bois de caisse bois de reve 14 / 18

viv

histoire survenue pendant la grande guerre

Assis sur sa cantine, épuisé par sa nuit de garde, Louis les yeux dans le vague passe lentement sa main sur sa barbe naissante. Trois jours qu'il n'a pu s'occuper de lui et son pied gauche le titille de plus en plus. Ses brodequins trempés ressemblent  maintenant plus une cuvette boueuse qu'à des protections pour ses pieds endoloris, et, les bandes molletières enserrant ses chevilles accentuent  la douleur de ses gerçures.
Un café brûlant!  il en rêve… mais le ravitaillement n'est pas parvenu. Les porteurs des cantines ont sauté sur une mine pendant le transport, lui a-t-on dit.

Peu à peu Louis s'assoupit la tête sur le talus. La fatigue est plus forte que la faim  et le froid humide de la tranchée, même les tirs d'obus ne le réveillent pas. C'est la main de Pascal, son camarade d'incorporation et son caporal, qui le secoue, le ramène à la réalité et l'invite à regagner l'abri plus en aval du petit bois de Vimy.
Cette campagne qui était si paisible et joyeuse. Louis se souvient qu'il venait  accompagné de son père surnommé Fauvette pour poser des collets  en bord de nuit, riant de la maréchaussée incapable jusqu'à ce jour de leur mettre la main au collet, et, ce temps lui paraît maintenant si lointain, presque irréel.

Machinalement, Louis découpe un morceau de tabac. Il a pris cette habitude à la mine où au fond il travaillait à l'abattage depuis sa « prise de bec » avec son porion, chef rancunier qui l'avait ainsi puni. Louis regarde  son couteau ; Il le possède depuis près de cinq ans, cadeau de son père pour son entrée à la fosse.
Peu à peu sa fatigue s'atténue et Louis grignote les quelques biscuits humides de son paquetage. Pensif, Louis plante son couteau dans la planchette abandonnée là et sur laquelle il a posé sa gourde. Sa main rude caresse le bois brut, sensation agréable pour ces doigts rugueux. Louis imagine tout ce que ces petites caisses ont connu, ont contenu : du ravitaillement, munitions et même la mallette de courrier venant de l'arrière, pourquoi pas pensa-t-il !

Au dehors, c'est la guerre les arbres et les plantes elles aussi vivent en guerre, la terre est martyrisée par l'intransigeance des hommes et Louis tout à coup se sent très vieux. Il a envie de la maison de ses parents au bord du bois de Vendin  où avec ses frères ils s'ingéniaient à des diableries bien  innocentes face à ce massacre. Instinctivement, Louis a pris son couteau et commence à tailler à petits coups vifs dans la planchette. Le bois de caisse peu à peu prend forme. Une, deux, trois pièces qui deviendront, si la providence le permet, un porte lettre au bords galbés ornés d'une frise fleurie et d'oiseaux en vol comme des messager d'un côté et sur l'autre un cavalier à la croisée des chemins semble discuter avec un soldat.

Tout en sculptant, Louis pense à sa fiancée restée au pays, si près et pourtant si
loin. Elle, qui prend soin des camarades à l'infirmerie, assiste aux messes pour les morts aux combats et envoie un petit mot de réconfort aux familles de l'autre côté de la Manche car Madeleine, sait bien écrire et avec l'aide d'un dictionnaire elle parvient à élaborer quelques phrases en Anglais jugeant que ces gens sont venus là, mourir pour elle et les siens…
Brutalement Louis est ramené à la réalité par le sifflet et Pascal, assis non loin de lui, d'un geste du bras  lui fait signe :  il faut obéir,  il faut  y retourner,  si non …

C'est en montant vers la tranchée que Louis entend une déflagration encore plus forte que les précédentes. Il se trouve projeté contre le remblais, comme propulsé par une main puissante. Le bras de Louis s'ensanglante et s'affaisse lâchant le fusil et la pelle accrochée à son épaule. Pascal deux mètres devant lui se relève, se retourne et rattrape son compagnon  blême qui chancelle.  Louis n'entend plus, le choc l'a assommé. Pascal  le soutien et l'entraîne vers l'arrière, longeant le chemin défoncé où Louis,  hagard, se traîne comme un somnambule.
L'infirmerie, Louis ne se la rappelle pas. Blessé à l'épaule et au genou c'est plus tard à la lumière blanche de la lampe au dessus de son lit d'hôpital  avec  les bruits, les cris, les râles où incrédule, il se réveille. Allongé, douloureux, attentif  Louis avec effort réussit à effectuer l'inventaire de son corps meurtri mais encore complet lui semble t il.

Nous sommes en Février 1917, guérir, réapprendre à dormir, évacuer  cette peur permanente de la camarde qui rôde sur les champs de bataille, oublier les armes, oublier ceux qui n'en sont pas revenus, se reconstruire doucement en sculptant son porte lettre orné de deux oiseaux et d'un facteur à cheval  pour l'offrir à sa fiancée.  Louis sait qu'il la retrouvera bientôt. Voilà d'où vient se porte lettre en bois blanc sculpté qui trône aujourd'hui encore sur le bureau de sa petite fille, moi.
Moi, qui le conserve et rêve aux lettres qu'il a recueillies, lettres exprimant une chance, un geste d'amour, ou un remerciement et les espoirs de mon ancêtre un peu sourd qui affirmait,  les yeux gris clairs,un peu voilés mais rieurs, valoir plus cher grâce au métal ennemi prisonnier encore dans son épaule.

                                Viviane Decroix

                            

  • Bravo, bel hommage à ce grand-père. Le dernier survivant de la guerre de 14 18 est mort il y a deux ans je crois. Il n'y a plus de témoins direct de ces atrocités...

    · Il y a environ 10 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

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