Biographie I - 7

Violette Ruer

7

 

1953

 

Anniversaire de maman 28 mars

          Maman était très lasse. Dans quelques jours elle irait à la clinique pour la venue du quatrième enfant de la famille et elle ne se sentait pas très bien. Je l’aidai à ramasser le linge qu’elle venait de repasser, et qu’une fois de plus, mémé Metz avait jeté à terre. Je détestais cette grand-mère qui faisait tant de mal à maman ! Tout était prétexte à disputes, et les sarcasmes continuels devenaient de plus en plus difficiles à supporter. Maman lui disait qu’un jour elle serait punie pour tout le mal qu’elle faisait et que cette fois elle raconterait tout à papa. La réponse de grand-mère fut cinglante : Ton mari ? C’est avant tout mon fils ! Il n’a pas besoin d’entendre tes jérémiades ! Il a beaucoup de jolies femmes autour de lui…Toi, tu ne sais que pondre ! Et en allemand cela semblait encore plus virulent !

          -

          Maman n’en pouvait plus de vivre ainsi. Quand papa arriva quelques heures plus tard les bras chargés de fleurs en disant « Bon anniversaire mon amour ! », elle éclata en sanglots. Il s’inquiéta aussitôt pour sa santé et pour le bébé. Mémé Metz s’avança : Ne te fais pas de soucis…Elle pleurniche pour tout et pour rien…La grossesse la fatigue c’est tout… Papa soudain se fâcha violemment, je ne l’avais jamais vu dans une telle colère : Cela suffit maman ! Fiche-nous la paix ! J’aimerais parler seul avec ma femme alors je te demanderais de nous laisser !

          Pour la première fois maman confia à papa toutes les brimades et toutes les humiliations qu’elle subissait depuis leur emménagement dans cet appartement. Papa avait du mal à croire ce qu’il entendait. Il savait que sa mère était difficile à vivre, mais une telle haine l’étonnait. Son esprit passait par le doute, la colère et encore le doute…Sa femme avait un tel accent de sincérité qu’il finit par la croire. S’il en avait été autrement, je lui aurais tout raconté moi-même.

          Il décida de parler à sa mère et promit que nous déménagerions après la naissance du bébé. Cette phrase me procurait un immense plaisir. Vianney dormait comme un loir, moi, j’avais tout entendu, tapie derrière la porte.

          Cette fois mémé Metz n’aurait plus gain de cause et je m’endormis avec cette satisfaction.

 

8 avril 1953

 

Naissance de Reynold

          Maman se trouvait à la clinique Sainte-Croix depuis l’aurore. Elle était très fatiguée car les grosses douleurs avaient commencé tout de suite. Elle se faisait surtout du souci pour ses autres enfants restés avec sa belle-mère. Elle n’aurait pas dû, car tout allait bien. Mémé Metz nous avait emmenés rendre visite à sa sœur, tante Anna, qui habitait dans la rue perpendiculaire, au 21 avenue de Nancy, moins de cinquante mètres de chez nous. Cette dernière, comme sa sœur, préférait les garçons.

          La fille, Annie, que nous appelions marraine bien qu’elle ne soit la marraine de personne,  surnommait Vianney : « Plum-pudding » et moi : « petit rat de l’opéra ». Vieille fille parce qu’elle avait renoncé à se marier depuis la mort de son père pour rester avec sa mère, elle s’occupait aussi de son frère Albert, gravement atteint. Il avait subi plusieurs opérations et il ne lui restait plus qu’un quart de poumon. Parfois il devenait tout bleu et ses chevilles enflaient. Il était très gentil avec nous trois. Lui m’avait  surnommé « Princesse Von Hotzenplotz ». Il disait tout le temps que je devais avoir du sang bleu dans les veines pour être aussi gracieuse. Mémé Metz haussait les épaules. Cette admiration l’agaçait.

          A la clinique maman n’avait plus beaucoup de force. Le médecin accoucheur lui demanda d’arrêter un peu pour qu’elle reprenne son souffle mais elle voulut continuer jusqu’à ce qu’elle entendit le cri du bébé. Elle se laissa alors retomber sur l’oreiller, de grosses larmes de joie coulaient sur son visage. Le petit garçon se portait à merveille. Reynold, Léon Wawerinitz entrait dans le monde ! Il était un peu rouge mais cela disparaîtrait dans quelques heures. Il l’était encore quand j’arrivai avec papa. Je n’aimais pas l’odeur d’éther de l’hôpital mais je voulais voir mon nouveau petit frère.

          En rentrant à la maison, grand-mère piqua une crise : Où étiez-vous passé tous les deux ? Puis s’adressant à son fils : Pourquoi n’as-tu emmené que Violette ? Vianney aussi voulait voir son petit frère ! Tout est toujours pour cette affreuse gamine !

         Papa en avait assez des continuelles remarques à propos de maman et moi. Il la fixa puis : Maman arrêtes tout de suite ! Pourquoi ne peux-tu être contente pour nous ?  Dans quelques temps nous envisageons de partir de cet appartement car l’air devient irrespirable avec toi !  Mémé Metz suffoqua presque à cette phrase ! Je la défiai du regard mais elle se tût en voyant les yeux réprobateurs de son fils. Elle ne crut d’ailleurs pas aux intentions de papa. Il ne pouvait pas la quitter ainsi !

 

Juin 1953

 

Excursion

 

          Le premier dimanche du mois, papa organisa une excursion à Dabo en Alsace. Toute l’équipe des Teintureries Réunies partait en autocar. Maman ne pouvait nous accompagner Reynold était trop petit pour qu’elle le laisse à sa belle-mère et puis, Sylvie et Vianney étaient trop turbulents. Papa décida de m’emmener seule. Mémé Metz piqua à nouveau la colère du siècle : Laisse donc cette gamine ici ! Ou alors prend ton fils ! Tu ne t’occupes que de Violette !

          Mon père ne lui répondit pas mais ses yeux lançaient des éclairs. Sa mère n’avait-elle donc pas encore compris que cela ne la regardait pas !  Maman lui sourit alors le reste il s’en moquait. Je voyais bien que maman était un peu triste mais j’étais trop contente de partir avec papa. Jusqu’au départ de l’autobus, je restai collée à son pantalon sans vouloir le lâcher. Une femme me proposa une banane et des bonbons. J’acceptai  mais ne quittai pas pour autant la main de mon père. Il eut du mal à me faire poser avec l’équipe.

Papa est au deuxième rang à droite en blanc. J’étais la seule enfant de l’équipée.

          A la même époque, avec maman, mes frères et ma sœur, nous nous rendions très souvent à Montigny-lès-Metz chez nos grands-parents maternels. J'aimais passer du temps dans leur jardin. Ce que j'aimais moins, c'était l'accès au dit jardin. Il fallait passer par les caves pour y accéder et souvent la minuterie s'arrêtait avant mon arrivée à l'air libre !

          Mes grands-parents vivaient au premier étage, la famille Schaeffer au second et une amie de mes parents, madame Orbem et son fils, au rez-de-chaussée sur élevé. Je n'ai jamais entendu parler de monsieur Orbem. Ce qui me plaisait dans l'appartement de cette dame, c'était le balcon avec un escalier menant au jardin. Pas besoin de passer par le couloir sombre ! C’était le pied !

          Je jouais souvent avec son fils tandis que pépé Montigny plantait ses légumes et Mémé Montigny ses fleurs. Chacun des locataires de la maison avait un lopin de terre particulier. Celui de mes grands-parents était le plus beau car très bien entretenu.

          Quand j’accompagnais mes grands-parents  dans leur champ, il fallait descendre la rue de la Victoire et longer toute la rue de Reims avec le chariot et les outils. Grand-père était aussi soigneux pour son champ que pour son jardin.

          Mémé Montigny était courageuse, elle se levait à quatre heures du matin, mettait la lessiveuse en route pour faire bouillir le linge blanc, puis, à l'aide d'une planche, frottait les draps et torchons avec une brosse et un gros bloc de savon de Marseille. Elle n'a jamais connu le lave-linge. Ce rituel a duré jusqu'à sa fin à quatre vingt trois ans par une mauvaise grippe transformée en congestion pulmonaire.

          Elle tricotait et crochetait. Je lui devais mes hautes chaussettes ajourées en coton blanc car maman ne les achetait pas. Elle préférait celles faites par sa mère.

20 Août 1953

          Jour de mes sept ans. Papa et maman m’offrirent mon premier journal acheté à Munich et commencé par ma tante Berta, épouse du frère ainé de Papa, Reinholt. Mes parents m'avait lu et traduit le texte mais je ne m'en souvenais plus, juste qu'ils me souhaitaient tous d'avoir une belle vie faîtes de bonheur et de joie. Papa lui, avait mis son texte en français. Ce fut le début de mon journal intime bien que je ne me mis à l'ouvrage qu'en 1958 avec mes premières amies de collège. La mode était aux chromos que nous achetions par plaque à la librairie Paul Even, également très prisée pour les fournitures et des livres scolaires. Chacune de mes amies y mettait sa touche personnelle. J’ai encore ce petit journal, précieusement conservé.

A suivre...

Signaler ce texte