Boulet 2.0
Leonie
Enfant, adolescente, tout pétrifiait Barbara.
Ses parents la battraient-ils parce qu'elle avait laissé tomber le sèche-cheveux dans le lavabo rempli d'eau, provoquant ainsi un magistral court-circuit? Ses instituteurs la renverraient-ils de l'école parce que son pot d'encre s'était déversé sur ses cahiers, inondant le cartable d'une rangée complète d'élèves de sa classe? Ses camarades la rejetteraient-ils parce que, pensant sortir un paquet de mouchoirs à la cantine, elle avait posé une serviette hygiénique sur la table?
Arrivée à l'âge adulte, Barbara fit intimement connaissance avec Internet, ce qui révolutionna sa vie.
Grâce à lui, elle finit ses études brillamment, chez elle. Elle put, grâce à un site de rencontres célèbre, trouver l'âme soeur, s'évitant ainsi d'essuyer un nombre incalculable de râteaux. Internet lui permit de devenir mère sans trop paniquer : blogs et forums l'avaient accompagnée tout au long de sa grossesse, la guidant, la rassurant. Elle avait préparé l'arrivée de son enfant sans sortir de chez elle et n'avait montré le nez dehors que pour le jour J. Elle l'avait élevé, soigné, habillé, éveillé grâce à internet. Lorsqu'elle avait du se résoudre à trouver un emploi, elle avait réussi à décrocher un poste en télétravail.
Elle était très entourée : Facebook, Twitter et Instagram ponctuaient sa journée des nouvelle de ses amitiés virtuelles.
Barbara ne paniquait plus.
Partout où elle se rendait, son smartphone l'accompagnait. Avec lui, elle cuisinait, faisait ses courses, apprenait à coudre, soignait son fils, travaillait, s'habillait, aimait à nouveau (le père de son fils était parti très vite lorsqu'il avait compris que leurs relations charnelles épouvantaient Barbara).
C'est ainsi que l'on retrouve Barbara paniquée, horrifiée, incapable de lâcher du regard toute sa vie qui flotte là, avec ses déjections, parce qu'alors qu'elle était assise sur la cuvette des toilettes, occupée à se soulager, concentrée sur Instagram, il lui avait échappé.