Biarritz ou Comment trouver la touche ?

koss-ultane

               Biarritz ou Comment trouver la touche

     Bouroutchou et Chakonn transpiraient abondamment. La fenêtre qui donnait sur un mur aveugle n’engageait à rien. Bouroutchou l’ouvrit pour alléger leur pesant travail et en simplifier les derniers gestes.

     Ce nouveau numéro dix étranger ne valait pas tripette, tous en étaient persuadés désormais. Décidément, le wallaby ne faisait pas le moine. Le kangourou en avait les larmes aux yeux. Il ratait là son troisième et dernier match de début de saison. Les prétendants à son poste ne lui adressaient même plus un petit geste de la main le matin… après avoir pissé sur sa voiture. Le visage de l’entraîneur, mélange de pleureuse atrabilaire et d’erreur sportive récurrente, s’était tellement allongé que le demi d’ouverture pensait que les minutes avant fermeture définitive et changement de propriétaire étaient comptées. Tous couraient plus vite, passaient mieux et pensaient à la vitesse de l’éclair. Tout ici exsudait l’ovalie là où lui transpirait la crainte de ne pas assez faire mal et d’assez mal faire. Il y a quelques secondes, il avait eu le ballon qui aurait pu racheter son match mais sa fébrilité ne l’avait pas porté bien loin et le troisième ligne adverse enterré profond. “L’égoïneur” et “Lassie circulaire” portaient bien leurs surnoms de chasseur de dix et n’étaient pas même titulaires dans leur club de cinquième rang à peine promu chez les découpeurs associés niveau élite. Il avait voulu s’emmêler d’un travail de gros pour se racheter aux yeux de ses coéquipiers et s’était fait opérer le rectum à vif sur un rucking enthousiaste en mêlée ouverte à toutes les chirurgies de campagne. Il marchait en crabe maintenant et se demandait ce qu’il était venu faire dans cette galère. En plus, c’était un match télévisé et sa nouvelle dégaine de vieux berger allemand dont le train arrière se paralysait n’allait pas l’aider à retrouver un club dans cet hémisphère. La frustration s’accumulait. S’il n’y avait pas eu autant de blessés à l’olympique, il aurait été relevé de ses dysfonctions chroniques depuis longtemps. Mais, match perdu pour match perdu, l’entraîneur le laissait “voir le calife jusqu’hallali” comme il avait cru le comprendre au cours d’une discussion informelle entre deux membres de l’encadrement à la mi-temps. Son envie de mettre un caramel à un attaquant adverse à faire frémir l’audience l’avait poussé au ridicule. Il s’était successivement pris deux “cadrage débord’” de mer : l’un, du premier centre, dur mais mastiquable, l’autre, d’un deuxième ligne, avait signé son arrêt de mort aux yeux de la France ovoïde “virile mais correc’” dans son entièreté, de sa cassouleste capitale à sa lointaine colonie lutécienne. Un troisième crochet ne l’avait pas mis dans le vent mais carrément défenestré à un point tel qu’il fut surpris de se relever en un seul morceau, encore dans son flottant et ses crampons aux pieds.

     Chakonn avait tellement tiré la langue ces deux dernières heures qu’il avait l’impression de sortir d’un stage intensif de cunnilingus pour grand débutant. Bouroutchou avait autant de jus qu’une chips et commençait à voir de petites étoiles tellement il avait grillé d’oligo-éléments à faire ses branchements dans le ventre de la bête immonde vautrée sur la table. Lorsque le vent, forcissant avec le soir, soufflait depuis l’ouest, ils entendaient des rumeurs, ennemies mortelles du séparatiste. Les trois dernières charges leur avaient fait honte à ne pas péter.

     L’australopithèque venait de se faire envoyer sur les fesses par le demi de mêlée adverse qui ressemblait plus à un quart de pruneau semi mâchouillé qu’à un furieux vengeur. Il s’était promis de frapper fort à un prochain ballon qui le fuyait désormais. Ses coéquipiers, conscients que l’entraîneur était en train de s’en débarrasser pour le compte, ne lui passaient plus un cuir et préféraient se prendre un tampon à désosser un buffle que de partir avec l’eau du bain et ce nullard de sous-préfecture du Pacifique. Son propre deuxième ligne venait de l’écarter d’un tronc d’arbre d’avant-bras et les sautées lui passaient invariablement au-dessus de la tête. Indécrottable naïf, il bondissait comme un habitant de crèche, première section, pensant à chaque fois pouvoir attraper la queue du Mickey, et retombait l’air idiot. Humiliation suprême, le match n’était peut-être plus si perdu que cela. Sur les sept dernières actions, vierges de ses empreintes digitales sur le cuir antidérapant en peau de savonnette retournée roulottée à la main, l’équipe avait marqué deux essais magnifiques. Comme il ne tirait plus les transformations depuis la quinzième minute du match précédent, où il avait trouvé la tribune opposée sur une tentative de but des vingt-deux, cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus d’influence sur le jeu qu’il avait le sentiment d’être un testicule clérical desséché suçoté par une pulpeuse à la partouze du siècle. Pas inutile mais pas loin d’être vulgairement décoratif non plus. L’arbitre restait son unique plaquage réussi des vingt dernières minutes lorsqu’il avait voulu jouer précipitamment une pénalité et s’était emplafonné le doryphore siffleur arrivé à une quatrième vitesse que lui-même cherchait désespérément depuis quelques temps. Les autres Australiens l’avaient prévenu avant de partir. L’Euzkadi, c’est très joli. Tu peux faire du surf entre deux blessures mais méfie-toi de la bouffe ! C’est tellement bon qu’après trois mois de soins et de stages leurs juniors nationaux étaient rentrés avec quarante piliers dans leur effectif. Leur meilleur ailier mettait tellement de temps à démarrer qu’arrivé dans l’en-but adverse, l’équipementier lui changeait ses groles. Démodées. Et ce ne fut pas ceux qui s’égarèrent en Bordelais ou en Béarn, pensant échapper à la bouée, qui trouvèrent à se dégoûter des substances indigènes. Du coup, il s’était tellement surveillé qu’il se demandait s’il ne faisait pas une hypo sucrière. Il entendait son cœur qui devait répéter avec son groupe de rock tant il avait l’impression d’avoir un moteur de Maserati sur-gonflée à haut régime dans une carrosserie de Trabant rouillée qui aurait connu Lénine. Il venait de réussir un plaquage… enfin un attrapage puisque le tracto-dragster montalbanais venait de le traîner vers ses poteaux sur quinze mètres. La tête renversée et l’œil exorbité résolument fixé sur sa ligne d’en-but, il avait serré les dents, les bras, les mains, les griffes et les fesses en se voyant rabaissé au rang de particularité vestimentaire de la part de son adversaire. L’humiliation n’était plus qu’à quelques centimètres lorsque la harde les rattrapèrent et les engloutirent.

     Bouroutchou était en train de placer le capot en verre pilé et clous en tout genre sur le dessus de la bête lorsqu’il put enfin souffler un peu. Chakonn le dévisageait, attendant son approbation, avant de sortir d’une boîte à code trois différentes commandes à distance dissimulées sous l’aspect de banals zappeurs télévisuels que n’importe quel policier s’attendrait à trouver dans un véhicule de livraison en électroménager.

     Tout était en train d’aller mieux pour l’équipe sans lui. Foutu pour foutu, risée de la côte, il avait fermement l’intention de s’achever sur un morceau de bravoure quitte à finir à l’hosto. Mais les actions et les vingt-neuf autres acteurs le fuyaient et les rebonds étaient systématiquement dans le zig lorsqu’il décambutait dans le zag. Il n’avait réussi qu’à se mettre hors-jeu et faire prendre trois points supplémentaires à l’équipe d’en face sous les premiers sifflets qui lui étaient destinés. Les adversaires commençaient à jouer sur lui tous les lancements de jeu, reconnaissance publique de son insigne faiblesse, couronnement de sa carrière européenne en forme de bonnet d’âne. Arc-boutés sur leur ligne de but, les Biarrots luttaient une ultime fois à l’orée des cinq dernières minutes pour se garder en vie dans ce match médiocre. Six points d’avance et les Montalbanais lançaient quand même l’action avec panache chez les champions ! Trop enthousiaste le premier centre adverse monta sur lui sans crainte du lendemain en tentant de saisir un ballon qui ne lui était pas destiné et catapulta le cuir d’un ricochet de poitrine inapproprié. D’un en-avant qui devait figurer dans les records de la ligue le suppositoire de l’épouvante décrivit un arc de cercle qui fit lever tous les appendices nasaux du canton et retomba dans la poche du marsupial fébrile qui mit toute sa frustration dans un coup de chausson ambitieux qui visait les vingt-deux aux antipodes du terrain. Il tint son auto-promesse d’être déraisonnable à la première occasion et y mit tout ce qu’il avait et n’avait plus. Les nez s’étaient à peine plissés de dégoût en découvrant le propriétaire de la balle qu’ils se relevèrent pour suivre la trajectoire incertaine du projectile. Les mâchoires s’affaissèrent d’étonnement en voyant le missile sol-air, croiser au-dessus du pré sans décélérer, à peine dopé par une légère brise océane. La diagonale, bissectrice assassine, passa au-dessus du toit de la tribune et d’un juge de ligne cavalant le bras en l’air comme un oublié de rab de dessert et sembla ne plus devoir s’arrêter avant le panneau “Anglet centre ville”. Huit hectolitres d’adrénaline avaient transformé le phasme asthmatique en dingo névropathe marqué d’un dix chargeant seul en direction d’arrières adverses dépassés par ce coup de stress aussi imprévu qu’in extremis. Ravis de cette bévue, dut à une fulminante “melonite” aiguë pour des promus, les entraîneurs montalbanais postillonnaient une rage noire sur les remplaçants et remplacés assis sur un banc qui résonnait sous les décibels et leur massait l’anus. Un essai plus sa transfo et les locaux pouvaient encore gagner sur le fil d’un rasoir qui électrisait des tribunes remplies jusque là de bâillonnés par la quasi nullité de leurs champions. L’entraîneur biarrot allait attaquer son second paquet de mouchoirs en étranglant son adjoint de désarroi lorsqu’il bondit pour vagir des consignes gestuelles obscènes et fut arrêter en pleine envolée lyrique par une formidable détonation qui faisait écho à l’explosion de joie des supporters.

     Dans l’axe du coup de pied et la nuit noire un nuage orangé s’élevait au-dessus de la ville. Les joueurs qui arrivaient en petites foulées agonisantes pour jouer l’ultime touche refluaient ventre à terre vers leur point de départ sous une pluie de débris faisant regretter aux têtes nues de ne pas avoir l’air de phallus géants aux prépuces en casques molletonnés. Les toitures des tribunes s’ajouraient de-ci de-là et des spectateurs s’effondraient assommés ou scalpés par des projectiles de toute taille, de la tuile amoureusement taillée en biseau au morceau de béton apprenti grêlon.

     “Météorible” ou la “Toile filante” furent ses surnoms tout trouvés. De fait, ce mauvais choix du bas hémisphère fut renvoyé à ses marsupiaux dès la mi-saison après avoir lustré le banc de son inutile fondement sans que personne ici ne se souvienne plus de son nom.

     Jamais en retard d’une lâcheté, ils accusèrent tous “Gaz de France” pour cette aération impromptue de la rue Chassin.

     Tout était fin prêt. Bouroutchou et Chakonn se dévisageaient une ultime fois en se répétant quelle télécommande allait où et à qui et quand elle devrait être actionnée afin de garantir la réussite de leur entreprise de démolition des nids de ces corbeaux de la Guardia civil. Ils étaient tout à leur concentration lorsque qu’un fracas aussi soudain que puissant les fit sursauter plusieurs fois. Un animal, certainement un oiseau, venait d’entrer par la fenêtre sur la courette hermétique et se cognait partout dans la petite pièce sans retrouver l’issue salvatrice. Chacun était avec une létale télécommande dans les mains au cœur d’une indescriptible confusion qui ne dura que cinq secondes mais leur sembla longuette. Le calme revenu, ils avaient perdu leur beau bronzage de branleurs de la côte et examinaient tout autour d’eux. Les yeux exorbités de Chakonn s’écarquillèrent encore un peu plus lorsqu’il se baissa sous la table et en ressortit un ballon de rugby un rien humide et herbeux. Ils regardèrent dans la courette par réflexe. La clef farfouillant dans la porte palière avec force caramboles paracheva leur premier infarctus. Le vieux Lachaï, le propriétaire du petit appartement, rentrait du match avant la fin comme il en avait l’habitude. Bouroutchou n’eut que le temps de couvrir son engin sur la table et le glisser dessous. Les trois hommes se saluèrent d’un hochement de tête lourd de sous-entendus. Eprouvés, les deux terroristes s’affaissèrent plus qu’ils ne s’assirent sur le rebord de la fenêtre et confièrent leurs visages à leurs mains afin de récupérer de cette double chamade qui cognait dans leurs poitrines.

     Délice des délices, en chaussant ses lunettes afin de suivre les dernières minutes de la retransmission, le vieux Lachaï s’assit sur le bord de son fauteuil et ramassa, étrangement au sol, sa télécom…

     L’immeuble lâcha sa toiture dans les airs tel un bouchon de champagne et descendit à la cave en trépanant les deux constructions voisines. Aux larmes mitoyens…

     Loin au large, une otarie maraudeuse adopta le ballon du match.

     Le mur avait beau être aveugle, et lézardé, il semblait en avoir vu de belles puisqu’une fois l’endroit dégagé on y retrouva fiché un fémur et une fricassée d’osselets qui n’avaient pas eu le même propriétaire originel.

     Quelle fin plus symbolique pour un séparatiste jusqu’au-boutiste que de finir éparpillé et affranchi de tout ?

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