Autoroute du Diable

kingofevil

Autoroute du Diable - Episodes

Episode 1 : Après une année de travail la famille Richard prend le chemin des vacances, attendus en direction du sud de la France. Toutes les conditions sont présentes pour que Daniel, le père, sa femme, Valérie, ses enfants, Marc, Sophie, Kathy puissent récupérer correctement. La petite famille prend donc la route et emprunte l’A666, autoroute tristement connue pour les mystères qui entourent son mythe.
Quelques heures après leur départ, un petit arrêt sur une aire de repos pour déjeuner s'impose. Cependant, quelqu'un manque à l'appel, Daniel. Après l’avoir cherché en vain, Valérie se résout à continuer le chemin sur l’autoroute du diable pour le retrouver.
Episode 2 : Malgré le conseil d’un routier Valérie reprend la route avec ses trois enfants, inquiets de cette situation.
Plus loin, alors que personne ne semble avoir vu son mari, un inconnu, Nathan comme il se présente, vêtu de façon élégante malgré le soleil de plomb, ne semble pas indifférent aux problèmes de Valérie et lui propose son aide afin de retrouver son époux. C’est non sans une inquiétude palpable qu’elle lui offre une place à bord de son véhicule.
Episode 3 : Nathan semble beaucoup plus serein que Valérie et l’aide à en apprendre plus sur l’origine de la disparition de son mari. Mari qui menait une double identité bien particulière et qui réussissait à vivre la grande vie grâce à des pratiques peu scrupuleuses dans lesquels l’inconnu semble avoir un certain investissement.
Ne voulant plus en entendre davantage, Valérie ordonne à l’homme de quitter son véhicule.
Episode 4 : On ne peut chasser le diable de chez lui, et la famille Richard vient d’en faire la cuisante expérience. Alors que Valérie tente désespérément de rejeter l’aide de l’inconnu celui-ci ne semble pas d’accord, l’un de ses enfants va en faire l’amère expérience.
Episode 5 : Le voyage devient des plus dangereux. La route, à leur sortie du club démoniaque, a laissé place à une espèce de marécage bien particulier. Rien ne peut y entrer mais à peu près tout peu en sortir…L’esprit maléfique qui anime et régit ce lieu morbide se joue de la famille Richard, leur faisant découvrir l’envers du décor. Rien n’est ici faux semblant, tout est bien réel même si pour le commun des mortels, tout n’est que superstitions et inepties infantiles.
Episode 6 : Après la disparition du père, voilà qu’un des enfants a été emprisonné dans les entrailles de la bête, dévoré par le flux négatif de cette autoroute de malheur. Valérie n’a pas le choix, si elle veut sauver le reste de sa famille, elle va devoir continuer, toujours accompagné du Diable lui-même.
Episode 7 : Le Diable n’étant pas la seule chose avec laquelle la petite famille doit conjuguer, beaucoup de créatures cauchemardesques, tentatrices, essayent de prendre le dessus sur leurs esprits afin qu’ils viennent nourrir les âmes pécheresses des différents lieux maudits qu’ils traversent.
Episode 8 : Les Richards sont morts, enfin c’est ce qu’ils croient, leurs esprits ont été emmenés dans le royaume de l’oubli. Là où seuls les cris des défunts résonnent, là où tout change à la vitesse de la lumière. Ce monde est vivant, accueillant comme loup affamé, chaleureux comme un brasier…
Episode 9 : Valérie parvient enfin à retrouver son mari, quelques heures seulement après avoir dansée une valse mortelle avec le Diable. Le bonheur de ces retrouvailles est vite annihilé par le prix des nombreux sacrifices et du périple incroyable, qui en découle…
Episode 10 : Le couple savoure un court moment de quiétude avant que le diable ne s’invite à cette scène qui, en un dramaturge de génie, parvient à dénouée cette histoire avec maestria…Que le rideaux rouge sang sans puisse tomber sur les âmes désenchantées.

Autoroute du Diable - Episode 1

Ca y est ! Après onze mois intensifs où leur courage et leur patience ont été mis à rude épreuve, Daniel, chirurgien de renom, et son épouse Valérie, femme d’affaire à la carrière étoffée, vont enfin pouvoir goûter à un repos bien mérité. Le travail est, pour beaucoup, une source de revenus indéniable et un enrichissement personnel de chaque instant, mais à quoi bon mener une carrière tambour battant si ce n’est pas pour en faire profiter sa famille ?
Cela a toujours été le principe des Richard qui ont toujours veillé à ce que leur progéniture ne soit guère contrariée par le moindre ennui, qu’il soit interne ou non à la tribu familiale. Marc, l’ainé, ne peut en faire que l’éloge. Cet adolescent typique, peu enclin aux sports et aux divertissements extérieurs, est l’exemple type de la génération digitale. Véritable victime de la technologie actuelle, et du monde qui prône l’avancée dans tous les domaines, il est bercé par la télévision, drogué par le cinéma, et considére les jeux vidéo comme étant sa seule religion ou source d’inspiration. Le jeune garçon n’a pas beaucoup d’amis et cela lui importe peu, il n’est pas introverti, loin de là, mais se considère comme un anticonformiste, et ne faisant partie d’aucun groupe, il renie le côté communautarisme de la société actuelle. C’est sa vision des choses, loin d’être partagée par sa sœur, de deux ans sa cadette, la pétillante Sophie. Celle-ci a toujours été extravertie, voulant plus que tout rencontrer des gens, échanger avec eux, en somme, être entourée comme toutes ces pop stars qui jouissent d'une vie de rêve qu'elle aspire secrètement, bien que ses parents semblent avoir d’autres projets pour elle et pour son avenir. Papa ayant toujours ambitionné à laisser le flambeau chirurgical à l’un de ses enfants et Sophie, en élève modèle, semble toute indiquée. Malgré les divergences d’opinion, elle n’a jamais laissé sous-entendre qu’elle prendrait une direction plus artistique que scolaire à la fin du collège, lorsqu’elle aurait enfin seize ans comme son « geek » de frère, surnom dont elle aimait amicalement l'affubler. Toute cette petite tribu ne serait pas complète sans la petite dernière, Kathy, six ans et demi et déjà dotée d’une très grande vivacité d’esprit. Daniel vous dirait qu’ils sont comme ça chez les Richard, ambitieux, compétents et que rien ne peut les arrêter s’ils ont un objectif. Le patriarche est très fier de sa famille, lui qui s’est toujours vu dans son adolescence finir en playboy dans sa garçonnière, est bien heureux de la direction que sa vie a prise.
Et pour récompenser la loyauté, la fidélité et le travail de tout le monde, le chirurgien a réservé une villa luxueuse située à Saint-Âme, un petit village du sud de la France, localisé non loin de la côte et à proximité de Saint-Tropez. Il s’agit d'un petit bourg où Daniel et Valérie s’étaient rencontrés pour la première fois lors de vacances avec des amis respectifs. Un petit retour aux sources leur ferait du bien et c’était un moyen pour les enfants de connaître un peu plus l’histoire d’amour qui liait leurs parents depuis plus de deux décennies.

Après plusieurs heures de préparatifs ponctuées par de nombreux oublis d’objets, utiles comme futiles, plusieurs parties vidéoludique pour Marc, la recherche de la poupée fétiche de Kathy, le dilemme vitale devant la garde de robe de Sophie et les troubles obsessionnels compulsifs de sa femme liés au ménage, Daniel peut enfin prendre la route à bord de sa berline Allemande haut de gamme. Son automobile est un petit bijou de technologie qu’il considère comme son quatrième enfant. Son fils a sa console portable sa fille son téléphone, sa femme son ordinateur, sa dernière ses nombreux jouets, lui, il l’a elle. Chargée jusqu’aux limites de la législation en vigueur, ils partent enfin, au plus grand bonheur de Daniel qui commençait sérieusement à s’impatienter. Il faut dire qu'il vient de s'apercevoir que les passions dévorantes de sa famille ont un impact sur leurs manières de se comporter. Les premiers kilomètres sont un véritable plaisir puisque chacun semble y trouver son compte, mais tout ne reste qu'éphèmére, les premiers signes de lassitude se font ressentir.
- On arrive quand ? Hein papa, c’est encore loin ? Demande la petite Kathy à son père pour la énième fois depuis le début du voyage. Voilà trois bonnes heures qu’ils ont pris la route que les premières plaintes fusent, aussi vite qu’une flèche peut atteindre sa cible, à l’encontre de la durée du trajet. Le père de famille a été clair, le voyage va être long, très long même, personne ne peut traverser la France de l’extrême Nord à l’extrême Sud sans subir une perte de temps considérable.
- Bientôt ma chérie, très bientôt ! Dit-il avec le sourire. Daniel est de nature calme, il faut dire qu’avec son travail de neurochirurgien, il lui faut une patience d’ange pour ne pas commettre la moindre erreur qui s’avérerait être fatale pour ses patients. Le quadragénaire n’a pas dit totalement la vérité à sa fille mais bon, c’est pour la bonne cause, il ne veut pas essuyer une nouvelle vague de pessimisme au sein du véhicule familial.
- De toute façon, on arrivera jamais à la villa, on se fera dévorer avant par une horde de zombies affamée et amatrice de chair ! s’exclame avec passion Marc fixant, de son regard le plus inquiétant, la plus jeune de ses soeurs.
- C’est pas vrai, ça existe pas les sombies ! répond-elle en lui tirant la langue.
- On dit zombie, et puis, moi je m’en moque, je sais comment me défendre, alors que toi non, tu n’as pas de chance en plus, ils adorent manger le cœur des petits bébés comme toi !
- Marc ! Arrête un peu veux-tu, tu vas effrayer ta sœur. Ne t’inquiètes pas ma puce, ton frère ne dit que des bêtises, dit Valérie, réconfortant au passage sa douce petite fille aux bords des larmes, il est jaloux parce que tu as eu le droit d’emporter ta poupée et lui, pas sa console de jeux !
- Je ne vois même pas pourquoi je n’ai pas eu le droit de la prendre sur moi d’ailleurs !
- Peut-être pour que nous puissions jouir de ta voix et non des bruitages de ta console !
- Ou peut-être pour que tu sois moins débile…ajouta Sophie avec cynisme. La jeune fille a été calme jusqu’à maintenant, beaucoup trop occupée à envoyer des messages avec son téléphone portable au garçon qui l’intéresse au collège, Kevin. Le garçon en question est plus âgé qu’elle de deux ans, autant dire que pour la jeune fille, c'est preuve d’une certaine maturité au combien importante à ses yeux, dont les élèves de son âge sont dénués, toujours selon ses critères. Ses parents sont au courant de cette petite amourette, rien de bien méchant selon eux, vu l’âge des deux adolescents, cela ne durerait que quelques jours, mais ils se gardaient bien de le dire à leur jeune fille.
La jeunesse accepte bien le rapport et l'autorité parentale tant que leur liberté, bien que limitée, reste préservée. Continuant sur l'autoroute, libre de toutes contraintes, les Richard ont la vue troublée par un imposant panneau leur indiquant la voie qui les accueillent. C'est au plus grand damne de Marc qui gratifiait les siens d'une de ses répliques pleines d'optimisme.
- Vous qui entrez-ici sur l’A666, abandonnez toutes espérances, annonce t'il, d’un air presque résigné à la vue du panneau. Ses paroles ont l’intonation d’un condamné à mort, où seul le repos mortuaire semble pouvoir encore émouvoir un tant soit peu son âme perdue et désuète.
- Je ne savais pas que tu avais étudié l’enfer de Dante au collège ?! S’exclame son père, quelque peu surpris et intrigué par les connaissances de sa progéniture.
- Ce n’était pas au programme mais j’aime tout ce qui touche de près ou de loin au royaume de l’enfer papa !
- Et voilà qu’il recommence, l’adorateur satanique qui fait des cauchemars en regardant l’exorciste ! dit Sophie, provoquant ainsi son grand frère sur un terrain particulièrement sensible. Valérie, mère prévenante, démineur de crises infantiles va devoir s’employer pour neutraliser le désaccord futile que représente un débat musclé entre ses deux ainés.
- Les enfants, je vous rappelle que votre petite sœur de 6 ans et demi est à bord de la voiture et que les seules choses paranormales qu’elle connaît sont les anges, les sirènes et les licornes donc si vous voulez nous enrichir d’un débat dont vous seuls avaient le secret, attendez que l’on soit arrivé ou le prochain arrêt, mais hors du véhicule. Le sourire radieux, réconfortant et chaleureux de la maman des temps modernes est suffisant pour arrêter la menace à la source. Valérie a toujours su résoudre toutes sortes de conflits sans avoir recours à de quelconque artifice, cela lui a valu bon nombre de remarques élogieuses au sein de ses diverses entreprises. Elle est une meneuse d’hommes, inspirant bien plus le respect que la peur qu’elle juge inutile. Si un tel compromis fonctionne avec les requins dans le commerce au moment de signer les plus gros contrats, il n’y a aucune raison que cela ne réussisse pas avec ses propres enfants. Et pour preuve, ils sont redevenus calmes, pour le moment.
- Un jour tu pourras me donner ton secret ? Avec moi ça ne se passe jamais comme ça, pourtant je ne suis pas si mauvais que ça, hein ? Daniel n’en pense pas un mot. En tant que chirurgien de renom, il a acquis une certaine assurance et confiance en soi, chose qui peut parfois ressembler à un narcissisme naissant, très peu pour lui. Il est talentueux et modeste, les deux vont de paire dans la famille, c’est bien connu.
- Tu es un mari incroyable et un père formidable, c’est juste que tu n’as pas le charme de ta chère épouse, après tout, c’est grâce à lui que tu es tombé amoureux de moi, je me trompe ? dit-elle en posant amoureusement sa main sur la cuisse de son mari.
- Ton charme…je dirais plutôt le choc visuel que j’ai eu en te voyant prendre le soleil aux abords de la piscine de l’hôtel où nous étions. Là oui, je suis tombé sous le charme, j’ajouterai même que ça a été le coup de foudre ! s’exclame t’il avec un large sourire feintant presque le fait qu’il ait dû faire la cour à sa femme pendant plusieurs jours pour qu’elle daigne accepter l’une de ses invitations à dîner. Après ce soir là, plus rien ne fut plus jamais comme avant pour nos deux tourtereaux.
La scène, touchante à souhait, rebute notre adolescent anarchiste qui considère tous bons sentiments comme un exemple cuisant de l'hypocrisie humaine.
- Tout ce flot de bons sentiments me donne envie de vomir !
- Pourquoi ça, Marc ? Moi je trouve ça trop romantique que maman et papa s’aiment encore après tout ce temps !
- C’est sûr que ce n’est pas prêt d’arriver avec Kevin, il doit être bien content que tu partes en vacances pour trois semaines, ça lui laisse le temps de se rapprocher d’Angélique…
- Quoi ? Qu’est-ce que tu viens de dire ? Répète un peu pour voir ?
- Ne me dis pas que tu n’as pas vu comment il la regarde…Oh Angélique, que tu es belle et intelligente, ma soi-disant petite amie ne t’égalera jamais, bla-bla-bla !
- Espèce d’abruti, je vais t’arracher la langue, ça t’évitera de dire des conne…
- Bon ! C’est terminé, oui ?! Dit le père d’un ton ferme, coupant ainsi la phrase de sa jeune adolescente. Daniel a laissé sa femme négocier gentiment avec ses enfants afin d’enrayer tous conflits inhérents à leurs âges pré-pubère mais cela n’a duré qu’un court instant. Il est temps qu’il instaure un calme permanent pour lui permettre de ne pas être gêné lors de ce long voyage. Nous arrivons bientôt à une aire de repos, nous allons pouvoir manger, nous reposer et même avoir un petit moment de calme alors, s’il vous plait, je ne veux plus rien entendre jusqu’au prochain arrêt !
- Ce n’est pas moi qui ait commencé, c’est la faute de Marc, il arrête pas de…
- J’ai dit plus rien, plus un mot pendant dix kilomètres, est-ce trop demandé ? Le prochain qui ouvre la bouche passera son séjour dans sa chambre sans aucune possibilité d’obtenir sa rédemption, c’est clair comme ça ?
Daniel vient de perdre son sang froid pour la première fois depuis plus de trois heures. Les enfants se sont disputés, ont hurlé, se sont plaints, mais là, il ne peut plus en supporter davantage. Il est malheureux que la petite Kathy se fasse indirectement reprendre par son père mais il ne peut délimiter la zone de « quarantaine », la cadette étant au centre des deux perturbateurs. Valérie n’a pas encore dit un seul mot depuis le coup d’éclat de son mari envers ses deux enfants, peut-être a t'elle mal encaissé le fait qu’il déjoue sa pédagogie tout en douceur ou a t'elle simplement jugé qu’ajouter quelque chose serait source de conflit entre eux.
Daniel ne dit plus un mot, observant les bornes kilométriques qu’il dépasse sans cesse, les unes après les autres, grâce au moteur performant de sa berline. Le silence, depuis qu’ils ont leurs enfants, est aussi rare que d’obtenir la bonne combinaison du loto en une seule participation, autant dire que cela fait une éternité qu’ils n’en ont pas profité. Le plus triste dans cette histoire, c’est qu’il a dû attendre de réprimander ses enfants, indisposer son épouse, pour que cela se produise. Ce calme, si doux et reposant, allait bientôt prendre fin, à son plus grand désarroi. Daniel a promis, ils s’arrêteraient à la prochaine aire d’autoroute pour permettre à sa petite tribu de jouir de la traditionnelle « pause-pipi », des ravitaillements en tout genre et du bonheur de pouvoir se dégourdir les jambes, vraisemblablement lourdes après un trajet de plusieurs heures, même si les sièges en cuir de son véhicule assurent un confort royal. Ces quelques minutes de calme lui ont fait du bien, lui permettant de retrouver le sourire et de prendre la direction de l’aire de repos avec une certaine quiétude.
- Nous y voilà les enfants, ne vous éloignez pas trop, prenez de quoi acheter ce que vous voulez mais soyez brefs, on ne reste pas plus de trente minutes, c’est compris ? Dit-il de façon rhétorique avant de garer sa luxueuse berline entre plusieurs véhicules de gammes inférieures. Daniel est comme ça, il a réussi, et aime l’afficher, non pas par arrogance mais par fierté.
- Tu as réussi à les calmer, tu vois, ta méthode n’est peut-être pas la même mais cela reste efficace, dit-elle en déposant un baiser sur les lèvres de son mari, pendant que les deux adolescents sont déjà sortis se dégourdir les jambes. Je vais avec Kathy au « pipi-room », tu peux t’occuper des sandwichs, tu serais un amour !
- Végétarien pour toi et Sophie, jambon-beurre pour Marc et au poulet pour Kathy et moi, c’est bien ça ?
- Tu vois quand tu veux, tu peux être un bon père ! dit-elle avec un sourire non dissimulé alors qu’elle se dirige avec sa petite fille vers l’entrée de la station de l’aire de repos.
Daniel fixe sa femme pendant un court instant avant de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur afin d’apercevoir ses deux autres enfants. Ils sont tous les deux installés sur un banc en bois, non loin de là. Un fait qui est plutôt rare, ils ne se disputent pas mais semblent réussir à neutraliser leurs pulsions meurtrières le temps d’un dialogue. Leur père nourrit l’espoir que le voyage soit moins mouvementé mais cela reste une pensée idyllique. Ah les enfants, ils sont autant source de bonheur que d’ennuis, mais il les aiment quand même.
Pour preuve, bien que cela ne nuise à personne pour le moment, Marc scarifie à plusieurs reprises le banc sur lequel ils sont installés. Toutes sortes de symboles, incompréhensifs pour les non-initiés aux rites sataniques, qui ont le don d'indisposer particulièrement sa sœur Sophie, qui ne perd aucune occasion de lui en faire part.
- T’es toujours obligé de te balader avec un livre sur le paranormal ? Avec tout tes gris-gris puérils ? dit-elle en insistant bien sur le fait que l’attitude de son frère ne lui sied guère.
- Si tu te serais renseignée sur cette autoroute de malheur, tu ferais moins la maligne ! Tu n’arrêtes pas de penser à Kevin mais si j’étais toi, je penserai plutôt à arriver à bon port avant d’être bouffé par le premier truc rampant qui croiserait ma route !
- T’es sérieux là ? Ou t’essayes de me faire flipper comme Kathy ?
- A ton avis ? L’A666 est tristement célèbre pour ses disparitions à répétition. L’année dernière ont à déploré une demi-douzaine de disparitions inexpliquées, sans compter les actes de cannibalisme en tout genre. Je te le dis moi, on est sur l’autoroute du diable et je n’ai pas envie d’être son quatre-heures !
- Qu’est-ce qui t’arrive, toi le gothique satanique ? dit-elle en déglutissant, cachant son anxiété grandissante, je suis sûr qu’on arrivera vite dans le Sud et qu’on rigolera bien de tes histoires à dormir debout, je pari cinquante euros qu’il ne nous arrivera rien de paranormal, à l’aller comme au retour ! s’exclame t’elle en présentant sa main à son frère pour qu’ils puissent conclure le pari.
- Okay, nous verrons bien alors ! dit-il après avoir hésité un court instant. Marc n’est pas du genre à parier sur la vie des membres de sa famille mais peut-être qu’ils seraient témoins d’un épisode paranormal sans pour autant en être les victimes: il l’espère vraiment en tout cas. D’aspect nonchalant, sans paraître insensible, le jeune adolescent scrute les environs avec une inquiétude palpable, quelque chose le tourmente, traverse son être sans qu’il puisse décrire cette étrange sensation. Jetant un rapide coup d’œil à sa sœur qui est toujours en train de pianoter sur son téléphone portable, il tente de trouver ses parents du regard, mais ils semblent déjà être à l’intérieur de la station service.
- On les rejoint, non ? Je n’ai pas envie de mourir de faim ! Marc semble affamé mais il n’en est rien. Le garçon est en proie à un mal être inexplicable, ses sens sont en alerte, prêts à l’avertir à la moindre attaque extérieure, quelque chose cloche, il le sait, il le sent, ses parents sont sains et saufs, ils le doivent. Se dirigeant rapidement vers la station, suivit de près par sa sœur qui lui emboite le pas, Marc pénétre rapidement dans ce qui semble être un restaurant tout ce qu’il y a de plus normal. Sa mère et sa petite sœur sont déjà installées, consultant le menu afin de trouver un repas appétissant qui comblerait toute la petite famille. Soulagé, le garçon rejoint sa génitrice avec sa sœur et prend place autour de la table.
- Je pensais que nous mangions des sandwichs !
- Moi aussi, répondit la mère, mais votre père a décidé de nous faire découvrir les plats succulents des routiers, si vous n’avez jamais eu l’occasion de manger plus qu’il n’est permis, profitez-en !
- Je n’aime pas cet endroit, c’est glauque, ringard et ça pue la sueur !
- Sophie, soit indulgente et pas si bourgeoise, je suis sûr que nous allons nous régaler ! Voyez s’il y a quelque chose qui vous plaît !
- Moi je veux des frites et un steak, et ma poupée elle veut un verre de lait.
- Pas de soucis mon cœur, Marc, Sophie, que voulez-vous ? Moi je prendrai bien l’assiette du chef et la salade composée ! dit-elle en posant délicatement le menu devant elle.
- Bonjour l’angoisse, j’imagine bien l’état de la viande…je prendrai une salade, et encore, si ce n’est pas la mauvaise herbe du coin…répondit Sophie avec cynisme en constatant la tenue déplorable du cuistot.
- Moi je prendrai le double cheeseburger XXL et la maxi part de frite !
- Marc, tu es sûr de pouvoir avaler tout ça ? Je ne suis pas sûr que papa pourrait ingurgiter le quart sans avoir une indigestion ! Dit-elle avec le sourire, d’ailleurs, où est-il ? Il m’a dit qu’il se rendait aux toilettes avant d’aller vous chercher pour manger. Valérie s’apprête à partir à sa recherche lorsque son fils ainé lui conseille de rester aux côtés de Kathy et Sophie et que lui, va aller à sa recherche dans les toilettes des hommes. Le jeune garçon traverse la station service avant de pénétrer dans le seul lieu réservé aux hommes, pendant que les trois filles passent la commande.
Quelques secondes après son incursion, Marc fait son retour auprès de sa famille.
- Papa n’est pas aux toilettes !
- Quoi ?! Tu es sûr ? Il doit-être parti vous chercher, reste avec tes sœurs, je vais aller voir ! Valérie quitte sa place puis sort de la station service pour se retrouver sur l’imposant parking. Malheureusement, ce dernier a radicalement changé, il n'est en rien comparable à celui qu'ils ont vu lors de leur arrivée. Alors qu’il y a quelques minutes encore les voitures et autres camions jonchaient ce dernier, il n’y a plus que leur berline en stationnement. Inquiète, elle retrouve ses enfants en ordonnant à son fils de fouiller de fond en comble la station service et ses alentours, sans pour autant s’aventurer à plus de quelques mètres. L'angoisse devient importante, la traversant comme une lame froide le fait dans une chair brulante. La mère de famille ne l'a pas encore remarquée mais il n'y a plus personne également dans le restaurant routier, seul le chef-cuisinier qui est, accesoirement le gérant, est présent. Il la dévisage de son regard quelque peu lubrique avant de s'adresser à elle.
- Votre mari n’est plus là et vous ne devriez plus l’être non plus. Partez d’ici avant que cette route ne dévore vos âmes, vous pouvez encore faire marche arrière, soyez raisonnable, votre mari est perdu ! La voix de cet homme brise un silence pesant, ses paroles transpercent le cœur de Valérie où l’incompréhension se mêle à l’appréhension.
- De quoi parlez-vous ? Où est mon mari ? Que lui avez-vous fait ?
- Papa n’est nulle part maman, j’ai regardé partout ! Signale Marc, la respiration saccadée après avoir cherché désespérément son père.
- Suivez mon conseil ma petite dame, ce que vous trouverez sur votre route ne vaut pas ce que vous perdrez, abandonnez…Il faut que vous sortiez, je ne dois pas vous aidez, je ne peux pas, il me le fera payer !
- Qui vous le fera payer, de qui parlez vous ?
- Sortez d’ici, je ne veux pas d’ennui avec lui ! hurle-t-il, en se précipitant vers la famille Richard afin de les forcer à quitter l’établissement. Valérie pense pendant un court instant à refuser mais l’homme, costaud et solide, ne ferait qu’une bouchée d’elle et de ses enfants, elle ne peut pas se le permettre, elle reste leur mère et doit les protéger.
Maintenant dehors, seule au milieu du parking qui ne ressemble plus qu’à une étendue désertique, la femme d’affaire s’interroge, que doit-elle faire ? Son mari est probablement en danger, peut-être est-il en train de souffrir ou pire encore, ne souffre plus. Trop de question la harcèlent sans qu’elle puisse leur apporter la moindre réponse tangible et rassurante.
- Qu’est-ce qu’on fait maman ? J’ai peur ! Sanglote Sophie.
- Je veux papa, le gros monsieur me fait peur ! Dit la petite Kathy accrochée au cou de sa douce maman.
- On va chercher papa !
- Quoi ? Mais tu as entendu ce qu’a dit ce type ? On va se faire trucider si on continue ! Je l’avais dit, nous allons nous faire dévorer par des zombies, je suis trop jeune pour mourir…
- Marc, calme-toi ! Sophie, monte à l’arrière avec ta petite sœur. Marc, prends ma place, je prends le volant, tu me serviras de guide, il y a une carte dans la boite à gants.
Les Richard embarquent dans leur automobile sans savoir où se rendre, sans connaître le milieu hostile qui s’apprête à les accueillir bras ouverts, crocs et griffes apparents.

Ce qui ne devait être qu’un arrêt de routine a, semble t’il, tourné au désastre. La petite tribu plonge dans l’inconnu avec pour seules armes leur loyauté, leurs convictions et leurs espoirs, autant dire que cela reste maigre contre la machination dont ils font déjà l’objet. Que les innocents restent sur leurs gardes, au pays de l’inconnu, seules les ombres sont reines des ténèbres…

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