Addicted
Aurore
Ce qu'elle aurait voulu à ce moment là c'était éviter la question. Elle a toujours détesté ce genre d'interrogatoire et les avis que les gens lui donnent sans sollicitation préalable. Une stratégie redoutable consistait à fournir des réponses attendues, de celles qui font plaisir à tout le monde, et penser exactement le contraire. Je suppose que ce jour-là, du haut de ses 15 ans, ainsi que tous les jours qui suivirent jusqu'à longtemps après, elle a dû dire une banalité comme "aller à la fac et devenir psychologue". Psychologue c'est sérieux, c'est bien rangé dans une case, c'est propret, c'est un mari psychologue, neuropsychologue ou psychiatre, coach amoureux s'il est un peu déjanté, un labrador et des enfants aux cheveux bouclés - il était évident que son gêne des cheveux bouclés prendrait automatiquement le dessus sur celui d'un éventuel partenaire aux cheveux lisses - des patients un peu cinglés, d'autres moins, un mariage en robe blanche, une retraite paisible avec un chat (le labrador est mort) à lire des bouquins dans une bibliothèque et un mari qui fume un cohiba en buvant un whisky. Absolument tout ce qu'elle imaginait être la vie qu'il fallait avoir, tout ce qui la faisait vomir intérieurement.
Tout ce qu'elle voulait c'était continuer de penser aux garçons. Elle se souvient de son premier vrai grand amour. C'était une idylle tout à fait banale: elle notait son prénom sur chaque page de son carnet intime, elle parlait de lui sans cesse à ses copines, elle ne mangeait plus et pensait à lui chaque seconde. Je crois que c'est ce jour là qu'elle a commencé à aimer les garçons. Enfin, à savoir qu'elle allait les aimer pour toujours jusqu'à son lit de mort. Ceci poserait sans doute quelques problèmes et déchirements, quelques larmes et envies de s'ouvrir les veines avec du papier grossièrement recyclé, quelques conversations interminables avec les copines (et crois bien qu'à l'époque elle était assez embêtée avec ces histoires de mobicartes et forfaits limités), mais elle venait de comprendre qu'elle serait une amoureuse devant l'éternel, elle venait d'en prendre conscience et elle signa silencieusement le contrat ad vitam eternam sans sourciller.
Elle se souvient aussi de son premier vrai baiser, celui où tu te demandes dans quel sens il faut tourner ta langue. Des embrassades passionnées où les élastiques de son appareil dentaire s'entremêlaient avec le sien. Puis les suivants. Les suivants jusqu'à aujourd'hui, les râtés et les torrides, les insipides et les prometteurs, les gustatifs et les mentholés. Ces coups de foudre fabuleux qu'on ne pense vivre qu'à l'adolescence, ces amours secrets qui t'emportent et t'animent, cette certitude que le monde va s'écrouler sans lui et cette naïveté qui te pousse à braver les interdits et à graver "Guillaume forever" avec ton compas sur un coin du bureau en cours de SVT.
Puis il y a eu les certitudes. Il y a eu la certitude de vouloir vivre le vrai amour, toujours, plusieurs fois s'il le faut, tant de fois qu'il le faudra. Reconduire tacitement le contrat, encore et toujours. Et puis il y a eu lui, les études en psycho, la routine, les certitudes mises de côté pour vivre cette vie tranquille qui la faisait gerber et qu'elle avait finit par intégrer. Une vie heureuse mais et sans heurts. Elle ne vibrait plus. Elle ne vibrait pas.
Ce qui lui manquait c'était les tourments de l'amour, celui qu'on croit unique et éternel, celui qui fait un peu peur et qui te donne mal au ventre, qui te fait retourner en enfance, celui qui te donne envie de partager ton goûter avec le monde entier, celui qui te donne cet air con et heureux.
Cette fille c'est moi. Et l'air con me va très bien, ne me sous-estimez pas.
J'ai adoré ce texte. Bonne continuation, au plaisir de vous relire !
· Il y a environ 11 ans ·redstars
oui deux ếtres ! bravo !
· Il y a environ 11 ans ·destructor-le
J'aime! De la délicatesse dans ce rapide "exposé". De la tendresse aussi.
· Il y a environ 11 ans ·Frédéric Clément
Merci :)
· Il y a environ 11 ans ·Aurore
Ah! L'amour....
· Il y a environ 11 ans ·Marion B
Hé oui <3
· Il y a environ 11 ans ·Aurore
Rassure toi, au cas où tu t'inquièterais, tu n'es pas la seule à rechercher l'envie d'aimer avant même de rechercher l'amour à proprement parler. Mais crois en mon expérience, avec le temps on ne pense plus tellement à partager son goûter avec le monde entier, enfin je te souhaite de pouvoir t'épanouir une fois l'euphorie des premiers jours estompée. Ca fait phrase de vieille conne - cet air me va plutôt bien à moi aussi - on a toutes connu ce "lui" à qui l'on a reproché d'avoir installé cette routine, mais la flamme s'entretient à deux. Malheureusement?
· Il y a environ 11 ans ·wendyd
Je ne m'inquiète pas et je ne regrette rien :) J'ai vécu de jolies histoires et surtout je ne lui reproche rien, une histoire se vit à deux comme tu le dis. Je ne dirai pas "malheureusement" du coup mais "heureusement" qu'elle s'entretient à deux :)
· Il y a environ 11 ans ·Aurore