Avenir

Alice Pervilhac

Je me dépêche de taper ces derniers mots, pendant qu’au dehors c’est une pluie d’obus qui s’abat sur la ville. Je dois finir mes mémoires, les envoyer sur le réseau avant qu’il ne soit trop tard.

Notre génération savait, bien avant la Troisième Guerre, qu’elle allait souffrir du passé de l’humanité. Nos ancêtres n’avaient vécu que pour l’excès : excès d’argent, excès de ressources, excès de politique. Nos parents, déjà, avaient senti le changement ; tant de promesses non tenues, de désillusions, de présages d’un sombre avenir.

Lorsque nous avions été en âge de comprendre la marche du monde, les pays se livraient à une guerre froide dont tout le monde parlait sans réagir. La planète était mourante, mais elle non plus ne suscitait aucun émoi parmi les humains. Même à une dimension plus réduite, rien ne nous permettait d’espérer une amélioration. De toute manière, bien rares était ceux qui y croyaient.

Technologiquement parlant, quoi qu’on puisse nous dire, nous avions compris que rien de majeur ne se révélerait. En tout cas, pas à temps pour sauver notre peau.

C’étaient les réseaux de toutes sortes qui nous permettaient de ne pas nous laisser abattre par cette obscurité à venir. Nous nous absorbions – ou étions absorbés – dans internet, matraquions Facebook de photos et de considérations bassement matérielles. Nous jouions à World of Warcraft, à Guild Wars, nous plongeant entièrement dans leurs univers virtuels, tellement préférables à l’ici et maintenant dans lequel nous étions contraints d’évoluer.

Comme pour toute évolution de la société, tous les arts étaient touchés. Dans la littérature, la fantasy et la science-fiction prenaient leur essor, offrant à chacun l’espoir d’un avenir brillant ou le regret d’un passé légendaire. La musique révélait ses instincts les plus sombres, les plus extrêmes, qu’ils appartiennent au mouvement du métal, du rap, ou d’autres. La peinture devenait plus confidentielle, remplacée par un cinéma qui regorgeait désormais de scénarios catastrophe et de slasher-movies, effusions de sang et de larmes que chacun pressentait.

De même, les tabloïds se multipliaient : on ne devait pas penser à soi-même, à ce qui nous arrivait, à la pitié qu’inspirait notre race, notre engeance, l’humanité tout entière. Mieux valait médire sur les Autres, forcément plus importants, ces pop-stars et people qui fournissaient assez de matière pour polluer chaque jour un peu plus la planète bleue.

Je me suis longtemps demandé qui des deux mourrait avant l’autre : la Terre ou l’Humanité. Finalement, en nous entre-tuant, nous avons aussi achevé notre berceau. Ce virus, créé par je ne sais qui, touche tous les êtres vivants : humains, animaux, végétaux. Avant que tout ne finisse, nos dirigeants ont donc décidé de faire joujou. Tant de temps qu’ils rêvaient d’essayer ces nouvelles armes…

Je vais bientôt mourir et je ne vois pas quoi dire de plus. A part peut-être : honte à nous. Honte à nous, qui, même dans les moments les plus noirs, n’avons su faire un geste. Honte à nous, et bienvenue à toi, Mort. Voilà bien longtemps que je t’attendais, mon amie.

  • @ Mnette: certes, vous avez raison. Je pense toutefois que notre société a évolué, et ses problèmes avec elle... Mais nevous en faites pas, je ne perds pas de vue le positif. Car, comme vous le dites si bien, il n'y a pas si longtemps, je n'aurais pas été libre, moi, une femme, d'écrire ou même de penser de telle choses!

    @oliveir: si seulement...

    · Il y a environ 13 ans ·
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    Alice Pervilhac

  • Mais si l'on considère le passé,pensons aux travailleurs du début du siècle qui faisaient leurs 14h de labeur quotidien sans vacances, aux mères qui mourraient en accouchant,aux usines qui crachaient leur suie noir directement dans l'atmosphère, aux soldats qui crevaient par milliers sur les champs de bataille et qu'on laissait sans soins, aux aristocrates qui avaient tout le pouvoir, aux paysans qui crevaient de faim, aux femmes qui n'avaient que le droit de pondre à outrance, à la peste qui décimaient des milliers de gens, aux personnes (femmes, homosexuels, athée) qu'on brûlait pour un rien sur un bûcher etc etc etc, finalement on vit pas si mal que ça! bien sûr rien n'est parfait, il y a une foule de problèmes, mais aussi bien plus de gens qui ont à cœur de les résoudre!le monde d'aujourd'hui est trop interdépendant pour oser un conflit. Et puis qu'est-ce la fin du monde si ce n'est notre propre mort! moi je crois que l'humanité se soigne.Merci pour le débat!

    · Il y a environ 13 ans ·
    Dsc06413 54

    mnette

  • J'avoue avoir écrit ce texte un jour d'intense pessimisme... Je ne sais pas si il s'agit de toute l'humanité. Bien évidemment, chacun d'entre nous souhaite que les choses changent, aillent mieux, que la planète s'en sorte, que l'économie se redresse, que le capitalisme tombe et que nous vivions tout heureux. Malheureusement, ça n'a pas l'air d'être pour tout de suite, car les bonnes intentions ne suffisent pas. Personne n'est pour la fin dans le monde, mais si vous gagnez 5 millions au loto, qu'allez-vous en faire? Les donner à des associations ou vous acheter une grande maison?
    Malgré tous mes espoirs, j'ai de plus en plus le sentiment que l'on va droit dans le mur...

    · Il y a environ 13 ans ·
    Photo auteur

    Alice Pervilhac

  • Waouf bien envoyé ! Le constat est assez juste, le scénario très pessimiste... un très bon texte pour engager un débat... et qui donne vraiment envie d'en discuter, car cette humanité que vous décrivez est-elle toute l'humanité ou seulement une part de l'humanité qui faute de vouloir vraiment changer met en péril la terre entière et serait amenée à disparaître etc, etc... ? La guerre oui, on la voit venir... brrrr !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

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