dame » me propose ensuite de me montrer le chemin… Je suis venue sans a priori dans cette ville, j'en suis repartie avec un sentiment de bien-être à l'idée que j'allais y passer quelques années… Cette ville, je la trouve belle et je l'aime déjà.

2 – Et Saint-Etienne devient Sainté
A Sainté, étudiante, je découvre rapidement la vie… étudiante… une vie diurne (mais pas trop tôt) et nocturne. Période Snooker le jour et Club/Bul la nuit ! Il me faudra six ans pour boucler une maîtrise qui normalement en prend quatre… Cela dit, grâce au programme Erasmus dans lequel est inscrit Jean-Monnet, je passe une année formidable à étudier en Angleterre, à Portsmouth. Tous les amoureux du foot nous adorent, nous les stéphanoises ! C'est l'époque à laquelle Eric Cantona sévit… Il n'aime pas les supporters de Crystal Palace qui insultent sa Maman. Je me fais toute petite : « he is a naughty boy… ». Mais mon pote gallois qui m'a fait découvrir le groupe anglais… « Saint-Etienne »… me dit qu'il a bien fait de corriger ce supporter insultant ! Do you know what Eric Cantona and Camila Parker Bowles have in common ? They've both got their legs over the Palace… C'est en Angleterre que j'apprends à m'exporter, à affirmer haut et fort ce que je suis déjà devenue : une Stéphanoise.

3 – L'intégration par le football
Parce que bien sûr il y a eu le foot… Auto-initiée à ce sport depuis 1986 (tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents stéphanois !) grâce à la coupe du monde de football à Mexico. Je suis restée littéralement bloquée devant les matches de l'équipe de France (j'ai pleuré si vous saviez devant la défaite des Bleus face à ces salauds d'Allemands !). Par capillarité, je deviens supportrice nantaise. Mais le premier match de Nantes, je l'ai vu à Nice, au Ray (prononcer « ré », pas « raille », merci pour feu lui !) Mon père m'amène voir mon premier match en banlieue stéphanoise… à Gerland… OL-FCN. Mais je supporte déjà l'autre ! Ouf ! La morale est sauve !!! Un soir, nous discutons en famille sur la terrasse de notre nouvelle maison à Bellevue, nous entendons tout à coup une clameur monter. Une clameur qui nous prend aux tripes… Elle vient du Nord… de loin… Nous comprenons qu'elle vient de Geoffroy-Guichard, i.e. à 7 ou 8 km à vol d'oiseau ! Les Verts ont ouvert le score contre l'OM (match à rejouer à cause de la bosse que Papin n'a même pas eu en recevant une canette en polystyrène sur l'épaule). Je dis à mon père : « je veux aller là-bas ! » Et nous irons là-bas, durant des années, en Henri-Point. Chez les « Bourgeois » (en fait les potes pieds noirs de mon père qui font du trafic de contremarques !) où les insultes qui volent sont du genre : « fumier de lapin ! » ou « raclure de bidet »… Du lourd ! J'apprends à m'encanailler ! Après quelques mois de tergiversations, je flanche : je passe du vert et jaune au vert et blanc… Je trahis mes « racines » nantaises sans remord ni honte. Et je fais bien ! Je deviens en effet officiellement supportrice des Verts en 1993. L'ASSE subit un an après sa première descente en D2, puis un an encore après sa deuxième descente en D2 (la première fois on n'avait pas pu descendre parce que l'OM n'avait pas pu remonter…), puis après une re-remontée, en 2001, elle subit sa troisième descente en D2… ironie du sort, un soir de défaite à… Nantes qui vient quant à elle dans le même temps d'obtenir son deuxième titre de champion de France depuis que je ne la supporte plus… Non ce n'est pas moi le chat noir !!! En plus, je ne suis pas la seule à trahir mes origines pour cette ville ! Ma copine Sandrine arrivée à la même époque et au même âge que moi, auxerroise d'origine, supportrice de l'AJA de confession, n'a pas non plus hésité à risquer le bucher pour crime de lèse-Guy Roux !

4 - Inoubliable été 1998
Juin/juillet 1998 Sainté se met à l'heure de la Coupe du Monde ! Comment oublier le passage des Mexicains, Hollandais, des Anglais, des Yougoslaves, des Iraniens, des Argentins (logés à l'Etrat), des Marocains… Et surtout des Ecossais dans notre ville !?! Je suis dans le tram, je vais à Jean Jau. Et au moment de passer devant l'Hôtel de Ville, un Ecossais sur le parvis des marches de l'Hôtel de Ville nous prouve que oui ! Il porte son kilt de manière traditionnelle ! Je sais déjà que je vais passer une excellente soirée !!! Je garderai précieusement le drapeau que m'offrira un des supporters écossais défait, dans tous les sens du terme, après le match Ecosse-Maroc… Ce soir-là, les bistrots serviront en moyenne 23 demis aux écossais… En moyenne… C'est une copine serveuse qui me l'a dit, et ses statistiques s'appuient sur un échantillon suffisamment représentatif pour qu'elles soient fiables ! Quelques jours avant, nous allons à Marseille assister à France-Afrique du Sud. Je débarque au Vélodrome avec mon écharpe verte. Elle m'a déjà valu quelques belles rencontres, quelques discussions passionnées avec ou sans lendemain, avec des personnes qui connaissent et aiment notre équipe, notre ville ! A Marseille, même les Bafanas reconnaissent cette couleur… Les Marseillais aussi… Il y en a un qu'on croise et qui me lance : « Puté ! T'y as de la chance d'être une gonzesse ! Sinon, je t'aurais cassé la gueule !!! », avé un accent de toute bôté !

5 – Des aller-retour incessants
Lors de ma période bisontine (1999-2002), je m'abonne chez les Green Angels, en kop Sud. Ça me donne une bonne excuse pour revenir à Sainté tous les 15 jours. Ça et le fait que je n'ai toujours pas de machine à laver. C'est l'époque où je fais venir toutes les personnes que j'ai rencontrées dans mes diverses virées, pour leur montrer MA Ville ! Personne ne remarque les taudis mondains… Au contraire, la plupart sont agréablement surpris et tous sont conquis… notamment par la vie nocturne stéphanoise ! Un pote marseillais me lance même : « il y a beaucoup plus de bars sympas à Saint-Etienne qu'à Marseille ! ». Véridique. Y a probablement des trucs bizarres qu'ils nous mettent dans les boissons… C'est l'époque du FLNJ (front de libération des nains de jardin). Avec des potes on tente d'escalader un crassier pour libérer des petits hommes en plastic ! Après 50cm d'escalade intense et une chute mortelle de rire, nous renonçons (Je sais, flagellez-moi avec l'écharpe hideuse de Joël Bats, mais un crassier ça pique !!!) En 2002 je quitte Bezac (surnom affectueux de Besançon) pour enfin revenir à Sainté (surnom affectueux de Saint-Etienne). Mais je travaille à BLL (surnom affectueux de Beurk-Lès-Lyon). Alors je décide d'habiter rue des frères Müller, à côté de la gare de Châteaucreux. Il m'arrive très souvent de  débarquer à la gare de la Pardieu avec mon écharpe verte. Qui plus est, c'est l'époque maudite où les Gones  enchaînent les titres ! Je souffre énormément durant cette période ! Heureusement, je finirai par trouver un poste à Sainté !

 

6 – Mon ange vert à moi ! En mai 2004, je suis au stade dans le kop et légèrement enceinte. Je porte un enfant et aussi Damien Bridonneau, comme les 30 000 supporters qui m'entourent, pour qu'il marque ce but venu de nulle part qui nous propulse en tête du championnat de D2 ! Nous remontons en D1 avec la manière ! Antonetti est notre entraîneur. Nous faisons une fête de malades place de l'Hôtel de Ville (et dire que je ne peux même pas boire !!!). Juin 2004, moi qui n'ai jamais manifesté pour quoi que ce soit (et toujours pas), et qui déteste les promenades, je participe aux trois manifs anti-direction dont la marche sur Geoffroy Guichard en partant de l'Hôtel de Ville. Septembre 2004, de plus en plus enceinte et toujours en kop. J'hurle à l'endroit de Nicolas Marin que s'il marque, j'appellerai mon fils Nicolas ! Il marque ce soir-là face à Auxerre ! Deux fois ! Nico-Nico naît le 14 janvier 2005, 50 ans jour pour jour après Dominique Rocheteau, l'Ange Vert ! Et je tiens à ce qu'il naisse à Michelet (un mois avant la disparition de la fameuse maternité du centre-ville) ! Parce que les enfants qui naissent à l'Hôpital Nord ne sont pas des « vrais » Stéphanois. Ce sont des Lerptiens (habitants de Saint-Genest-Lerpt) ! Moi je veux des vrais petits Stéphanois ! 7 - Saint-Etienne, le droit du cœur ! Aujourd'hui, j'habite dans un bel appart du centre-ville de Saint-Etienne, dans la grand-rue, avec ma petite famille de vrais stéphanois ! J'ai rencontré mon amoureux square Amouroux. Un vrai de vrai, né lui aussi à Michelet. Il a beau dire qu'il n'a pas d'accent, il ne sait pas prononcer le mot « feuille » correctement. Et je suis son test à « c'est français ce mot ? ». « Non mon chéri, tu ne trouveras pas « cacasson » ni « débarouler » dans le dictionnaire ».  Ma fille est née au CHPL, parce que je voulais qu'elle soit aussi stéphanoise.  Même mon chat est un vrai Stéphanois, je l'ai trouvé devant l'entrepôt Tadduni de la Gare de Bellevue ! Je suis la seule à ne pas être née ici ! J'ai découvert Saint-Etienne, j'étais déjà majeure. Pour autant, ich bin eine Stéphanoise ! Cette ville irradie dans tout mon corps de la Terrasse à Bellevue, tout au long de la grand-rue et plus loin encore ! Cette ville est tellement étendue et coupée en deux même ! Probablement la seule de France, à cause d'un maire qui ne voulait pas déménager de Saint-Victor… Saint-Etienne, cité portuaire ! Certains veulent mettre en avant le droit du sol, d'autres le droit du sang, moi je revendique le droit du cœur ! Je suis stéphanoise parce que je suis amoureuse de cette ville faite de bric et de broc, cette ville aux sept collines qui monte et qui descend, cette ville aux multiples priorités à droite, cette ville où il fait plus chaud au nord qu'au sud. Cette ville n'est ni moche ni jolie, elle est belle de son âme !

Saint-Etienne restera la capitale des taudis pour ceux qui pensent que deux jours et une nuit suffisent à la juger. En 24 ans, je n'ai pas encore réussi à me lasser de ses charmes. Saint-Etienne je t'aime !

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