Biographie chapitre I - 6

Violette Ruer

6

1952

          28 février 1952, trois heures du matin : Grand vacarme ! Je sortis de la chambre, les yeux gonflés de sommeil. Maman se tenait le ventre et faisait des grimaces. Grand-mère lui avait-elle encore fait mal ? Papa se précipita vers moi : Ma chérie, ce n’est rien, retourne te coucher, il est encore très tôt…le nouveau bébé va arriver et il faut que j’emmène maman à la clinique…n’aie pas peur, il ne se passe rien de grave, nous en reparlerons tout à l’heure.

          Je n’étais pas persuadée que tout allait bien, pourquoi maman devait-elle aller à l’hôpital ? Pour Vianney elle était restée à la maison ! A huit heures je posai la question à mémé Metz qui me répondit sans gentillesse : Tais-toi, ne pose pas tant de questions, cela ne regarde pas les petites filles. Ta mère doit rester à la clinique un point c’est tout. Elle rentrera dans quelques jours et j’espère avec un autre garçon…Maintenant va te débarbouiller et t’habiller, madame Valentini va t’emmener à l’école.

          J’aimais beaucoup la voisine et elle me le rendait bien. Suite à une tumeur au cerveau sont fils ne parlait plus depuis des années mais lorsqu’il me voyait il souriait alors je lui racontais des histoires inventées. Dès que je le pouvais, je m’échappais et rejoignais l’appartement situé face au nôtre sur le même palier au troisième étage du 11 rue Charles Abel.

          Madame Valentini entendait les disputes entre maman et grand-mère et se demandait pourquoi nous n’avions pas déménagé pour quitter la mégère ! Elle était cependant contente car elle pouvait me voir et son fils reprenait des couleurs depuis qu’il mangeait avec moi. Il était resté longtemps sans vouloir s’alimenter.

          En dernière année de maternelle j’avais fait d’énormes progrès. Malgré quelques mots de français encore mal assimilés et ceux prononcés en allemand, je parvenais à communiquer avec les autres enfants. Ce matin, cependant, je n’avais pas envie de m’amuser. Assise, seule, dans un coin de la classe j’étais soucieuse. Danielle, l’institutrice était sympathique mais je me posais trop de question sur le départ de maman. J’en fis part à Danielle. Elle tenta de me rassurer en disant que ce n’était pas grave, que maman n’était pas à l’hôpital mais à la maternité et qu’elle reviendrait bientôt avec un petit frère ou une petite sœur. Une petite sœur ? Je n’avais pas pensé à cette éventualité ! Comment papa allait-il réagir à cette nouvelle ? Serait-il toujours le même avec moi ? La situation devenait vraiment trop compliquée pour moi ! A midi je courus rejoindre madame Valentini et surprise ! C’était papa ! Je lui sautai au cou,  follement ravie de le voir ! Doucement ma chérie, tu vas m’étouffer en me serrant si fort ! Maman revenait-elle bientôt ? Encore quelques jours ma chérie nous irons la voir ainsi que ta petite sœur ce soir.

          C’était une fille ! Zut ! J’aurais préféré un garçon ! Je ne dis cependant rien à papa, il avait l’air si content ! Trop content d’ailleurs ! Puis j’éclatai de rire en imaginant la tête de mémé Metz à cette nouvelle !

          La troisième venue s’appelait Sylvie, Reine, Jeanne Wawerinitz, pesait plus de quatre kilos pour cinquante et un centimètres. Elle était vraiment mignonne et ressemblait à une poupée. Malgré une légère inquiétude, j’étais heureuse d’avoir une petite sœur. Comme de bien entendu, Mémé Metz fulmina ! Une deuxième pisseuse à la maison !

          Grand-mère devint de plus en plus odieuse. Elle tentait de rendre maman jalouse en lui disant : Vianney travaille avec de très jolies femmes…Et elle lui mettait sous le nez la photo où papa se trouvaient au milieu des employées des teintureries Réunies. N’ayant jamais pu être heureuse avec ses deux maris successifs, elle ne pouvait supporter le bonheur de maman.

 

Octobre 1952

 

Cours préparatoire

 

 

          Maman posa un gros baiser sur ma joue en disant : Violette c’est l’heure, il faut te lever. Je m’étirai et me levai sans hâte. Savoir que j’allais au pensionnat ne me plaisait guère. Papa m’y avait préparée mais j’y restais hostile.

          L’institut en lui-même ne me gênait pas, c’était le fait d’y déjeuner et de ne rentrer que le soir après l’étude. Le cours préparatoire ne s’annonçait pas sous les meilleurs hospices ! Mémé Metz se réjouissait de la décision de son fils, enfin elle allait être débarrassée de cette gamine dans la journée !

          Je restais pensive devant un grand bol de chocolat chaud et une montagne de croissants au beurre achetés chez Baeckus, le pâtissier de la rue Charles Abel. Je n’avais pas faim, l’angoisse me coupait l’appétit.

          Papa avait choisi le pensionnat Sainte Chrétienne parce qu’il voulait ce qu’il y avait de mieux pour sa fille mais en voyant mon regard triste, son cœur se serrait et il n’était plus sûr d’avoir pris la bonne décision. Je passai d’abord entre les mains du coiffeur du salon Braun qui me frisa les cheveux jusqu’à ce que mon visage soit auréolé d’anglaises. Papa avait refusé la permanente proposée, car il trouvait le produit dangereux pour moi. Cette séance de frisure fut réitérée tous les deux ou trois jours. Cela ne me consolait pas.

          « Sainte Chrétienne », situé en plein centre de la ville, rue des Loges à Metz, était un institut catholique pour jeunes filles, une école privée assez onéreuse.  Le bâtiment gris, aux multiples fenêtres voûtées, décorées de rosaces et de vitraux, était surmonté à sa droite d’un clocher avec une croix. Il ressemblait davantage à une église qu’à une école !  En fait c’était la croix de la chapelle du pensionnat, je le sus plus tard.

          Je frissonnai et pris la main de papa car c’était lui qui m’accompagnait ce matin là. J’entrai ainsi dans le hall sombre avec un grand escalier pour arriver dans une immense cour ceinte d’immeubles à plusieurs étages comportant les classes. C’était impressionnant.

          Après un discours de bienvenue, la mère supérieure demanda aux parents de se retirer. Pour certaines c’était la panique et les larmes. Je ne pleurai pas mais j’en avais envie. J’embrassai papa puis rejoignis la rangée numéro un. J’étais une grande maintenant, j’entrais dans le primaire et les grandes ne pleuraient pas ! Cependant, je retenais avec peine mes sanglots.

          Les pupitres en bois sentaient  fort la cire fraîchement étalée. Le parquet brillait comme un sou neuf et craquait sous les pieds. La matinée se passa en présentations et en questions diverses sur la famille et le règlement de l’établissement. Cela me semblait très archaïque ! A midi pile, la cloche retentit et deux groupes se formèrent : les élèves externes qui quittaient l’institut pour déjeuner chez eux et les demi-pensionnaires et les pensionnaires qui se rendaient au réfectoire.

          La vaste salle, pourvue de trois immenses tables entourées de bancs, était impressionnante. Les assiettes et les verres étaient méticuleusement alignés. Nous eûmes droit à la lecture du règlement par la mère supérieure :

Pas de chahut à table,

1)     une prière se fera avant chaque repas  pour remercier Dieu de ses bienfaits,

2)     les verres devront être pris de la main droite même pour les gauchères,

3)     les assiettes seront exclusivement remplies par les responsables de table.

4)     A la fin du repas, les serviettes devront être repliées dans leurs enveloppes à vos noms fournies par les parents.

5)     Ces serviettes seront remplacées toutes les semaines par des serviettes propres.

6)     un claquement des mains donnera l’autorisation de quitter la table.

          Après toutes ces consignes nous pûmes enfin nous asseoir. Je craignais le menu car il fallait sans doute également finir son assiette ! Tout se passa bien pour l’entrée, les crudités n’étaient pas trop vinaigrées. Je fixai ensuite l’assiette garnie d’une tranche de rôti de porc et de pommes de terre rôties baignant dans l’huile. Je pris soin d’enlever le gras de la tranche de porc mais à la première bouchée de pommes sautées, la graisse me donna la nausée. Je bus une gorgée d’eau, c’était de l’eau du robinet !  Je me sentais très mal. La crème caramel eut par contre mon approbation.

          Nous profitâmes encore de vingt minutes de récréation avant de reprendre le chemin des classes. Une heure plus tard, la mère supérieure se présenta dans la classe : Mademoiselle Wawerinitz veuillez me suivre s’il vous plait…  Mon estomac se tordait… Qu’avais-je fait ? Y avait-il un problème chez moi ? Quelle honte d’être appelée ainsi devant tout le monde ! Voyant mon air effaré elle me sourit : Rassurez-vous mademoiselle, je vous accompagne simplement à la salle de musique, votre père tient à ce que vous preniez des leçons de piano et de solfège .

          Après un long dédale de couloirs nous arrivâmes au rez-de-chaussée, non loin de la sortie, devant une grande porte en bois ciselée et parfaitement cirée, comme les pupitres. Deux petits coups discrets et nous entrâmes dans une pièce où se trouvaient un piano et sœur Thérèse de l’Enfant Jésus. Je ne voyais que le piano ! Elle m’expliqua que sur les indications de mon père, je prendrais des cours une fois par semaine, le mercredi matin. Que du bonheur ! Merci papa !

 

          Enfin la sonnerie de la délivrance ! J’enfilai très vite mon blazer et me précipitai vers la sortie. La porte était verrouillée ! La sœur de permanence qui nous surveillait pendant l’étude me rattrapa : Mademoiselle, si vous aviez attendu mon ordre et écouté ce que je disais, vous auriez su que la sortie du soir se faisait par le porche de la cour arrière du pensionnat…A présent, calmez-vous et suivez-moi…

          Papa m’attendait à la sortie. Durant le trajet jusqu’à la maison, je lui racontai toute ma journée. J’en oubliais presque de respirer : Doucement ma chérie…Je vais prendre rendez-vous avec la mère supérieure et nous allons solutionner tes petits problèmes de repas. 

 

          Ainsi fut fait. La bouteille d’eau minérale Vittel remplaçait le broc d’eau du robinet, les pommes de terre rôties furent proscrites pour cause de foie fragile et pour finir il ne fallait  pas me forcer à manger ce que je ne voulais pas. Tout ceci contre un substantiel supplément de prix, évidemment !

Soirée du comité d’entreprise décembre 1952

          Comme l’année précédente, la salle Braun était comble. Mon père s’apprêtait à monter sur scène et, cette fois, je l’accompagnais dès le début. Nous étions tous les deux vêtus d’un costume mexicain blanc et or, coiffés de sombreros assortis, chaussés de bottes noires pour lui et blanches et dorées pour moi. Maman avait encore fait un travail remarquable malgré une nouvelle grossesse fatigante. Assise au premier rang, elle n’arrivait pas à détacher les yeux du couple trônant sur scène. Elle se sentait un peu exclue de la féérie quelle voyait dans leurs yeux mais cela ne durait pas. Vianney junior s’agitait sur son fauteuil : C’est Lélette là-bas ! Pourquoi on n’y va pas maman ? En quelques mots elle le calma : Ils vont bientôt chanter mon chéri, ils nous rejoindront plus tard.

 

          Nous avons débuté avec« Mama te quiero » puis « La Paloma » en espagnol. J’avais appris cette chanson pendant des jours et des jours et j’étais contente d’avoir réussi. Pendant les applaudissements, maman pleurait de joie. Papa me souleva dans ses bras et j’avais l’impression de toucher le ciel.

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          Ensuite il y eut une pièce en deux actes. Le fils Kleman (dont je ne me souviens plus du prénom) et moi, nous devions faire semblant de dormir en attendant le père Noël. Je n’osais pas bouger car le lit semblait fragile. Mon compagnon se cachait le visage sous le coussin, il avait le trac.

Soudain grand bruit ! Le père Noël était coincé dans la cheminée…Fou rire général dans la salle ! Quand il arriva enfin à s’extirper de l’âtre en carton démoli, il s’assit sur le bord du lit. Nouvelle catastrophe ! Sous son poids la couche s’écroula ! Nouveau fou rire des spectateurs !

Imperturbable, le père Noël raconta quand même ses histoires, et aux douze coups de minuit, chanta « Petit papa Noël ».

          Ensuite les enfants des salariés de la société des Teintureries réunies le rejoignirent sur la scène pour la distribution des cadeaux. Cette soirée, tout comme celle de l’an passé fut mémorable.



Veillée de Noël 1952

          Depuis le matin tout le monde était nerveux. La fête approchait. Je demandai à maman si le père Noël allait vraiment venir dans la nuit et elle me répondit qu’il passerait par la cheminée pendant que je dormirai, à condition que j’aille vite au lit. Je ne me fis pas prier et me faufilai sous les draps, bien décidée à guetter ce fameux père Noël. Une demi-heure plus tard, je dormais à poings fermés.

          Au dernier coup de minuit, j’entendis la mandoline de papa. Je réveillai Vianney : Vite dépêche-toi, le père Noël est arrivé !   Il se frotta les yeux et me suivit sans être vraiment réveillé. La musique venait de la salle à manger. La porte était ouverte et la première chose que nous vîmes, fut le grand sapin décoré de boules dorées et argentées dont la pointe touchait presque le plafond. Il clignotait de tous ses feux ! Du lustre, pendaient des guirlandes scintillantes. Les fenêtres étaient parsemées d’étoiles. Des assiettes à nos noms, garnies de friandises étaient posées sur un guéridon. Que c’était beau ! La table était mise avec soin et beaucoup d’originalité dans un décor vert et rouge étincelant. Une bonne odeur de pin, de gâteau et de mandarine embaumait la pièce.

 

           Papa et maman nous prirent par la main et tous ensembles, avec mémé Metz, nous chantâmes le « petit papa Noël traditionnel avant de nous précipiter vers les cadeaux. Maman tint ensuite Sylvie dans ses bras et agita devant ses yeux un joli ours blanc. Mémé Metz conduisit Vianney vers une voiture d’un rouge flamboyant dans laquelle il s’assit avec une énorme joie. Papa m’amena devant une splendide chambre à coucher, pas vraiment miniature ! Un vrai bébé pouvait dormir dans ce lit au milieu duquel se trouvait une adorable poupée aux membres articulés et aux longs cheveux  bruns. Elle fermait même les yeux. (C’était un jouet superbe à cette époque !) L’armoire, assortie au lit était d’un beau bleu ciel et comportait une foule de vêtements posés sur les étagères. Je reconnus le travail de maman. Je fus également émerveillée de trouver un landau marine tout capitonné de satin ciel.

          C’était un Noël fantastique ! Encore plus beau que l’année précédente ! Vianney finit par se fatiguer dans sa voiture à pédales si bien qu’il ne découvrit ses autres jouets que le lendemain. Sylvie s’était endormie sur un gros lapin rose. Il était vraiment chouette ce papa Noël ! Je faisais semblant d’y croire mais j’avais entendu mes parents parler des boutiques lorsqu’ils pensaient que je dormais. Je n’avais rien dit parce que mon petit frère y croyait encore. Cette année, grand-mère avait reçu un beau collier de perles et elle ne fit aucune remarque négative. Le cadeau semblait vraiment lui plaire.

          Je me recouchai en posant délicatement Caroline à côté de moi. Je trouvais ce prénom vraiment joli pour ma poupée. (Elle fut ma compagne et confidente pendant de longues années)

  • Dans mon manuscrit j'avais déjà rectifié. merci de ces lectures approfondies.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Aout 2009

    Violette Ruer

  • le « petit papa Noël traditionnel il manque le guillement de fermeture.
    Toujours aussi intéressant ! ma mère avait aussi confectionné les vêtements du poupon qu'elle m'offrit pour noël, et je trouvai quelques échantillons de tissu dans sa machine à coudre, ce jour-là je compris que le père noël n'existait plus...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Babeth2014.jpg

    brune-el

  • le « petit papa Noël traditionnel il manque le guillement de fermeture.
    Toujours aussi intéressant ! ma mère avait aussi confectionné les vêtements du poupon qu'elle m'offrit pour noël, et je trouvai quelques échantillons de tissu dans sa machine à coudre, ce jour-là je compris que le père noël n'existait plus...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Babeth2014.jpg

    brune-el

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