Biographie chapitre I - 3 et 4

Violette Ruer

3

1949

        Au cours de l’année qui suivit, mémé Metz apprit que maman était enceinte, elle maugréa : Ich hoffe, das dieses Mal es wird ein Junge ! (J’espère que cette fois ce sera un garçon!) Elle eut gain de cause grâce au hasard. Mon frère, Vianney, Charles naquit le 17 février 1949.  Mémé Metz jubilait car en plus, le petit portait le même prénom  que son père.

           Du haut de mes trente mois, j’étais triste de voir maman si blanche dans ce grand lit aux draps brodés. Je demandai à la sage-femme si maman était malade. Elle me tapota la joue en disant : Non petite Violette…Elle est juste un peu fatiguée         

          Je pris la main de papa et le priai de me soulever pour voir mon petit frère. Petit, était un doux euphémisme ! Il avait presque cinq kilos et mesurait cinquante quatre centimètre Mémé Metz me grommela à l’oreille : Laisse ton père tranquille ! Il a autre chose à faire ! J’étais têtue (déjà !) si bien que papa me prit dans ses bras : Regarde ma chérie, c’est ton petit frère !

          Je pus admirer ce poupon qui avait de drôles de gros yeux ! Grand-mère était vraiment en colère : Du hast einen Sohn yetz ! Eben mit ihm sollst du dich zu allererst beschäftigen!, nicht mit dieses unerträglichen kleinen Mädchen (Tu as un fils à présent ! C’est de lui que tu dois t’occuper en priorité, pas de cette insupportable gamine !)

          Elle s’imaginait quoi ! Que j’allais me laisser faire ! Maman était peut-être trop fatiguée pour lui répondre mais moi je comprenais maintenant, pas tout, c’était sûr, mais assez pour savoir qu’elle ne m’aimait pas ou ne semblait pas m’aimer.

        Quelques jours plus tard la radio annonçait un déraillement près de Vesoul. Mémé Metz monta le son du poste. Une locomotive sans wagon était entrée en collision avec l’express de Metz-Nancy-Dijon. Le choc violent renversa les deux locomotives disloquant les deux premiers wagons de l’express. Bilan quarante trois morts et trente six blessés graves. Il semblait que la faute incombait à l’élève mécanicien de vingt six ans, il aurait brûlé successivement deux feux d’interdiction de passage. Grand-mère tempêtait, injuriait le responsable. J’étais livide, je n’avais pas tout assimilé mais le mot « mort » me terrifiait ! Maman éteignit aussitôt le poste en disant à grand-mère qu’elle était inconsciente de me laisser écouter ce genre de nouvelle.

 

4

1950

          Maman se sentait mal depuis quelques jours. Elle se tenait le bas ventre et se tordait de douleur. Elle annonça à papa qu’elle n’avait plus ses règles depuis deux mois et pensait être à nouveau enceinte. Pourquoi avait-elle mal ? Pour mon petit frère elle ne souffrait pas ! Papa appela le médecin. Il ne trouvait pas la cause des douleurs sauf cas de gastro-entérite. Le lendemain au réveil, maman vacilla, se cramponna à la table, poussa un cri et s’évanouit. Barbe affolée criait : Clémence ! Clémence ! Was hast du ? (Clémence ! Clémence ! Qu’as-tu ?)

          Pas de réponse.  Affolée, elle téléphona au médecin et ensuite à son fils. L’état de maman était grave. Elle fût transportée en ambulance à l’hôpital Sainte Blandine et immédiatement dirigée vers la salle d’opération. Sa tension avait chuté de façon vertigineuse, l’extrémité de ses membres était déjà laiteux, rien d’étonnant avec 5.5 de tension et une rupture de grossesse extra utérine ! Papa arpentait le couloir de la clinique plus de trois heures ! Il suppliait en silence : Mon Dieu sauvez ma femme ! Ne permettez pas qu’elle disparaisse, je l’aime tant !

          Enfin le chirurgien apparut avec les nouvelles : Rassurez-vous monsieur, l’opération a réussi mais il était temps que votre épouse arrive à l’hôpital ! La grossesse extra utérine a fait éclater un ovaire que nous avons dû enlever. Elle est hors de danger à présent….

          Mon père s’inquiétait quand même. Il devait la voir pour être rassuré ! Il avait tellement eu peur de la perdre ! Il voulait l’embrasser,  lui dire combien il l’aimait.         

         Après un temps assez long dans la salle de réanimation car encore sous anesthésie profonde, elle fut enfin installée dans une chambre ou papa peut la voir. Elle réussit à lui sourire.  Papa lui prit la main et la regarda tendrement.

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          Septembre 1950 : ma première année de maternelle à l’école Sainte Thérèse. Lever tôt pour revêtir mes nouveaux vêtements spécialement confectionnés par maman à cette occasion : une jupe plissée marine surmontée d’un tablier blanc à carreaux, le tout rehaussé par des chaussettes blanches ajourées en coton, œuvre de mémé Montigny (grand-mère maternelle), et des chaussures noires vernies.

          Le miroir reflétait une gamine mignonne avec des cheveux châtains aux reflets auburn coupés au carré avec une petite frange retenue par une pince. Maman s’inquiétait un peu de cette première séparation. Pour simplifier le texte, je ne mettrai plus les phrases en patois allemand mais le « platt » restait néanmoins la langue habituelle de la maison. Mémé Metz ronchonnait : Que d’histoire  pour cette rentrée des classes ! Ta gamine n’est pas le centre du monde ici ! Elle n’est pas ta seule enfant ! Mémé Metz commençait vraiment à m’énerver ! Il fallait toujours qu’elle dise des méchancetés à maman ! Pourquoi maman ne lui répondait-elle pas ? Quand j’appelai Papa, elle s’approcha de moi menaçante : Arrête de hurler ainsi petite peste ! Tu vas réveiller ton frère ! Je me fichais complètement de ses paroles et hurlais de plus belle jusqu’à ce que mon père arrivât de la salle de bains : Je suis là ma chérie, calme-toi…

          Je lançai un regard triomphant à grand-mère qui restait immobile, tétanisée et livide de rage. Elle ne supportait plus la relation étroite qui existait entre mon père et moi. Elle se promit de trouver une solution pour changer cette situation. Forte de cette résolution, elle harangua sa belle-fille : Tu ne vas pas sortir Vianney junior à une heure aussi matinale ! Il va prendre froid ! Je suis là pour m’occuper de lui !

          Pour la première fois je vis maman se rebeller et répondre à mémé Metz de façon brutale tout en gardant le vouvoiement habituel : Cela suffit maintenant ! J’ai décidé d’accompagner ma fille à la maternelle avec mon mari et mon fils et je vais le faire que cela vous plaise ou non ! J’en ai marre que vous vous mêliez de ma vie !

          Mémé Metz écumait de rage : Petite insolente ! Je vais dire à mon fils comment tu oses traiter sa mère ! Papa entendit uniquement la fin de la phrase et rétorquait calmement : Maman arrête, tu fais toujours des drames pour rien. La discussion prit fin avec le bruit d’une porte claquée avec violence. Grand-mère était retournée dans sa chambre.

           Après un court trajet, j’entrai, le cœur léger, dans la cour de l’école Sainte Thérèse. Placée dans la dernière rangée d’élèves, je m’engouffrai dans le bâtiment en faisant un petit signe à mes parents. Je voyais bien que maman était triste, elle avait les yeux brillants alors il fallait que je lui montre j’étais courageuse, d’ailleurs je n’avais aucune crainte. Mon père leva la main en signe d’au revoir puis embrassa maman avant de lui dire : Ne t’inquiète pas, cela va bien se passer…

          L’institutrice, dont je ne me souviens plus du nom, cheveux courts chatains se présenta, mais j’eus beau écouter, je ne comprenais rien. Elle fit l’appel et les élèves un à un se levaient à l’énoncé de leur nom. Je fis de même. Puis elle expliqua certainement ce qu’il fallait faire mais là encore, je ne comprenais toujours pas. Je me mis à pleurer ainsi que ma voisine. L’institutrice vint nous rejoindre : Violette, Mireille, que se passe t-il ? Nous restâmes muettes toutes les deux et ce, jusqu’à la sonnerie de midi. A la sortie Maman m’attendait, je courus vers elle et me jetai dans ses bras en disant : Je ne veux plus retourner à l’école ! Je ne comprends rien ! L’institutrice s’avança en entendant  cette phrase. Elle demanda à maman si elle parlait toujours en allemand avec moi. Effectivement c’était le cas car mes grands parents ne maîtrisaient pas  la langue française comme la plupart des habitants assez âgés de Metz et d’autres villes du département mosellan. La Lorraine tantôt occupée, tantôt française lors des dernières guerres mondiales, avait créé une population en partie bilingue. Si les plus jeunes parlaient français, les plus âgés tendaient vers l’allemand.

           L’institutrice comprit alors le désarroi des deux élèves. Elle allait remédier à cela puisqu’elle même habituée à la langue germanique. Mes parents, surpris de leur négligence, décidèrent d’adopter le français en présence des enfants.

           Mémé Metz, mécontente de cette décision, ne se gêna pas pour harceler maman de plus belle : Tu as inventé toute cette histoire pour que je ne comprenne plus rien, pour que je ne sache plus ce que tu racontes à mon fils ! Je ne vais pas me laisser faire ! Surtout pas à cause de cette Violette de malheur ! Cette peste fait tout pour me contrarier !

           Maman réagit violemment à cette réplique. Elle donna ordre à grand-mère de ne plus s’en prendre à moi et de me laisser tranquille. La mégère ne fut pas impressionnée : Comment oses-tu me donner des ordres dans ma propre maison ! Sans mon fils tu ne serais rien ! Tu n’es bonne qu’à faire des gosses ! Regarde un peu le linge que tu as repassé, il est encore tout froissé ! Tu n’es vraiment bonne à rien ! Joignant le geste à la parole, elle fit tomber toute la pile de vêtements que maman venait de soigneusement repasser et plier pour les ranger dans l’armoire. Maman chancela sous l’insulte et se promit de parler à papa le soir même.

          Hélas, il rentra, épuisé. Une menace de grève se profilait à l’horizon dans son entreprise. Il avait réussi à éteindre l’incendie naissant avec beaucoup de diplomatie mais la journée fut rude. Je savais que maman ne dirait rien cette fois encore. Elle ravala ses larmes et lui sourit en pensant qu’il n’avait pas besoin d’un souci supplémentaire. Papa la prit tendrement dans ses bras en demandant si tout allait bien. Elle répondit oui. J’étais en colère et criais : C’est pas vrai ! Mémé Metz a fait pleurer maman !

         Mémé Metz, menaçante, s’avança vers moi et me traita de menteuse. Papa aperçut alors les yeux rougis de maman. Il s’affala dans le fauteuil en disant : Que s’est-il encore passé ici ? C’était justement cette litanie que maman ne voulait plus entendre. Elle me dit que papa était fatigué et que nous reparlerions de tout cela plus tard. Papa, d’abord décidé à élucider cette affaire, se ravisa et me tendit les bras. Mémé Metz s’interposa en disant que mon père était fatigué. Il se fâcha : Maman cela suffit ! N’aggrave pas la situation… Là, je jubilais ! Je fis un câlin à papa et lui murmurai à l’oreille : Tu sais papa, c’est vrai que grand-mère était méchante avec maman…Papa dit avec lassitude : Je sais ma chérie…Je sais.

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