brève histoire d'amour
Nestor Barth
Brève histoire d'amour
J'ai été convié, un soir, à un diner chez un hôte qui avait rassemblé ses amis proches. La conversation était vive et les réparties fusaient de tous cotés. Je ne m'intéressais pas trop aux sujets assez communs, alors, lointain, j'observais chacun d'eux mais mon regard s'est appesanti sur Elle, une belle femme d'une trentaine d'années, cheveux noirs et longs jusqu'aux épaules, grande, distinguée. Ses yeux noisette en amande reflètent une certaine mélancolie, indéfinissable. Son regard est dans le vague, ailleurs. Elle s'ennuie, écoute d'une oreille distraite, à part quelques regards qui entre nous, se sont croisés, et par moment je remarquais qu'elle me considérait d'un œil ardent et insistant.
En fait, elle se remémore que vingt quatre heures plus tôt, elle avait reçu ordre de livrer un chargement de drogue à son destinataire. Son mari venait de le lui remettre et il avait peur pour elle.
Tout avait été minuté parfaitement pour cette opération.
-- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es pas normal. Tu as peur ? Dit-elle à son mari
– Je viens avec toi.
– Il n'en est pas question. Tu restes ici puis rentre à la maison.
Il faut que je te dise, la Douane et la Police, m'ont suivi.
Je le sais et j'ai pris mes dispositions, ne t'inquiète pas. Je sais ce que je fais. Il y a aussi d'autres personnes.
Je ne peux pas m'empêcher d'être inquiet, pour toi.
Ce qui est palpitant dans la vie est de tenter l'impossible, mon vieux.
Ne pas se contenter de regarder le temps qui passe, de subir niaisement, mais se propulser dans l'avenir de toutes nos forces.
Elle venait d'exprimer sa vérité crûment, d'un ton brusque, cinglant, sans appel, afin de couper court aux pleurnicheries.
L'opération est délicate mais Elle a une cuirasse épaisse et rien ne peut l'arrêter, elle arrive maintenant au bout de ses efforts. Après quinze minutes à l'heure prévue, elle prend le volant de la camionnette. Il est trois heures moins trois minutes du matin. Elle abandonne son mari sur le pavé de la rue Saint Denis et démarre à toute vitesse.
Tout est minuté à la seconde près.
Elle a livré la marchandise et a recueilli le montant prévu en espèces.
Elle savoure sa victoire sur les hommes, leur couardise, leur cupidité, leur naïveté et est fière d'elle-même d'avoir su évoluer malgré ses origines, cela grâce à sa pugnacité et sa perspicacité.
Mais pourquoi a t-elle eu soudain une vision furtive, un flash, mon visage, un court instant, une prémonition ? Une émotion fugace l'a envahie.
A l'hôtel où j'ai découvert qu'elle s'était rendue à Douglas (Ile de man), j'arrive sur le seuil d'entrée du restaurant où elle est venue se restaurer..
J'avise une personne seule à table et. en m'approchant je la reconnais.
Je déplace quelque peu le siège qui lui fait face, m'assieds et entreprends la conversation :
Bonsoir. Vous vous souvenez de moi bien sûr !
La tête de coté, le regard étonné :
Voyons, vous êtes ….? Qu'est ce que vous faites ici ?
Le ton emprunté ne laisse aucun doute sur la gêne que je provoque par mon outrecuidance. L'accueil n'est pas des plus aimables !
Quel hasard de se rencontrer. Vous êtes toujours aussi splendide. Me permettez-vous de choisir un plat pour vous tenir compagnie !
Non, je ne crois pas car j'ai simplement envie d'être seule. Votre présence m'indispose, veuillez quitter cette table !
Je vous comprends mais maintenant vous ne pourrez plus vous défaire de moi. Je suis ce que l'on appelle : Un pot de colle. C'est très gênant, je sais, surtout au début mais je suis sûr que vous saurez m'apprécier.
Après qu'elle m'ait expliqué les raisons de son forfait et s'être rassérénée, soulagée, elle s'est transformée soudain et ses expressions charmantes revivaient. Nous étions prêts à monter dans l'ascenseur pour rejoindre nos chambres respectives :
Je vous trouve triste. Pourquoi ?
Il est vrai que je ne ressens pas de joie, malgré tout, est-ce la crainte de l'avenir, ou tout simplement une angoisse irraisonnée passagère? Ce n'est pas grave, cela passera, ajoute t-elle.
« La tristesse peut se vivre seul, mais pour apprécier toute la valeur de la joie, on a besoin de quelqu'un avec qui la partager. » Ce n'est pas de moi, de Marc Twain.
Bonsoir, et merci pour le réconfort que vos paroles m'ont apporté toute la soirée.
Elle est belle. Elle a du chien, du charme et elle semble ne pas le savoir ce qui ajoute au magnétisme qu'elle exerce sur moi.
Le lendemain Elle n'est plus la même. Je la trouve insouciante, gaie, plaisantant volontiers, un rire parfois me surprend. Elle a perdu cette attitude pincée, ce retranchement dans le mutisme. Un déclic s'est opéré en elle qui l'a délivré de son univers diabolique.
En m'écoutant, elle a levé les yeux dans le vague, regardant au loin, au delà de l'horizon, et semble déjà immergée dans un univers qu'elle imagine. Sa main a touché la mienne comme pour tromper l'angoisse d'être seule dans le monde inconnu que je lui décris. Elle la serre, comme on étreint un tronc puissant pour éviter un danger, pour échapper au tourment provoqué par la solitude qu'elle avait endurée pendant toutes ces années. L'état de surexcitation qu'Elle avait subie dans une contrainte forcée pouvait avoir une fin, une nouvelle vie devenait possible, sereine, libérée de tous les fantômes qui l'ont agressée.
Elle pose sa tête sur mon épaule tout en liant sa main dans la mienne. Elle s'est abandonnée et fermant les yeux tout en relevant la tête vers moi, Elle tremble de tout son corps quand j'approche mes lèvres des siennes et qu'un long moment je savoure de mon coté l'instant de bonheur que j'aie transmis.
Je me suis laissé prendre au jeu. Trop facile, trop tentant, mais n'est-ce pas ce que je cherchais ? Sans doute mais aussi soudainement ? Je suis pris au piège.
E n me réveillant le lendemain matin, pendant un dixième de seconde, je suis resté éberlué de la voir à mes cotés dans le lit, mais très vite je revois la magnifique soirée très arrosée que nous avons eue la veille, après avoir dansé sur des airs tantôt endiablés tantôt lancinants de l'orchestre de l'hôtel, ayant englouti deux bouteilles de champagne pendant le repas et tout le long de la soirée. M'étant relevé, le coude appuyé sur un coussin, je la vois dormir un moment, mais mon regard intense l'a pénétrée et la réveille. Elle me saute au cou et après un petit instant où je me sens embarrassé, je réponds avec empressement au bonheur qu'Elle a exprimé. La fournaise fait place ce matin à la passion qui m'avait étreint toute la soirée.
Pour être bref c’est bref, et surtout vous avez eu vos lecteurs!
· Il y a plus de 12 ans ·Yvette Dujardin