Barbarie
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Barbarie
Ma soeur était passée dans l'après-midi. Quand je suis rentré du boulot, elle allait repartir. On a pris le thé, puis l'autoroute. Pour un week-end. Un week-end prolongé.
Dans l'embouteillage, au sortir de la capitale, ma chérie me dit : "Au fait, je t'ai pas dit, tout à l'heure, en début d'après-midi, y avait un gamin qui pissait contre le mur, tu sais, où ils font tous dans le coin de l'appartement d'en face. Y a un type qui revenait de Carrefour, avec des sacs plastique à la main. Il a dû lui faire une réflexion. J'entendais pas ce qu'ils disaient mais je les voyais par la fenêtre et le ton est monté très vite. A un moment j'ai vu le jeune se rebiffer et lui donner un coup qui a fait valser ses lunettes. Et il est parti en disant : "Je vais aller chercher mes copains". L'autre a dit : "Tu peux aller les chercher tes copains, ils me font pas peur". Puis il a ramassé ses lunettes et l'autre est revenu avec ses copains, des blacks. Ils étaient quatre ou cinq. Quand il a vu ça, l'autre a essayé de les calmer. Il a dit : "On peut discuter". Il avait pas l'air agressif du tout puisque même, au début, quand l'autre pissait, j'ai d'abord cru qu'ils étaient ensemble. Puis il a essayé de les menacer en prenant une bouteille dans un de ses sacs. Et quand il a vu qu'il n'aurait pas le dessus, il s'est sauvé en laissant ses sacs. J'ai téléphoné aux flics qui m'ont dit qu'ils avaient déjà été prévenus. J'ai entendu des gens crier : "Arrêtez, vous allez le tuer". Il devait surtout y avoir des femmes aux fenêtres à cette heure-là, et des enfants.
Quelques minutes après, j'ai vu les blacks revenir en courant. Ils rigolaient. Plus tard je suis descendue sur le rez-de-dalle et j'ai vu, plus loin, des traces de sang et des morceaux de verre par terre. Le type doit être à l'hôpital à l'heure qu'il est. Ca devait être un arabe ou un kabyle. Il devait faire une fête ce soir parce qu'il avait une bouteille de whisky dans ses sacs et des langoustines. Les autres ont donné un coup de pied dans un sac quand ils sont revenus et j'ai vu les langoustines voler. Ils lui ont piqué ses bouteilles".
Je me mettais à la place du type, j'aurais fait la même chose, j'en ai déjà engueulé qui pissaient contre les murs de l'immeuble.
On était partis pour quatre jours et cette histoire me trottait toujours dans la tête quand on est rentrés le samedi soir suivant.
On tombe sur le voisin de dessous, un Marocain, dont les fils ont dû voir la scène, d'après Marie, qui m'a dit les avoir vus revenir d'où le type s'était enfui. Ils jouaient là, sur la dalle, ils ont dû tout voir. Le voisin nous dit : "Vous avez entendu, le bonhomme qui s'est fait tuer ?". Non, on ne sait pas. "Ce matin, dans le magasin qui vend de la vaisselle. Ils l'ont tué pour prendre la caisse. C'est des arabes qui ont fait ça, ils l'ont égorgé. Ils l'ont d'abord attaché sur une chaise et ils lui ont donné quatre-vingt-deux coups de couteau et de cutter. Y avait plein de police ce matin et de journalistes tout ça". Je lui demande : "Et le type du rez-de-dalle mercredi ?". "Il est mort. Sa femme est venue pleurer là. Il lui ont donné un coup de couteau là, dit-il en posant sa main droite un peu au-dessus du coeur. Je sais pourquoi il est mort. Il a trop perdu de sang. Ils l'ont poussé dans l'escalier et sa tête a cogné sur une marche. Il a eu une hémorragie dans la tête. Le Samu est arrivé trop tard".
Plus tard dans la soirée malgré l'envie d'aller me coucher, j'ai attendu les journaux télévisés de fin de soirée, mais aucun n'a parlé de ce qui s'était passé.
Le surlendemain, au boulot, j'ai pas pu m'empêcher d'en parler. Surtout pour le premier qui m'obsédait jusqu'à remplir mon pauvre crâne dont je tentai d'alléger le fardeau en allant le déverser sur les collègues les plus à même de me comprendre. Il fallait à tout prix que je partage mon angoisse, que je la divise pour l'alléger. Je n'avais que Marie pour la partager et cela ne suffisait plus. Le soir même j'avais une réunion avec des gens de l'Amicale des locataires. On me confirma les quatre-vingt-deux coups de couteau portés sur le commerçant, mais pour celui du rez-de-dalle, on m'affirma qu'il n'était pas mort. Il était sorti de l'hôpital.
L'autre s'appelait Mourad, il avait vingt-cinq ans et, pendant deux semaines, les passants s'arrêtèrent devant la porte close du magasin fermé pour lire les messages de sympathie collés à côté des fleurs posées là pour le souvenir de celui qui avait été sauvagement assassiné par des barbares qu'on jurait de retrouver un jour.
Il y a longtemps que cette violence a commencé à pousser et je peux témoigner que sa montée a été encouragée (...) l'autre jour j'ai injustement été verbalisée pour une crotte de mon chien, refusant de donner mes papiers, la police est intervenue dans les 5 minutes montre en main... à qui profitent les crimes ? bravo de témoigner de cela, j'habite dans un quartier où il y a beaucoup de violence aussi et je suis souvent très choquée comme vous... évidemment lorsqu'il s'agit de quelqu'un d'un peu "installé" tout est très différent...
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot