Azaïs
Eka Abassi
Azaïs, grand nègre, fier, et fort à la voix impérieuse était le maître de tous les esclaves sans papa, ni maman. On appelait ainsi ceux qui fuyaient l’habitation pour le rejoindre dans les grands bois, renonçant aux trois patates que Monsieur Beauvallon leur donnait pour couper la canne sous un soleil sans pitié, et sous l’œil féroce d’un commandeur au fouet impatient. Monsieur Beauvallon et tous les habitants avec lui réclamaient un châtiment exemplaire. Dans leurs dîners ils parlaient haut. Azaïs une fois dans les geôles du roi, ne pourrait échapper au supplice de la roue. Ce qui était bon pour un mulâtre de Saint Domingue jaloux de la liberté des blancs, le serait tout autant pour le nègre Azaïs s’exclamait Monsieur Beauvallon. Il racontait à ses amis lors de leurs parties de cartes, qu’il avait été trop bon. Le nègre ingrat l’avait remercié de sa clémence, en prenant la fuite une deuxième fois. Il s’acquitterait lui même du châtiment réservé aux esclaves marrons. Il lui couperait lui même la jambe le jour où l’ingrat serait pris, avant de l’abandonner à son bourreau et à sa roue.
Ces paroles furent rapportées à Azaïs. Azaïs jugea plus prudent de faire alliance avec Bonga. Bonga régnait depuis longtemps dans les montagnes de Capesterre et ses grands bois. Il était chef de plusieurs camps. La forêt dense, les chemins qu’eux seuls connaissaient à travers les arbres indiens et les feuilles de siguine avaient protégé les fugitifs jusqu’ici.
Azaïs n’avait qu’un seul camp. Un chemin escarpé menait à un plateau où les ajoupas enfouis dans les bois balata et les acomat boucan gardaient leur habitants au secret des grands arbres.
Quand Azaïs reçu Bonga dans son ajoupa, le jour de l’alliance, il lui offrit de boire son rhum et fit allégeance.
Bonga lui dit:
Ote les chiques des pieds d’un nègre et il prétend te défier à la course. Est-ce que tu me défie Azaïs?
Azaïs répondit:
Non Bonga. Pour preuve de ma bonne foi et de mon allégeance demande ce que tu veux. Je te le donnerai.
Bonga dit:
Tu es un homme prudent. Je le suis moi aussi. Ta soeur Anne contre un gallon de rhum. Et tu pourras compter sur mon aide et moi sur la tienne.
Scellons notre alliance dit Azaïs. Les deux hommes jetèrent d’un coup sec le rhum dans leur ventre et l’alliance fût scellée.
Anne quand elle apprit la nouvelle resta muette, elle savait qu’il était inutile de tenter d’infléchir la décision d’Azaïs. Son amant Moco esclave marron de Monsieur Céloron de Blainville implora la clémence d’Azaïs. Il le supplia de reprendre sa parole. Anne portait son enfant. Anne était sa femme. Comment un frère pouvait-il ainsi abandonner sa propre sœur? Et l’enfant qu’adviendrait – il de lui?
Azaïs ne le dit qu’une fois:
Bonga a choisi le prix de son alliance. Anne sera donnée demain au levé du soleil à Bonga.
Anne dit :
Alors mon frère accorde moi la nuit pour dire adieu à celui dont je porte la descendance.
Une fois seule avec son amant, elle lui dit:
Mon frère a décidé, je lui dois obéissance. Tu risque la mort à le défier ainsi. Crois tu qu’il est homme à reprendre sa parole?
Fuyons dit Moco. Fuyons. J’ai défié Azaïs. Demain il me fera mourir. Fuyons c’est notre seule chance. Monsieur Céloron de Blainville nous accordera sa grâce. Fuyons.
Anne se savait condamnée. Retourner en esclavage comme le lui proposait son amant, ou vivre en esclave au camp de Bonga, que lui importait à présent! Elle suivi Moco. Azais de peur que les amants ne conduisent les blancs jusqu’à son camp, n’avait pas attendu la fin de la nuit pour se lancer avec ses hommes à leur recherche. Bonga les accompagnait. Ils furent retrouvés au petit matin au milieux des tombeaux des anciens maîtres de Moco. Monsieur Céloron de Blainville et sa femme avaient succombés aux fièvres. L’habitation close et comme à l’abandon attendait son nouvel acquéreur. Les fugitifs furent ramenés au camp les bras attachés par des lianes. Azais lia lui-même les pieds de Moco et ordonna au nègre Hibo de frapper 3 fois. Hibo frappa trois fois. Anne le visage en proie à une douleur muette, maudit son frère et menaça de fendre le ciel. Moco n’était pas mort. Les trois coups de sabre sur la tête n’avait pas suffit. Azais pris le sabre des mains d’ Hibo et le planta dans la poitrine de Moco. Moco est mort ainsi ; la tête et la poitrine pleurant le sang. Anne n’avait pas fendu le ciel en deux et le même sort maintenant l’attendait. Azaïs avait déjà le bras levé. Mais Bonga l’arrêta :
Elle est à moi. Elle est le prix de notre alliance lui rappela t-il.
Le lendemain le cadavre de Moco fut recouvert d’un peu de terre au pied d’une fougère arbuste.
Les femmes racontaient cette histoire à leurs enfants pour les mettre en garde contre le marronnage. Elles disaient préférer les patates que donnait le maître à la terre des grands bois dont il faudrait remplir le ventre des enfants. Parce que dans les mornes il n’y avait rien. Il n’y avait que les arbres pour regarder le nègre fuir les chiens. Il n’y avait que les feuilles coupantes pour lui rappeler sa malédiction. Et surtout il y avait Azaïs, grand nègre, fier, et fort à la voix impérieuse, le maître de tous les esclaves sans papa, ni maman. Le nègre qui aurait pu faire mourir sa sœur Anne en frappant 3 coups. Si seulement Anne avait pu fendre le ciel en deux, les étoiles seraient venues la sauver. Mais qui avait dit que les étoiles étaient pour les nègres? Personne.
Très bon! Vraiment bien écrit encore une fois
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis
Très bien écrit... je trouve, récit d'une histoire si douloureuse à lire...
· Il y a presque 14 ans ·Edwige Devillebichot