Autoportrait, au plus serré (réédition)
Fionavanessabis
Je m'avoue vouée à muer vers vous. Ni tout à fait une autre, ni tout à fait la même.
J'installe d'abord un miroir de vérité pour tenter de faire mon autoportrait ; exercice périlleux que je suis seule à pouvoir réaliser, puisque seule à me percevoir du dedans.
D'abord ce qui se voit :
c'est un portrait de groupe :
A droite le frère à gauche la fille
Au milieu ma mère
Assis devant, les deux petits derniers sur les genoux de leur frère aîné
Je ne peux pas commencer mon portrait sans eux
Et puis que dire de moi qui ne soit déjà
Le trait d'union entre eux et moi
Et légèrement de côté me voilà
Regardant quelque chose qui est hors du cadre
Pas distraite non
Regardant ailleurs
Pour me dérober à mon propre portrait
Adossée à une bibliothèque
On pourrait aussi bien s'arrêter là
Ou vous faut-il aussi la tête sous la couette et les larmes
Ma tête des mauvais jours vous devez bien en avoir une aussi
Mais j'aime mieux vous montrer ma tête en l'air ma fantaisie
Et vous sourire,
Première levée dernière couchée
Puis ce qui se pressent :
Une légère ombre s'invite quand je souris
Mon oeil se plisse si tu me scrutes
Sur la photo je grimace
Parfois je n'y suis plus pour personne quand vient le soir
Loin de l'air qui se raréfie
Je ne veux plus qu'être là
Même un filet imperceptible
Dans ma cuisine et dans ma classe
Les heures je passe
A rendre mon quotidien
Comestible
Au détour du jardin
Par endroits je dépose un livre
ou une partition
en vue d'une dégustation
Invisible
Mais au crépuscule
avec l'horizon j'ai rendez-vous
Quand il m'appelle je réponds
Me poste à ma terrasse
Et hume l'air fugace
D'ici-bas je goûte à sa conversation sans mot
jusqu'au bleuissement profond de la nuit.
L'horizon chasse ma peur de demain
Demain où tu ne seras
Qu'hors de portée pour ma petite voix
Défroisser ses poumons parce que l'air est là
Lâcher ce que retient ma main
Avancer désarmée coûte que coûte vaille que vaille
Cautériser les méfaits
Les bévues crues et décrues
Devant ma porte balayer.
Je ne voulais plus perdre pied, être loyale pour qui, se fier à quoi,
Je savais par coeur comme la mélodie est douce et brutal le silence qui la suit
je ne voulais plus de mèches folles
plus de regards noirs
qui vous rougissent les joues puis en un croche-pied vous étalent par terre
Le coeur dans la gorge me suis décrite désinscrite
De cette littérature d'amour à quatre sous
Mes pensées ont sévi
Mes blessures ont souri
Et mon discours a blondi.
C'était écrit dans mon prénom
Une guerrière altière à la peau blanche
Une Fianna de l'île verte aux mille visages
Renaît toujours de ses cendres
Petite j'avais cet air sauvage
Et il a bien fallu y mêler le sang froid de mon père
pour me civiliser
Mais de cet héritage païen et premier
J'ai gardé le goût un peu rustre de moi-même tout vérifier,
Tout mettre à la question.
Epreuve par le feu du doute
Qui ne conserve que ce qui est réfractaire à la flamme
Que le diamant brut de la vérité.
Tisser autour de moi
cette abondance d'impressions
cette vigilance amie
Croître dans la bienveillance de ceux dont je ne démords pas
Habiter mon corps d'un souffle vermeil
sans attendre que d'autres, plus cinglants m'allongent
Le dernier uppercut
Me dépossèdent sur le pavé
De mon ultime richesse
Ne pas laisser rappliquer
la clique glacée
des mensonges glissés entre soi et soi
appris entre soi par d'autres
Sur moi s'acharnent leurs oeillères
Au moins n'être pas ce soupçon de faux
Au moins ne pas laisser sans sourciller mollir la lucidité
entre les absences et les apnées
confirmer l'hypothèse
sentir les résonances à l'oreille et les frémissements des narines
que puissent agir sans frein
De vrais petits riens
Si pleins
Je suis cette petite chose que touche la grandeur du ciel embrasé
Cette empêcheuse de me tourner en rond
Ce petit pas de danse dans la quiétude sacrée
Cette fourmi transparente et heureuse
Rien qu'une virgule rien que voix qui propulse un son singulier
Un seul intervalle entre ici et là et je suis, même rompue cent fois, je ne suis rien qu'une
ce demi-ton de rien qui enchante la mélodie
ce tourbillon qui dans la toundra
Je ne suis rien que ne réchauffe un sourire
Rien que ne disperse un chant
Rien que ne guérissent les amis prévenants
avec leurs petits riens si pleins
Je me retrouve
essorée
adaptable
vulnérable
à marée basse
jusqu'à la marée haute
Nuque ayant l'inclinaison innée à me redresser
Comment rester tendre dans la mâchoire d'acier de ce monde
Comment ne pas perdre son chant dans le bruit et la fureur
C'est par amour que mes quatre gardiens me l'enseignent pas à pas
Je leur ai tenu la main à leurs premiers pas
J'ai cru prendre soin d'eux mais ils prennent garde à moi
Je suis élève de leur jeunesse eau étrangère
Ils ont pris la mesure de mon lait et de mon sang
J'apprends leur propre couleur qui n'est pas la mienne
ils sont d'autres nuances conjuguées à un autre temps
Mais je vis de leur air et eux du mien
Nous partageons le rappel de mes épisodes et l'audace de leur nouvelle saison.
La vie a donc été fair play
M'a poussée brusquement dans l'arène entre mes deux parents
puis m'a laissée naître bien après
Tardivement
Il m'a fallu attendre que les effluves toxiques passent
pour sortir de ma coquille
Quand je suis née j'avais déjà l'armure
Et le bouclier
Mon apprentissage à moi, l'effeuiller,
laisser passer la douceur de la sève à travers les branchages
à travers l'écorce burinée
afin que s'ouvre la dentelle délicate d'une feuille encore froissée
et à vrai dire
j'apprends puisqu'apprendre est possible
à respirer pour appliquer mon pinceau
à respirer derrière le masque de comédie
à respirer derrière le visage
de ce qu'on me croit
je suis dans ce souffle
et je n'ai besoin de rien
que le souffle suivant
Ne plus être à son bras, enfin
Et respirer.
Je viens de ce peuple aguerri qui se promène en chantant
Qui arbore la grâce d'un son au front
et ainsi berce ses enfants
Dans le courant d'une onde sans fin
Insouciant du lendemain
Puisque tout entre dans cet instant sonore et enfantin.
Mes vingt ans m'ont muée et assourdie
Toute accaparée pour être une vraie maman
Par-delà les revers de fortune.
Plus question alors de gratter de la guitare
De cigale me suis muée en fourmi
Pour le bien de mes enfants chéris
Ai endossé l'habit de mon grand père de ma grand mère
Pour pratiquer dans leurs pas le plus beau métier du monde
J'ai perdu pied j'ai perdu foi j'ai perdu courage
Ai repris le chemin de l'écriture
le chemin de l'aventure : derrière le rideau qui bouge,
Derrière les masques et le nez rouge
J'ai vécu
Pris le chemin de l'expression bien nez et bien venue
Longtemps après la bataille
Je t'ai rencontré
Dessinateur qui m'a croquée
Dans l'oeil de qui
Je me laissais épingler,
D'avance condamnée.
En construisant notre foyer
Je n'ai pas vu que je n'en avais pas la clef
Et la porte de chez nous sur moi s'est refermée.
Depuis
Voici la nouvelle année
Avec son cortège de douceurs et de peurs
Et je me demande
Qui est cette fille au milieu du salon ?
Souriant à elle-même pour aucune raison ?
Vient-elle d'achever une conversation avec ceux qu'elle aime ?
Se rappelle-t-elle les mille bonnes saveurs des choses ?
Laisse-t-elle choir enfin son armure des jours de combattante ?
Elle voudrait être cette soeur accueillante chez qui l'on se réfugie
Elle tâche d'écouter son coeur car lui seul l'a amenée ici
Elle éloigne les inopportuns d'un rire un peu trop frondeur
Elle chasse la peur autant que les moutons
Mais pour peu que dans ton oeil, elle devine un frère,
Elle tend la main, ouvre la porte et sourit.
Ses vingt ans lui ont appris
A dire parfois plutôt non que oui
Aux âmes toxiques
Elle ne croit plus qu'en l'empirique
Cueille le jour qui vient
Et ne se lasse pas de s'étonner de ses mille merveilles
Perçoit parfois
Un monde d'amour dans une simple fleur
Si l'on guérit de la peur
Si l'on guérit de la rancoeur
Si l'on guérit de la torpeur.
A rebours des anniversaires,
je me souvient de mes quinze ans enfin.
Cultiver en secret mon jardin
De nouvelles herbes y semer
Qui après la jachère
Ne peuvent que prendre fortement racine
et peuplent mon horizon d'odeurs nouvelles
Fraises eucalyptus lilas lavande et jasmin.
Et peut-être qu'a croisé son chemin
L'oeil de celui qui la verra et la saura par coeur
Elle ne l'aura pas cherché
Ce sera arrivé
Sans crier gare
Ni mot dire.
Laisser glisser les années et les méchancetés
Laisser glisser le tissu des mensonges
Laisser s'évaporer les alcools des liens anciens et frelatés
S'évanouir l'écho
Je sais pourquoi mon portrait me résistait
Je ne suis pas achevée
Il y a les traits, le regard, le sourire et les soupirs,
Les mots qui s'échappent comme des bulles de mes lèvres
Il y a mon portrait en creux et les bosses en moi
Mais il n'y avait pas
Ton regard pour m'éclairer
Ton sourire pour ranimer le mien
Et je m'aperçois, essayant de me donner
Puisque je suis tout ce que j'ai à te donner
Que je ne suis rien
Rien qu'un point d'interrogation malhabile
Rien qu'un service rendu
Rien qu'un regard ouvert
Rien qu'une main tendue
Rien qu'un coeur attrapé
Rien qu'une amie soeur cousine rien qu'une page commencée
Pour écrire ce portrait en pied,
En complet, au plus serré,
Il me faudrait sentir sous le goût de tes baisers
Le goût de qui je suis
Jamais loin de toi en esprit ni en espièglerie
Pour habiter ce cadre vide qui me fait face
Il me faut me défaire
en découdre
Elaguer
Me rassembler
Persévérer
Faire front devant mon reflet dans la glace
Laisser glisser l'inutile
Apprendre à me laisser regarder
Me laisser rire
Me laisser chuchoter
Me laisser embrasser
Me laisser aimer
Peut-être alors que dans ma cuisine d'été
Toute résistance ingérée
J'apprendrais à dresser
Mon portrait.
Eh bé, voici un autoportrait exhaustif bien léché ! :o))
· Il y a plus de 5 ans ·Hervé Lénervé