Bande d'hypocrites

Jimi B. Watson

Des amis s'étaient retrouvés autour d'une table, à une terrasse dans un petit quartier du centre-ville parisien. Thierry, PDG d'une grande entreprise et Patrick, médecin, étaient assis en face d'Anna, féministe. Ils attendaient Oscar qui travaillait à la Société Protectrice des Animaux. Soudain, Anna brisa le silence :
– Savez-vous ce que j'ai vu sur la vitre d'un bus ce matin ?
– Ton reflet ? plaisanta Patrick avec un rire à peine déguisé.
Ignorant la blague, Anna poursuivit :
– Une bannière publicitaire exhibant une jeune femme allongée dans une position un peu douteuse…
– Où est le problème ? railla Thierry. Ça n'est pas nouveau, la ville est envahie par ce genre d'images… On dirait que tu découvres la Lune !
– Justement, il est là le problème ! Ces mannequins sont partout. Retouchées par ordinateur, elles donnent une fausse image aux jeunes femmes. Certaines d'entre elles plongent parfois en dépression car elles ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent pas atteindre cette « perfection »… Ce n'est qu'une illusion.
– Tu préférerais être entourée de femmes en surpoids ? demanda le médecin avec une grimace.
– Non, bien sûr, admit-elle. Mais je pense que c'est idiot de vouloir ressembler à tout le monde, en essayant de se comparer à un modèle. Nous sommes ce que nous sommes…
– Tu es très conservatrice, jugea Patrick, pour quelqu'un qui veut faire changer les choses…
Les mains d'Anna se crispèrent sur les accoudoirs de sa chaise.
– Mais le pire dans tout ça, poursuivit-elle, c'est la banalisation de l'hyper sexualisation ! Les hommes s'habituent à cette image de femme soumise, et ça n'aide en rien au progrès pour l'égalité homme/femme. Tiens, par exemple, les inégalités des salaires…
Inconsciemment, le regard d'Anna s'était arrêté sur le chef d'entreprise.
– Ça ne sert à rien de me regarder comme ça, s'offusqua Thierry. Je t'ai déjà donné mon avis sur le sujet. Les femmes dans mon entreprise ont un salaire plus bas que celui des hommes, et c'est normal. Comme dans toutes les entreprises d'ailleurs…
– Mais si tu étais le précurseur d'une nouvelle tendance : celle de l'égalité entre les salaires des hommes et des femmes ? insista Anna avec une voix mielleuse.
– Hors de question ! Ce serait dangereux pour ma réputation…
– Avec les hommes peut-être… Mais avec les femmes ? As-tu songé une seule seconde quelle serait leur réaction si elles apprenaient la nouvelle ?
Le PDG parut agacé, et tenta de changer de sujet.
– Tu me parles d'inégalités, mais tu n'as jamais évoqué les millions de pauvres qui meurent de faim dans le monde, indiqua-t-il. Tu te soucies du salaire de quelques femmes alors que d'innombrables hommes ET femmes connaissent la famine.
L'arrivée d'Oscar, qui prit place à côté d'Anna, interrompit la discussion.
– Désolé pour le retard. J'ai dû m'occuper d'un lapin sauvé des griffes d'un laboratoire… Puis il se tourna vers le médecin. Sans rancune, docteur !
– Nous sommes bien obligés de faire des tests sur eux avant de fournir les médicaments ou les vaccins aux humains… affirma Patrick en haussant les épaules.
– C'est faux, rétorqua Oscar. Depuis un certain temps déjà, nous sommes capables de faire des tests sur des échantillons de cellules humaines… Pourquoi nous continuons malgré tout à faire souffrir ces pauvres animaux pour rien ?
– Voilà une autre inégalité, signala le PDG en jetant un regard ironique à Anna.
Soudain, Oscar caressa la manche du manteau nacré de sa voisine.
– J'espère que tu as lavé tes mains avant, lui lança Anna. C'est très salissant !
– C'est de la vraie fourrure ? demanda Oscar avec une expression de dégoût.
– J'espère que oui ! Je l'ai payé les yeux de la tête !
– Te rends-tu compte que cet animal menait une vie tranquille avant qu'on le capture, qu'on lui enlève la peau et qu'on le jette dans un bac parmi les autres victimes, toujours vivantes et agonisantes ?
– Heureusement que le repas n'est pas encore servi, marmonna-t-elle en détournant le regard. D'ailleurs, j'ai lu quelque part que la viande ne serait pas bonne pour la santé…
– Balivernes, rétorqua le médecin. Ce sont encore des histoires inventées par la Secte des Végétariens… Ils vont même jusqu'à dire qu'on devrait arrêter le lait et les oeufs ! N'importe quoi ! On ne veut pas tous devenir des tondeuses à gazon…
– Animaux… Femmes… Vous ne pensez vraiment qu'à des choses futiles ! s'insurgea le PDG. Vous avez pensé aux plus démunis ? J'ai lu que la plupart des citoyens n'étaient pas généreux, c'est dommage… Ça pourrait remplir le fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres.
Le médecin alluma une cigarette et asphyxia toute la terrasse de ses vapeurs empoisonnées. Soudain, alors que Thierry savourait sa dernière réplique, une mendiante apparut près de lui et avança une main tremblotante. Le PDG la repoussa avec dégoût.
– Aider les pauvres, hein ? beugla-t-elle, partant tenter sa chance avec d'autres clients. Que des mots !
Thierry s'était retourné pour vérifier qu'elle était bien partie et lorsqu'il reprit place, il se retrouva face au serveur qui était venu pour prendre la commande, armé d'un carnet.
– Les femmes d'ab-, commença Oscar en désignant Anna, mais Thierry lui coupa la parole.
– Ce sera celui-ci pour moi, dit le PDG en montrant du doigt sur la carte.
Evidemment, tout le monde remarqua qu'il avait choisi le plus cher des menus. Puis le serveur se tourna vers Anna, qui avait visiblement été contrariée par le manque de galanterie de la part de leur riche ami.
– Quel est le menu le moins calorique ? demanda-t-elle au serveur. Parce que mon mari me fait souvent des remarques sur mon physique, alors…
– Une salade aux noix, ça vous irait ?
– Très bien ! Mais sans les noix, s'il vous plaît…
Surpris, le jeune serveur hésita un moment avant se tourner vers Patrick.
– Laissez-moi un peu de temps, fit le médecin en expirant un épais nuage de fumée toxique en direction du serveur, qui fut alors victime d'une quinte de toux.
Un chien vint gentiment mordiller les jambes d'Anna, qu'elle tenta de repousser.
– Ça ne m'étonne pas qu'il vous embête comme ça, remarqua Oscar. Vous portez de l'animal mort sur le dos…
Le serveur lui demanda bientôt son choix de menu.
– Une pintade pour moi ! déclara Oscar avec un clin d'oeil. Mais avant tout, un petit foie gras en entrée.

  • Très bien vu! Entièrement d'accord avec vous sur tout d'ailleurs. Il y a 11 ans je disais dans un hebdo à tendance subversive que la première discrimination au monde était le fait d'être une femme. C'est toujours vrai.
    Je déteste la souffrance chez tout être vivant et n'achète depuis longtemps que des produits non testés sur les animaux, en plus de me soigner essentiellement par les plantes et l'homéopathie. Une visite faite enfant d'un labo pharma avec des chiens m'avait avertie de l'horreur.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

Signaler ce texte