Bain public
bequelune
Au bout du village, il y avait ce petit pont de pierre sur lequel les randonneurs venaient admirer les charmes de la vallée. Et derrière ce pont, juste au niveau du virage, un petit chemin de terre descendait à travers les chênes et les buissons. L'entrée de ce chemin était en partie recouverte par une ronce un peu envahissante, et les pierres avaient tendance à vous glisser sous les pieds si vous n'y preniez pas garde ; aussi, depuis longtemps, ce chemin n'était-il guère emprunté.
Ce chemin était pourtant pour Flavien la porte d'entrée de toutes ses promenades dominicales. Chaque weekend, profitant d'un retour dans la petite maison de ses parents, il s'en allait errer dans les bois. Flavien étudiait les sciences humaines à Toulouse. Il appréciait la ville et ses joyeuses mêlées étudiantes ; mais il avait aussi besoin de ces moments en solitaire entre les arbres, au son des oiseaux.
Ce dimanche, il se promenait comme à son habitude. Alors qu'il descendait le sentier, il entendit des rires. Des rires qui venaient d'en bas, en dessous du pont. C'était déjà bien rare que Flavien rencontra quelqu'un sur ce chemin oublié de tous, mais qu'en plus des personnes en viennent à glisser leurs pas hors du sentier pour rejoindre le cours d'eau, celui lui sembla incroyable.
Le chemin descendait en lacets à travers les arbres, si bien que Flavien ne pouvait pas voir le bassin au pied de la cascade avant d'être arrivé jusqu'au pont. Il marchait plus vite que de coutume, curieux de voir qui étaient ces gens venus rire les pieds dans l'eau. En même temps, il espérait que s'il passait assez vite sur le pont, les personnes en bas ne le remarquerait pas : il souhaitait voir sans être vu.
Au détour du quatrième lacet, le pont était face à lui. À peine dix pas à traverser, un tout petit pont de pierre qui surplombait le bassin. À sa gauche, la cascade, qu'il ne pouvait pas encore bien voir mais qu'il devinait déjà entre les chênes.
Bon, je me lance… Flavien s'engagea d'un pas rapide sur le pont. Au cinquième pas, il osa un un bref coup d'œil en dessous du parapet. Ce qu'il vit le surprit tant qu'il accéléra encore. Bientôt il était déjà à nouveau sous le couvert des arbres, invisibles aux baigneurs.
Mais lui non plus ne pouvait plus observer. Et il mourrait d'envie de faire demi-tour et de vérifier si sa vision était bien réelle. Flavien, l'espace d'une seconde seulement, avait aperçu un jeune couple, tous deux nus sous les coulées d'eau de la cascade.
Des naturistes… Ici ! Cela semblait si incroyable à Flavien que son cœur battait la chamade. Quelle idée avait donc poussé cet homme et cette femme à prendre un bain ici, au milieu des bois, à la sortie de son petit village ?
Il voulait en voir davantage. Le couple était de dos ; ils ne pouvaient donc pas l'avoir vu passer sur le pont. Croyant toujours être seuls, les deux ne se méfiaient pas. En deux secondes, Flavien prit sa décision : il allait escalader le talus qui surplombait la cascade, aussi agile et discret qu'un chat, et en se glissant à travers les buissons il pourrait observer le bassin en toute discrétion. La baignade impudique des deux jeunes gens n'aurait plus de secrets pour lui.
Il se mit à l'œuvre. Avec toutes ces ronces, la montée était plus difficile que prévu. Il sentit son tee-shirt s'accrocher à une branche et se déchirer. Tant pis : il fallait continuer à avancer. Flavien entendait le couple rire et discuter à quelques mètres de lui.
La femme demandait : « Tiens, passe moi donc le savon. » L'homme refusait. Puis on entendait des éclaboussures, le clapotis joyeux de l'eau remuée, ainsi que des rires emmêlés. Flavien les imaginait se battre doucement pour le savon. Sans doute que l'homme gagna puisqu'il ajouta : « Laisse moi faire. » C'était au même moment que notre héros arriva enfin sur son promontoire.
Ce n'était pas si haut que cela, finalement. De son poste de guet, il n'était qu'à deux mètre au dessus des baigneurs. Allongé au milieu des herbes hautes, il voyait très bien le visage – et le reste ! - des deux amoureux. Lui devait avoir trente ans, ou à peine plus. Brun, la peau joliment dorée, le corps fin et puissant à la fois. Elle était peut-être un peu plus jeune. Blonde, la peau d'une blancheur brillante. Leurs deux corps lovés formaient un joli contraste.
Elle, debout face à Flavien, avait de l'eau jusqu'au cuisses. Les yeux fermés, la tête légèrement inclinée en arrière, elle se laissait caresser par les mouvements de son ami. Posté derrière elle, il s'employait à transformer ce bain en moment délicieux.
Flavien se sentait un peu coupable de voler à ce beau couple son intimité. Il se découvrait voyeur. Mais sa culpabilité n'était pas assez forte pour lutter contre la puissante excitation qui gagnait son corps. Et puis, il était maintenant un peu tard pour s'enfuir. Partir à reculons dans ce taillis de buissons piquants n'allait pas être chose aisée, et il risquait de se faire découvrir. Et puis… si ces deux jeunes gens venaient faire un bain public, même au milieu des bois, c'est peut-être qu'ils espéraient être surpris…
Les deux baigneurs s'embrassaient maintenant. Elle avait levé les bras pour saisir la nuque de son partenaire, pour le rapprocher d'elle, et la tête en arrière elle mêlait la langue à celle de son amant. Bientôt ce bain n'en serait plus un. Ou plutôt, il deviendrait bien plus qu'un bain…
Flavien ne savait plus où se mettre. Paradoxalement, il ne pouvait se décider à détourner le regard du baiser qui se donnait face à lui. Si son esprit lui disait de fuir, tout son corps, solidement accroché au jeune couple par le fil tendu de son regard, souhaitait rester. Flavien n'avait jamais rien vu d'aussi beau, d'aussi séduisant. D'aussi excitant. En comparaison, les quelques amours qu'il avait connu dans sa chambre d'étudiant lui paraissaient bien fades. Installé inconfortablement contre la roche et la terre, il sentait son sexe gonfler, presque douloureux. Pourtant il n'éprouvait même pas l'envie de se toucher.
C'était une jouissance tout à fait visuelle. Sexuelle pourtant, sans aucun doute. Rien que par le regard il goutait de toute la joie partagée des deux jeunes gens nus face à lui. Le rouge des lèvres de cette fille, si charnues, fondantes comme un fruit mur. Le brun de la bouche de l'homme. Ses mains dorées, glissant le long du ventre clair de la femme. Et ce triangle noir, merveille pubienne surgie des eaux.
Des frissons s'emparaient de tout son corps. Il pouvait presque sentir la fraicheur de l'eau et la douceur de ces baisers. Leurs amours étaient métisses. Lui, la peau brulée de soleil, et elle, si blanche, si abandonnée à ses caresses. Le clapotement de l'eau autour d'eux jouait la plus belle des bande-sons.
Un craquement sorti Flavien de ses émerveillements. Il redressa la tête, à peine, pour ne pas se faire remarquer. Le sol bougeait. Un mauvais pressentiment lui noua le ventre. Il était temps de partir. Mais le craquement se reproduisit avant que la bonne résolution de Flavien n'ait pu devenir action concrète.
En face, le couple eut à peine le temps de voir un jeune homme se dresser soudainement des herbes hautes que, déjà, le promontoire depuis lequel il les épiait s'écroulait. Rochers, herbes hautes et garçon firent un plongeon directement dans le bassin, au pied du couple déshabillé.
La fille, étonné, se lova dans les bras de son ami. Mais quand le jeune voyeur émergea des flots, tout trempé dans son tee-shirt déchiré, elle ne put s'empêcher de rire. Un rire clair, franc et moqueur.
« Mon ami, n'êtes-vous pas un peu trop habillé pour un bain sous la cascade ? »
Photographie © thenudepageant