Brave Magot

Stéphane Rougeot

Chasse au trésor mouvementée en 1 acte. Humour.

La scène représente le grenier encombré et poussiéreux d'une confortable maison.

Au centre, au fond, l'arrivée d'un escalier depuis l'étage en-dessous.

Acte Unique

La scène est plongée dans une semi-obscurité qu'une petite fenêtre mal entretenue transperce à peine.

Scène 1

Voix Off — Nous vous prions de nous excuser pour ce message d'avertissement. En effet, le niveau culturel requis pour comprendre l'intégralité du spectacle auquel vous êtes sur le point d'assister dépasse largement la moyenne. Aussi, sans vouloir vous offenser, vous risquez de passer à côté d'un bon nombre de références très drôles, mais bon, tant pis pour vous. Il s'agit de références à des titres de chansons de Georges Brassens, qui sont disséminés tout au long du spectacle, mais nous doutons, pour les raisons évoquées précédemment, que vous les trouviez toutes. Avec le titre, donc, vous en aurez chacun au moins une. Pour ceux qui n'auraient pas encore compris, “Brave Magot” fait très subtilement référence à “Brave Margot”, que les gens normaux et pas trop jeunes connaissent très bien. Il s'agit d'une jeune bergère qui trouva dans l'herbe un petit chat, et… Et… Etc. Pour ceux qui n'auraient toujours pas compris, mieux vaut que vous quittiez la salle tout de suite, sous peine d'être fortement déçus par la suite. Nous avons décidé de procéder de la sorte pour éviter les scores nuls, sauf le respect qu'on vous doit. Ah, ben tiens, ça en fait une deuxième, c'est cadeau. Vous pouvez quand même essayer, bien sûr, mais nous déclinons toute responsabilité en cas de frustration ou de résultat lamentable. Pour information, il y en a quand même 147 au total, soit légèrement plus que vos doigts ne pourront en compter, ne soyez pas surpris. Sur ce, nous vous souhaitons bonne chance, ainsi qu'un excellent spectacle.

Scène 2

Luka entre sur scène par l'escalier, mais reste sur les dernières marches. Une lumière l'éclaire par en-dessous.

Luka se tourne vers le bas.

Luka — Quoi ?... Comment ça “qu'est-ce que je fiche là-haut” ? D'abord je fais ce que je veux, ça fait déjà cinq ans que je suis majeur… Quoi ? Six ? Et bien encore mieux ! Au moins, ça me met à l'abri de la fessée ! Et ensuite, c'est sûrement dans un endroit comme ici que j'ai une chance de le trouver… Mais tais-toi ! Je ne te crois plus, de toute façon !... Hein ?... Et bien je vais commencer par le grenier, et on verra ensuite… Si tu veux, je vais ouvrir un blog pour que tu puisses suivre chacune de mes avancées en temps réel ?

Luka (à lui-même) — On croit rêver !

Luka monte les marches restantes et trébuche.

Luka — Ah, merde !

Luka se tourne vers l'escalier.

Luka — Hein ? Quoi ?... Non rien ! Laisse-moi tranquille !

Luka (à lui-même) — J'ai juste manqué m'étaler dans la poussière, c'est pas la fin du monde.

La lumière qui éclairait Luka d'en bas s'éteint.

Un bruit de porte qu'on ferme violemment résonne.

Luka — Bon sang, y avait bien une lumière, ici, dans le temps ?

Luka claque ses mains une fois.

Luka — Non, ça fait rien. Euh… Lumière !

Luka attend un moment, mais rien ne se passe.

Luka — Ah, ben non, c'est pas ça non plus.

Luka entreprend des recherches à tâton.

Luka — C'est… Mais c'est quoi, ça ?... Beurk, vaut mieux pas savoir, je crois.

Bruit d'objets qui sont bousculés ou qui tombent.

Luka — Aïeu… Mais ça pique, ce truc ! Bon, il est tombé, tant mieux.

Bruit d'objets qui sont bousculés.

Luka — Et… Mais, c'est tout doux, ça ! C'est très agréable, on dirait une petite chatte… Sauf que ça bouge… On n'a rien de vivant, dans le grenier, il me semble ? Alors qu'est-ce… Ouch ! Elle m'a essayé de me mordre ou quoi ?... Ouais, c'est ça, casse-toi, avant que je t'écrabouille ! Mon Dieu, faites que ça ne soit pas un rat de cave qui se serait égaré dans le grenier, sinon je vais me sentir obligé de lui rédiger une élégie !

Luka poursuit ses pérégrinations pendant un moment.

Luka — Tiens, une chaussure. Euh… Y a quelqu'un ?... Ah, ben non, elle est vide. Ou alors c'est un fantôme ? Ah, mais c'est pas possible, suis-je bête : il y en a qu'une ! Ça lui ferait une démarche bancale, au fantôme. Comment il ferait, après, pour faire peur, si tout le monde se fout de sa gueule dès qu'il se déplace ? Bon, je suis pas en train de me ballader dans un cimetière, non plus.

Bruit de choc.

Luka — Aïeu ! C'est quoi, maintenant ?... Un mur ?... Qu'est-ce qu'un mur peut bien faire dans un grenier ?

La lumière se fait soudain, révélant un Luka à genoux face à un mur, la main sur un interrupteur.

Luka — Ah ! Voilà qui est mieux !

Luka regarde le mur, et le suit des yeux tout autour de la pièce.

Luka — Ah, oui, en effet, y a un mur tout autour de la pièce. C'est pas plus mal pour éviter les courants d'air.

Luka avance à genoux jusqu'au milieu de la scène.

Luka — Ben y en a, du bordel ! Qu'est-ce qu'on peut entasser, dans un grenier ! Que des vieilleries, en plus !

Luka balaie du regard tout le bazar.

Luka — Alors… Par où commencer ?... Où est-ce qu'il a bien pu planquer son magot, le vieux ?... Quoi que la mère en dise, et bien qu'il ait pas laissé de testament, je suis certain qu'il avait quelque chose. Si elle l'avait déjà récupéré, on le saurait. Elle est plutôt du genre dépensière. Comme on n'a pas déménagé, qu'elle a changé ni de voiture ni de poitrine, c'est qu'elle a jamais rien trouvé.

Luka parcourt quelques cartons rapidement, puis s'approche, toujours à genoux, d'une étagère très encombrée.

Luka s'arrête et recule.

Luka — Non, non, non, non… Ne nous précipitons pas !

Luka s'assied sur le sol.

Luka — Il faut réfléchir consciencieusement afin d'agir intelligemment. Faire fonctionner ses méninges pour économiser ses muscles. Et j'y ai tout intérêt parce que…

Luka regarde ses muscles rachitiques.

Luka — Sans me vanter… J'ai nettement plus de matière grise que de biceps ! Heureusement, d'ailleurs. Enfin, non, pas heureusement, parce que ça ferait du bien de développer un peu tout ça. Mais en fait, si, heureusement parce que si j'avais la cervelle d'un moineau, même avec des plaques de chocolats sur le ventre, j'irais pas très loin. Mais je dis pas ça pour ceux qui… Y en a, c'est certain, mais autant qu'ils restent là où ils sont, parce que de toute façon, le temps ne fait rien à l'affaire.

Luka se frotte la tête.

Luka — Bon, j'en étais où, moi… Ah, oui : qu'est-ce que je cherche, exactement ? Un magot ! Et à quoi ça peut bien ressembler, un magot ? C'est facile d'imaginer un sac rempli de billets, mais à l'ère moderne, on pourrait tout à fait supposer que c'est gentiment planqué sur un compte perdu au milieu d'un paradis, à se faire dorer la pilule. Ça fait rêver. Sauf que… Si ça se trouve, il a investi, et maintenant la somme est peut-être répartie dans de l'immobilier, et pas seulement dans le grenier, dans des toiles de maîtres, un bistrot ou encore les actions d'une multinationale à la réputation sulfureuse, ou, pire, d'un club de foot ! Ça lui ressemblerait bien, au paternel, de brouiller les pistes de la sorte. Faut dire qu'il avait de quoi s'inspirer, il a été gendarme pendant plus de trente ans. Pas s'inspirer de ses collègues, bien sûr, mais plutôt des criminels qu'il a arrêtés. Quoique, il a peut-être aussi eu des tuyaux par certains collègues, je peux pas dire, je les connaissais pas. Faut de tout pour faire un monde !

Luka se pince les lèvres.

Luka — Bon, partons du principe que c'est des billets. Ça sera plus simple pour moi. De toute façon, une rançon, ça se payait bien comme ça, à l'époque, non ? Des coupures usagées, non marquées et dont les numéros ne se suivent pas ! C'est pas ce genre de détail qui va m'aider dans ma recherche, par contre. Je dois pas m'égarer dans les futilités, moi.

Scène 3

Un bruit de porte se fait entendre.

Luka — Qu'est-ce que c'est, encore ? J'ai de la visite ?

Des marches grincent, indiquant clairement que quelqu'un monte l'escalier.

Luka se tourne vers l'escalier.

Luka — Je t'ai dit de me laisser tranquille, la vieille ! Je peux avoir un peu d'intimité, ou c'est trop te demander ?

Jennifer — Luka ? C'est moi !

Luka — Ah, Jennifer ! Excusez-moi, j'ai cru que c'était elle.

Luka se lève et rejoint Jennifer qui parvient au sommet de l'escalier.

Luka regarde derrière la jeune femme.

Luka — T'es toute seule ?

Jennifer — Oui, et j'ai bien fermé la porte.

Luka — Viens me rejoindre, ma belle.

Ils se serrent dans les bras l'un de l'autre. Très fort.

Ils échangent un long baiser.

Jennifer — Tu m'as manqué, mon chéri.

Luka — T'es là depuis longtemps ?

Jennifer — Non, je viens d'arriver. Elle m'a dit que t'étais monté ici, alors je suis venue directement. Vous vous êtes encore engueulés ?

Luka — Elle me tape de plus en plus sur le système. Je vais finir par plus la considérer comme ma mère. A partir de maintenant, ça sera ma génitrice, à peine. Et encore, c'est lui accorder trop d'importance.

Jennifer — Toujours cette vieille histoire ?

Luka — Elle me dit que mon père n'a jamais rien caché. Qu'il a toujours été honnête. Je sens, je SAIS qu'elle dit pas tout.

Jennifer — Et donc, tu t'es mis en tête de trouver quelque chose…

Jennifer regarde autour d'elle.

Jennifer — Ici ? Et maintenant ?

Luka — Si je cherche pas, je pourrai jamais savoir.

Jennifer — Et qu'est-ce que tu espères le plus trouver ? La rançon ? Une preuve qui l'innocenterait, ou au contraire qui l'accablerait ? Ou bien…

Jennifer affiche un visage de dégoût.

Jennifer — Le corps ?

Luka — Dis pas de bêtises ! C'est le grenier, ici, on peut pas enterrer un corps !... Tiens, c'est une bonne idée, ça : je crois que j'irai fouiller la cave quand j'aurai terminé ici. Je vais me transformer en fossoyeur !

Jennifer donne une tape sur le bras de Luka.

Jennifer — Arrête, je suis sérieuse ! On a jamais trouvé de corps, à l'époque. C'est certainement ce qui lui a évité un procès et la prison. Parce que niveau alibi, la nature ne l'avait pas trop gâté, à ce qui paraît.

Luka — Je sais pas. J'ai pas beaucoup de souvenirs de ce temps passé. C'était il y a plus de quinze ans. Bientôt vingt. Quasiment la guerre de 14-18. Mais j'imagine que la rançon devait être très élevée. C'était la fillette d'un des plus gros notables de la région, qui avait disparu. Sans avoir le moindre indice sur ce qui a pu se passer, on a tout imaginé dans les journaux : le viol, la traite des blanches, le vrai père qui l'aurait récupérée, sans compter le simple enlèvement contre une rançon.

Jennifer — Et donc t'es à la recherche de cette rançon, c'est bien ça ?

Luka — Je cracherais pas dessus, c'est clair ! Tu me donnes un coup de main ?

Jennifer — Elle t'a laissé supposer qu'il pourrait être l'auteur de cette atrocité ?

Luka — Elle cherche par tous les moyens à m'en dissuader, donc c'est forcément lui, oui.

Jennifer — Tu parles de l'homme qui t'a conçu, là ! Comment tu peux imaginer un truc pareil ?

Luka — Tu sais, plus rien ne me surprendrait, venant de lui, même si on m'apprenait que c'était un voyou, ou bien un sale petit bonhomme. Il avait un caractère bien trempé, parfois des réactions étranges. Et surtout un boulot qui lui a gâché sa vie de famille. Je suis bien placé pour le savoir, parce que sa famille, c'est moi, entre autres.

Jennifer — Il n'a jamais été prouvé qu'il était coupable !

Luka — Tout comme il n'a jamais été prouvé qu'il était innocent.

Jennifer — Tu lui en veux pour la jeunesse qu'il t'a fait subir ?

Luka — Pour la jeunesse qu'il ne m'a pas donnée, oui. Pas toi ?

Jennifer — J'arrive pas à comprendre que tu puisses imaginer un seul instant que ton père puisse avoir commis de telles choses.

Luka — Quelles choses, d'abord ? On sait absolument pas ce qui est arrivé à la fillette. Si ça se trouve, elle a été bien traitée, et elle est rentrée chez elle sans que personne le sache. Peut-être même que c'était un coup monté depuis le début et qu'elle n'a jamais quitté sa chambre rose ?

Luka se retourne vers le bazar.

Luka — Tu m'aides, ou pas, finalement ?

Jennifer — Tu sais que moi et la poussière, ça fait deux. Je vais rester avec plaisir pour te tenir compagnie, mon chéri, mais je préfère garder mes distances avec tout ce…

Jennifer englobe tout le bazar du grenier d'un geste de la main.

Luka embrasse Jennifer sur les lèvres avant de se séparer d'elle et se tourner vers le bazar.

Luka — Ta compagnie m'est toujours d'un grand plaisir. Bon… Je commence par où, moi ?

  • Pour information, 35 références à découvrir dans cette première partie.

    · Il y a presque 6 ans ·
    Portrait auteur

    Stéphane Rougeot

    • Excellentissime ! j'crois avoir trouvé toutes les références ! c'est vraiment jubilatoire de te lire ainsi dès le matin ! j'ai hâte de connaître la suite aussi en un mot comme en cent CASQUETTE A RAS DE TERRE pour le brio avec lequel tu mènes ton récit !!

      · Il y a presque 6 ans ·
      Epo avatar

      Christine Millot Conte

    • Bonjour Christine et merci pour tes encouragements. Je traverse depuis quelques semaines (quelques mois ?) une période, que dis-je, une tourmente, dans laquelle tout ce que j'écris est bon pour la poubelle. Je deviendrais trop exigent avec moi-même ? Inutile de te dire que tes mots me procurent énormément de réconfort. Et pense à nettoyer ta casquette, parce qu'à la faire traîner dans la terre, elle va se salir ! A très bientôt.

      · Il y a presque 6 ans ·
      Portrait auteur

      Stéphane Rougeot

    • La publication doit survenir courant novembre si tout va bien, donc très bientôt !
      Les 148 titres seront regroupés en annexe, suivant l’ordre chronologique de leur apparition dans le texte, avec un bref rappel du texte leur faisant référence.
      Ceci afin de conforter le lecteur dans l’idée qu'il est loin de les avoir tous trouvés ;)

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Portrait auteur

      Stéphane Rougeot

Signaler ce texte