Bluffons la mort, du pire s'en rire
Jean Claude Blanc
Bluffons la mort, du pire, s'en rire
Dans mon village, pas comme dans le temps
Se comptent sur les doigts les habitants
A part moi-même, pas bien portant
Plus que mon voisin « château branlant »
Pris un coup de vieux, le Père Clément
Lui si bavard, si dynamique
Est devenu mou comme une chique
Reste cloitré, ne sort plus
Car vu son âge, bien prévenu
Prendre ses cachets, potion magique
Heureusement qu'a sa bonne femme
Qui tente lui dégourdir les cannes
Mais difficile de le bouger
Lui qu'est prostré devant sa télé
Passe ses journées à ronchonner
En plus de ça, n'est plus très propre
Souvent il pisse dans ses culottes
Pas un plaisir, laver ses crottes
Le sait que trop, a de la jugeote
Priant que vite, le diable l'emporte
Ne faut pas le laisser tout seul
Risquerait de se casser la gueule
Allumer le gaz, se faire cramer
Péter les plombs sans faire exprès
Chaque jour débarquent pour l'assister
L'infirmière et l'aide-ménagère
Sont bien venues, ces dames dévouées
Quelle soulagement pour sa mémère
Ça le met en rogne se faire chouchouter
D'être dorloté comme un bébé
Se faire torcher le train arrière
Traité de la sorte se sent offensé
Gardant en lui, un brin de fierté
Par chance arrive son heure dernière
En est conscient, ce qu'il est devenu
Une pomme ridée qui perd la vue
Même plus capable de s'habiller
Accompagné jusqu'aux WC
Ses membres le lâchent, peut plus rien faire
A toute sa tête, pas alzeimer
C'est ça qu'est vache, a l'esprit clair
Se regarder en face…quelle misère
En paie le prix, d'être lucide
Voyant qu'ainsi se ratatine
Lui qui était si intrépide
Courir les filles, plus l'ouïe fine
Plus de 80 berges veut plus lutter
A passé l'âge d'aller danser
Même la bourrée, péché mignon
Sur son fauteuil se morfond
Se dit quand même, c'est pas si mal
J'ai ma bourgeoise, 2 gosses pas bêtes
Une suffisante petite retraite
Alors pourquoi se saper le moral
Certains des siens, moins bien lotis
Handicapés, maigre pension
A comparé, il est verni
Ayant encore toute sa raison
Décrépitude, sénilité
(A effacer de son vocabulaire)
Quel cauchemar d'être grabataire
Mieux vaut mourir en bonne santé
Sage philosophe, heureux de son sort
La regarde en face venir la mort
Mais impayable ce papy
Même si le trahissent ses guiboles
Se fend toujours d'une plaisanterie
« On passera tous à la casserole »
Nombre de ses proches au cimetière
Ceux de sa classe, n'en restent guère
Résiste encore ce vieux machin
Sans doute gâté par son destin
De revenir en enfance
C'est son avenir, mais s'en balance
Pour l'au-delà est en partance
En paix d'avoir fait ce qu'il a pu
Pour le bonheur des dépourvus
Dieu le jugera pour ses vertus
Se disant qu'il a bien vécu
Et que pour lui l'heure est venue
Céder le témoin aux successeurs
A cette jeunesse pleine de vie
Dont il en garde la nostalgie
Même le cancer, lui fait plus peur
Pauvre carcasse putréfiée
N'en voudrait pas ce crabe rusé
Ce qu'il souhaite avant tout
C'est pas finir à l'asile
Casser sa pipe d'un seul coup
Se défausser subtilement
Quitter cette Terre rapidement
Vite bâclé son enterrement
Faisant la mort buissonnière
S'évanouir grain de poussière
Débarrassés de ses soucis
Avec ses gosses auprès de lui
Comme quoi crever, c'est pas l'enfer
Quelle leçon nous est donnée
Nous qui rêvons d'éternité
Ce personnage presque parfait
Ne cherchez pas, l'ai inventé
Mais d'une humaine identité
A respecter, pour sa rareté
Si la vieillesse est un naufrage
On est nombreux à se noyer
Ne meurent jamais, porteurs de messages
S'ils sont voués à radoter
C'est leur mémoire qu'est proclamée
A nous d'ainsi les imiter
La mort se faufile en notre caboche
Juste pour nous foutre les pétoches
« Pour éviter de broyer du noir
Quand je vois un vieux change de trottoir »
S'en écartent ceux, qu'ont la chair de poule
Craignant aussi perdre la boule
Dire qu'il faudra pourrir un jour
Notre corps voué à ses sages-femmes
Qui soignent tout, le corps et l'âme
En rajoutant un brin d'humour
Pansant nos plaies souriant
Pour nous distraire, d'Etres souffrants
Comme en témoigne mon ancien
Qui ne coure plus comme un lapin
Une petite visite ça fait du bien
Même que disparait son mal aux reins
Du même coup, revigoré
Rit de ses peines, de ses bobos
Elle est toute nue, cette vérité
Triviale façon de se l'affirmer
Mais nous conjure de tant de maux
Rendons hommage s'en hésiter
A ce personnel de la santé
Qu'on a tendance à dénigrer
A coups de frondes rémunérés
Mon vieux sans aide, il est perdu
Pourtant de ces pros, on en veut plus
Coûtent trop cher à la sécu
Sans leur soutien, point de salut
Dans nos campagnes il est d'usage
Ne plus parler de 3ème âge
Pour leur honneur, faut faire l'effort
Les dénommer, nobles « séniors »
En est de même des éclopés
Jadis infirmes ou invalides
« Blessés de la vie », en termes châtiés
Bons pour la casse, sont pas stupides…
Peu lui importe à mon vieillard
Tous les matins, sacré veinard
Se fait pomper le sang, le pus
Le thermomètre dans le cul
Par une nana, aux riches vertus…
Même s'il n'est plus bien costaud
Il survit déjà bien beau
Etre impotent, la belle affaire
Il peut encore se distraire
Se boire un verre en tremblotant
A cause du froid de ce printemps
La belle excuse, on le comprend
Veut pas se faire plaindre de ses rhumatismes
Il se contente de faux semblants
Pour pas faire peur à ses intimes
Le trainent plus ses pauvres jambes
Et cependant encore il bande
Est-ce une force de la nature
Ou une satanique créature
Alors mystère et boule de gomme
Demeure discret ce vieux bonhomme
C'est une sorte de métronome
Rythme sa vie, n'emmerde personne
Pas un rapide pour marcher
Dans la combine des retraités
Qui se décarcassent à galoper
Cure de jouvence, juste pour frimer
D'encore en être, jeunes premiers JC Blanc février 2022 (hommage à nos anciens)
Faut pas mourir
· Il y a presque 3 ans ·Et surtout pas vieillir
C'est encore pire !
Merci JC.
Louve