Bravo

Mathilde En Soir

Photographie : Galerie de l'Opéra de Paris


« Non … Ce n'est pas possible …Tu es là ? C'est bien toi ?! Oh mon dieu ! C'est toi ! Je … Bravo, tu m'as bien eu, saleté ! Espèce d'abruti, comment as-tu pu me faire un coup pareil ?!! Mais non, je ne suis pas en colère. Non, je ne pleure pas, c'est le vent. Je ne sais pas quoi dire … je suis tellement heureuse. Tellement soulagée que tu sois ici, devant moi. Personne ne m'avait fait aussi peur avant toi. Je t'aime fort … »

- « Quarante-deux euros et cinquante centimes, s'il vous plaît. Excusez-moi de vous avoir fait patienter. Avez-vous la carte de fidélité ? Vous disposerez de réductions sur tout le rayon … »

- « Non, merci. Je règle par carte bleue. »

- « Très bien, voici la facture. Passez une bonne après-midi ! »

Encore et toujours ces mêmes pensées, ces illusions bercées de doutes et de questions. Je n'ai même pas prêté attention aux gens qui m'entouraient, j'étais tellement occupée à chasser ces idées de mon esprit. Ces idées, toutes plus sombres les unes que les autres, me hantent, me rendent crédule. J'ai pourtant cru que le petit stagiaire du rayon bricolage était toi. Ou plutôt, j'ai voulu croire que c'était toi. Toutes ces personnes pourraient être toi. Vous ne formeriez qu'un seul être, une âme habitée par mes démons intérieurs. J'ai tant espéré que tout ceci n'était qu'une farce. Quarante-deux euros, ce n'est rien à côté du prix que je paie chaque jour. C'était simplement un rêve. J'aurais dû m'en douter, le décor de la boutique était bien trop chaleureux comparé à celui de ma vie. Le mien est vide, glacial, ses teintes beaucoup trop criardes pour être apaisantes. Je trouve dans n'importe quel lieu que je visite beaucoup plus de réconfort que chez moi. Chez moi, c'était chez nous. J'ai peur de m'y retrouver seule, de voir l'avenir sans toi, de m'y voir spectatrice de ma déchéance.


Cela fait plusieurs semaines que je réfléchis à ma guérison. Je suis en quête d'un remède miracle pour m'évader, répondre à ce silence étouffant, une thérapie efficace pour m'extirper des abîmes. Réussirais-je un jour à comprendre pourquoi tu es parti si tôt ? Peut-être arriverais-je à mettre des mots sur cette onde de désarroi qui s'abat sur moi, émettant un bruit sourd, un cri provenant de mes entrailles. J'ai trouvé un médicament, assez étrange mais qui va certainement me soulager. Je pense à la meilleure façon de ne pas t'oublier. Je pense à ces fameuses caméras cachées qu'on retrouve partout sur les réseaux. Et si c'était ça dont j'avais besoin ? Si je pouvais non seulement colorer ma vie le temps d'une blague, mais aussi montrer aux autres que la vie continue malgré ce qui s'est passé ? Ça m'effraie, je l'avoue, mais savoir que grâce à cela tu laisseras une trace de toi sur terre, celle d'un artiste, me rassure.


Le lendemain matin, je me lève avec ce sentiment d'inachevé. J'ai pourtant pensé à tout, mes invités seront chez moi ce soir et devront venir accompagnés, exceptée Esther que je n'ai délibérément pas mise dans la confidence. Tout sera prêt, le repas, les lumières tamisées, mon nouveau visage. J'ai décidé de me déguiser en Tristan, le conjoint d'Esther. Nous nous sommes connues au lycée. Lorsque nous avons commencé nos études supérieures, elle a rencontré Tristan, de cinq ans son aînée, élancé, brun, les yeux gris. Il est plus aisé de se travestir en homme ne dépassant pas les un mètre soixante-dix lorsque l'on est une femme. Il est censé être en réunion brainstorming et ne devrait rentrer que très tard le soir. J'espère que tous n'y verront que du feu. Tu seras fier de moi, tu verras. Tu étais un maître dans l'art du déguisement. Tu as même réussi à faire de ta passion un métier. Tu ne t'arrêtais jamais de rire de tes blagues, un rictus de joie se dessinait chaque fois que tu montais sur scène pour faire rire ton public. Tout le monde te respectait, et moi je n'ai jamais cessé de t'admirer. J'espère qu'à la fin de ce numéro, ils me diront "Bravo Mallory !".


Vingt heures. Deux de mes invités viennent d'arriver. Puis deux autres. Et encore deux autres. Vient enfin Esther, la personne que j'attendais ardemment. Je les ai reçus le plus normalement possible, sans artifices. Ils sont installés dans le petit salon, à parler du bon vieux temps. Je les vois me jeter quelques regards compatissants. Ils murmurent mon nom et pensent que je ne les entends pas. Après tout, que peuvent-ils me dire ? Après avoir servi l'apéritif, je décide de m'éclipser pour me grimer. Tout est prévu, les lunettes, la perruque, les vêtements, tout ce dont tu te servais auparavant, les choses qui me rappellent un court instant ta présence. Ils me procurent une sensation de bien être, très vite écourtée par un vacarme assourdissant. Un choc, un traumatisme sans nom. Tu es resté dans le coma pendant une semaine. Moi, je suis dans le coma depuis un an.


- « Mallory n'est toujours pas revenue de la cuisine ? »

- « C'est bizarre … Mallory ? Tu veux qu'on vienne t'aider ? »

- « J'ai vraiment du mal à lui parler depuis l'accident … Je n'imagine même pas l'enfer qu'elle vit. Quelqu'un va la voir ? Je n'ose pas… »

- « Bonjour les copains ! Salut Esther…»

- « Tristan ?!! Qu'es-ce que tu fais là ? »

- « Je ne suis pas allé au bureau, chérie. Je ne sais pas comment le dire mais, ça me pèse depuis longtemps. J'ai pensé me cacher ici et attendre que vous soyez tous ici, mais ce n'est pas juste. Ce serait vraiment trop con. Esther, je n'arrive même plus à te regarder en face…»

- « Mais, qu'est-ce qui se passe ? Où est Mallory ? »

- « Esther, j'ai passé des moments merveilleux avec toi mais on ne peut pas continuer comme ça… ce ne sera bon ni pour nous, ni pour les enfants.»

- « T'es pas bien ? Qu'est-ce que tu racontes ? »

- « Avec Mallory, on s'aime… on tenait à vous le dire en face, c'est difficile à comprendre, mais c'est comme ça. »

- « Je ne comprends pas, tu plaisantes j'espère ?! »

- « Je ne supporte plus tes voyages à l'autre bout du monde, ta bipolarité. J'ai besoin de stabilité, et je sais que notre couple ne résistera pas longtemps. Je suis désolé. »

- « T'es désolé. C'est tout ce que tu trouves à me dire ? Tu sais au moins ce que je vis en ce moment ?! »

- « Esther, ils n'ont peut-être pas envie de connaître notre vie … »

- « C'est toi qui débarque ici en me disant que tu sors avec Mallory et que je suis une emmerdeuse chronique, alors tu vas m'écouter ! On a des problèmes avec la banque, des problèmes avec ta sœur, et t'es jamais là quand j'ai besoin de toi. Et toi, tu décides de tout plaquer pour celle que je prenais pour ma meilleure amie ?! Pauvre type ! Tu as tout gâché ! »

- « Je ne crois pas, parce que je ne suis pas Tristan … C'est moi, Mallory ! »

- « Mallory ?!! La vache, j'ai rien vu ! »

- « C'est pour ça que Tristan n'est pas venu ! Comment t'as fait ?! Franchement, bravo ! »

- « Mais, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi … »

- « Je suis désolée, Esther, c'était une blague. J'ai peut-être été trop loin. Ça va ? Tu ne dis rien ? Je crois qu'on va passer à table … »

Cette soirée fut l'une des plus longues de ma vie. Aussi longue que le quart d'heure qui a précédé la venue des médecins. Difficile de savoir si mes amis ont compris le pourquoi de mon piège bien qu'ils aient apprécié le canular, mais Esther m'en veut depuis cet épisode. Ça doit être ça qui distingue les artistes des autres. Ils vivent dans un tableau que leur inconscient peint et déstructure au gré de la réalité. Mais ce maudit soir d'octobre, la réalité était tout autre. Il n'y avait plus d'applaudissements, seulement le silence, les débris enflammés de la voiture retournée dans le ravin, les ambulanciers. J'espère qu'un jour, je vais renaître de mes cendres. Les flammes provoquées par l'explosion du moteur jaillissent de ma mémoire, mais quoiqu'il advienne, je trouverai un moyen de les contourner. J'ai cru que le coup de fil de ce soir d'octobre sur mon portable n'était qu'un leurre. Je n'ai pas dit "Bravo". D'ailleurs, je ne ris plus. Ce sont les plaisanteries que nous épargne la vie qui sont les plus douces.

  • Du talent pour dépeindre les émotions, c'est certain. Un quasi sans faute, ce qui est agréable, mais un passage dialogué un peu "vide", dans le sens où il n'apporte pas grand chose à la narration. Pour finir, si vous n'aviez pas indiqué qu'il s'agissait d'une nouvelle, j'aurais pris ce texte pour un extrait de roman.
    Je continuerai à vous lire.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    tabellion

  • Bravo. Du talent, beaucoup de talent incontestablement, mais le lecteur que je suis se perd un peu dans cette nouvelle. Quelques coquilles dans votre texte. Au plaisir de vous relire.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Mouette des iles lavezzi orig

    valjean

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