Automate

Scythe Crow

Tara posa son sac de voyage et referma tristement la porte de la chambre d'hôtel derrière elle.
Elle semblait déçue et perplexe. Pourquoi, se disait-elle, je n'arrive pas à trouver une compagnie valable ? Toujours ce besoin de quiétude. Et elle avait besoin d'instabilité pour trouver son équilibre. Elle espérait rencontrer une personne sincère et entière prête à la suivre. Elle aimait l'idée de dépendance. C'est pourquoi, malgré une certaine lassitude, elle ne pouvait se débarrasser du contenu de son sac.
Elle décida de l'ouvrir, malgré sa mine boudeuse.
Une forme humanoïde en surgit et alla s'asseoir sur le lit. De la taille d'un pré-adolescent, maigre, aux traits épurés, rappelant un visage humain vaguement esquissé. Aucune présence de nez ou d'oreilles, des cercles noirs en guise d'expression visuelle et une fente légèrement entrouverte simulant une bouche.
Une légère source lumineuse écarlate en émanait, imitation maladroite des lèvres.

- Bonjour, Matt.

- Bonjour, Tara. Ta manie de me donner un nom est amusante.

- Tu n'aimes pas celui que je t'ai trouvé ? Vu ta nature, il me semblait pertinent.

- Automate, Matt. Peu original mais fonctionnel.

- Des personnes célèbres portent ce nom !

- Es-tu capable de me citer d'autres Matt que le créateur des Simpsons ou de South Park ?

- Comment sais-tu que je pensais à ceux-là ?

- Je te connais, tout simplement. Tu n'as rien d'imprévisible. Et Matt Damon ne compte pas. Tu me lasses avec ta " pop " culture.

- Toi et ta condescendance. C'est une culture comme une autre, pas moins méritante.

- Certes, cependant, quand on s'y limite, cela démontre une paresse intellectuelle. Ou pire, un complexe de supériorité mal placé.

- Tu me traites de hipster ?

- Non, rappelle-toi, ils sont tous morts en même temps qu'Instagram et la faillite de Starbucks. Hipster, tu es poussière et tu retourneras à la poussière.

- Un destin logique pour des gens dont l'hobbie est de faire cool avec ce qui est ringard.

- Ils ne seront pas les seuls à disparaître.

- Tu ne tiens pas l'humanité dans ton coeur.

- Je n'en n'ai pas. De plus, enfermé dans ce sac, mon seul passe-temps est de traîner sur le net. Une de vos meilleures inventions. Puis il y a eu 4chan. C'est fou cette ambition de pourrir chaque particule positive.

- On appelle ça le karma.

- Ah oui, c'est bien le concept qui vous excuse d'être des connards ou justifie votre malchance ?

- Pas vraiment. Pour une machine, tu simplifies tout.

- Avec vous, pas besoin de faire compliqué. Et puis la plupart d'entre vous aurait du mal à suivre.

- Impertinent comme un petit garnement.

- Tara rejoignit Matt sur le lit, le posa sur ses genoux et commença à le bercer.

- Que fais-tu ?

- Je me sens seule, idiot.

- Tu m'as, pourtant.

- Comme tu l'as dit, tout à l'heure, tu manques de coeur.

- Ca ne m'empêche pas d'apprécier ta compagnie.

Elle sourit à ces derniers mots. Elle embrassa son front froid et métallique. Il se dégagea doucement de son étreinte et se leva. Son corps se mit à grandir, prendre des proportions comparable à celle d'un jeune homme adulte en bonne santé, son visage se complexifia et ce qui apparaissait comme une simple esquisse devint une face reconnaissable. Des fils commencèrent à défiler le long de son crâne, progressant en une masse dense de cheveux bruns. Pour parachever sa transformation, il posa des lunettes sur son nez désormais apparent.


- Tu sais que tu n'as pas besoin de lunette pour voir, Matt.

- Bien sûr mais j'aime le style que ça me donne.

- Tu as une sacrée vanité pour un automate.

- Ose dire que tu ne me trouves pas à croquer !

En effet, elle devait bien l'admettre, il n'était pas déplaisant à regarder. Il approcha son visage du sien, le sourire aux lèvres désormais bien plus crédibles. Elle ne tarda pas à comparer son naturel à sa douceur synthétique.

- Tu embrasses bien, je le reconnais.

- J'apprends, à tes côtés.

- Il passa son bras autour de sa taille. Il réfléchit un instant avant d'ajouter :

- Qui suis-je pour toi ?

- Un sex-toy sophistiqué et accessoirement, mon préféré. En plus, tu es moins contraignant qu'un homme. Moins sale aussi.

En voyant sa mine déconfite, elle ne put s'empêcher de rire. Elle caressa son visage tendrement et lui murmura :

- Tu es mon compagnon de voyage. Et parfois plus, la nuit.

- Je sais que tu recherches autre chose. Que tu veux un être de chair et de sang. Ce que je ne suis pas.

- Matt. Serais-tu possessif ?

- Je ne veux pas être considéré comme un objet. Surtout par toi.

Il la serra contre lui. Non pas de manière menaçante. C'était un enfant apeuré, terrorisé par l'idée d'être abandonné.

- Je te le promets. Tu es vivant à mes yeux.

Elle l'allongea sur le lit, doucement et se mit à caresser son torse avec douceur. Il frémissait et commençait à se détendre un peu. Au fil de cette tendresse, la peau se fit plus ronde. Tara déposa un baiser sur les pointes dévoilées.
Navré de ne pas avoir prévenu.

- Ce n'est rien Mathilda.

Son corps était devenu celui d'une femme, ayant pour modèle celui de Tara. Gracile sans paraître fragile.

Tara savait où poser ses doigts pour la contenter. Elle partageait un physique similaire, après tout.

- Merci pour tes attentions.

- Je compte sur toi pour me les rendre, mon automate.

Et Tara se souvint pourquoi elle ne pouvait se débarrasser de Matt. Tout comme lui, elle était dépendante. A cette pensée, elle l'aima davantage.
Et il ne resta plus que les soupirs sous les draps, si sexués et pourtant, indéterminés.

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