BRUTUS

Hervé Lénervé

Il y avait longtemps que je n’avais pas écrit un conte immoral. Cela vous changera de mes délires à la con, dont vous avez l’amabilité, l’amitié, peut-être, de lire. Merci mes ama(e)s, mes ami(e)s.

Je vous parle d'un temps que vous devez connaître, car je ne m'adresse pas aux freluquets, je ne ressens aucun attrait pour la génération débile des jeunes abrutis d'aujourd'hui. Avant, on ne faisait pas des enfants, les enfants venaient comme ça, tout seul, par accident de lit, en ville comme en campagne, mais c'était certainement davantage dans nos petits villages isolés que la chose était la plus fréquente. Les familles nombreuses, par circonstance, de douze enfants ou plus étaient foison, on ne les appelait pas nos chérubins, on appelait cela  la marmaille. Les parents avaient obligation de nourrir, de vêtir leurs progénitures, mais en aucune façon, obligation de les aimer. Disons qu'on les tolérait par dette de concupiscence. Et là je m'adresse, une fois n'est pas coutume, aux jeunes imbéciles qui croient dur comme fer que l'amour parental est un dû aussi immuable qu'une empreinte génétique dans le bouillon de l'humain. Pauvre couillons ! Vous l'aurez compris, je fus un enfant non désiré et je devins un père non aimant. Pour expliquer nos comportements nous nous penchons sans vergogne sur le milieu naturel et nous interprétant des traces d'amour chez les femelles pour leurs petits et une certaine tolérance chez les mâles en oubliant les contre exemples qui abondent pour détruire nos constructions. Les crocodiles mâles dévorent leurs progénitures si l'occasion leur en ait donné et bon nombre de grands mammifères ne réponde qu'à un programme de l'espèce qui dépasse leur volonté individuelle. Nous, qui nous sommes dénaturés, répondons davantage à des apprentissages culturels, il suffit pour entrevoir cela de lire les récits d'anthropologues de tout poil et à travers leurs plumes, de comprendre que la culture devient la seule explication du devenir de la tribu. Le milieu social détermine le devenir de l'humanité. Ici, je m'éloigne un peu de mon propos qui n'a aucune prétention explicative, je ne révèle rien, j'énonce des faits qu'il est confortable d'oublier.

Dans nos campagnes donc, les gamins pullulaient (on ne pouvait, quand même, pas enterrer tous les nouveaux nés dans les champs, les donner en pâture aux cochons ou aux poules, les jeter sur le fumier, les noyer dans le purin), on aurait fini par polluer la Terre entière et avoir des histoires avec la maréchaussée. Les enfants étaient donc un fléau tant qu'ils ne pouvaient de leurs bras maigres aider au maintien de la ferme, s'occuper des bêtes et travailler aux champs, enfin soulager de leurs pauvres forces d'esclaves le fardeau qu'ils étaient. Pour excuser quelque peu nos parents, leur trouver des circonstances atténuantes, disons que les temps étaient durs et qu'ils produisaient par obligation des caractères peu tendres.

Bref pour résumer, les enfants n'étaient pas particulièrement choyés par leurs parents, mais pour équilibrer les comptes, les enfants n'étaient pas particulièrement aimants de leurs parents et cela pour ceux dotés d'un tempérament aimable, ce n'était pas mon cas et personnellement je détestais, je haïssais les miens, comme il est possible de haïr un SS si on n'est pas SS soi-même, il va de soi. Je faisais donc tout mon possible pour leur rendre la vie impossible. Cela était ma préoccupation quotidienne : « Comment vais-je pouvoir emmerder mes vieux aujourd'hui sans me faire piquer. » Car, bien évidemment, n'étant pas masochiste par nature, je ne ressentais aucune satisfaction à me faire rosser à grands coups de ceinturon.

Dans mon petit village, il y avait un café qui faisait épicerie et bazar dans lequel servait la femme du patron qui se contentait lui, pour toute besogne, de boire la recette avec des piliers de comptoir qui faisaient l'ouverture jusqu'à la fermeture pour ceux qui ne tombaient pas ivre mort bien avant l'heure fatidique. J'allais souvent à l'épicerie avec deux de mes frangins, le patron nous faisait rire avec son gros nez de clown et la patronne nous faisait rêver avec son visage d'ange et son corps de déesse. Souvent nous nous posions la question de savoir ce qu'ils pouvaient bien faire ensemble, ces deux-là, elle, la merveille des merveilles, lui, la laideur des horreurs. J'étais d'un tempérament sournois à l'occasion et voyeur en permanence, souvent et plus exactement toujours, je me débrouillais pour épier la belle, la surprendre par des coins de fenêtres dans son quotidien, mais je préférais et de loin la surprendre dans ses déshabillés. Je connaissais une cachette qui me permettait de mater, en toute discrétion, la belle faire ses ablutions. Elle avait un corps de reine, fine pour son temps, mais je n'étais pas porté sur l'opulence des formes. Elle avait pour habitude de faire sécher ses dessous sur une corde dans le potager jouxtant le bar-épicerie, il faut bien étendre son linge quelque part et elle devait se demander où pouvait bien s'évaporer une quantité non négligeable de ses petites culottes, mais ne changeait pas ses habitudes pour autant. Je voyais là, un encouragement à mes rapines, une sorte de complicité, une connivence entre nous, bref je me faisais tout un roman qui n'avait aucune raison d'être, mais je l'ai déjà dit quand on est jeune, on est con et je ne faisais pas exception à « ma » règle. Le fait est que je sacrifiais la plus belle pièce de ma collection en la cachant, pour qu'on la trouve, dans la chambre de mes vieux et immanquablement, même si le ménage n'était pas son fort, ma vieille finit par tomber dessus. Elle ne pouvait aucunement confondre le vêtement intime et affriolant de la gazelle avec une de ses informes culottes size mammouth. Les seules fesses de la région pouvant entrer dans cet écrin étaient indéniablement celles de ma princesse et bien que la perspicacité ne fût pas la qualité première de ma vieille, elle n'eût pas besoin de recourir à une enquête poussée pour en découvrir la propriétaire. Elle n'eut pas à démarcher tous les foyers pour faire essayer comme la pantoufle de verre toutes les « fessettes » du village, car de « fessettes » il n'y en avait que deux ici et par chance elle appartenait à la même personne, ce qui simplifia les investigations de la détective. Elle se pointa donc, sans plus attendre, si ce n'était l'heure d'ouverture, au tripot pour avoir l'explication de l'étrangeté bizarrerie de la chose. «  Que faisait cette intruse dans sa chambre à ronfler ? » Aussi con que soit ma vieille, je ne lui ferai pas l'affront de douter qu'elle n'ait pas eu une petite idée sur ce qui pouvait amener une égarée proprette à s'égarer sous un lit parmi moutons et poussières. C'était donc, plus une envie de scandale qui motiva son déplacement. Fine ma vieille ne l'était pas, ni de corps, ni d'esprit, pourtant elle démontra un certain machiavélisme qui peut s'apparenter à un symptôme d'intelligence. Elle eut ainsi, la patiente d'attendre que tous les témoins potentiels à son esclandre, qui piétinaient en tremblotant devant le débit de boisson, entrassent pour prendre leur première médecine de la journée, avant que de lancer sur le comptoir déjà encombré, le dessous intime à petites fleurs rouges au milieu des verres de gros rouges. La belle rougit, le patron blanchit et les poivrots gardèrent leurs couleurs pour eux, cramoisies par toutes circonstances, mais n'en pensèrent pas moins. Ma vieille qui n'avait pas sa langue dans la poche, pour une fois, ne dit rien, elle devait estimer que la situation était assez limpide pour se passer de mots, son expression de défi, ses traits fermés, sa rage manifeste tenait lieu de grands discours. Ma vieille, fière de sa pantomime, repartit aussitôt de sa démarche têtue de paysanne butée vers son « home sweet home », je me ratatinais davantage dans mon arbre à son passage et je n'eus pas le temps de reprendre ma véritable taille que déjà le patron sortait de l'établissement avec une démarche courroucée de mari cocufié, sur le même itinéraire que ma vieille, accompagné de son deux coups et de quelques poivrots, ceux qui avaient une autonomie suffisante pour s'éloigner un temps des pompes à alcool.

La suite elle se devine aisément, deux cartouches de chevrotine lâchées à deux mètres sur un quidam qui se demande « Pourquoi ? » ne laisse guère de temps pour trouver une explication avant que de passer de vie à trépas, guère de temps pour que la situation passe du canular au drame. Et ce fut le cas pour mon vieux, il partit avec son interrogation dans le regard, qu'il rôtisse en paix en enfer.

Ensuite, notre vie ne fut pas plus facile, car il fallait faire marcher la ferme avec deux bras de moins et pas des moindres, reconnaissons lui au moins cela, mon vieux ne rechignait pas à  la tâche. Notre vie ne fut pas plus facile en travail, mais tellement plus confortable sans tortionnaire dans les champs que j'entrevoyais déjà un stratagème pour nous débarrasser du dernier tyran qui régnait dans la maison.

J'arrête là mon récit, mais faite-moi confiance sur parole, ma vieille ne périt pas de mort naturelle un an après son maître. La vie était tellement plus paisible sans parent. Bien heureux sont les orphelins.

 ***

Moralité : Méfiez-vous de vos enfants, personnellement je me méfie, comme du mildiou, du mien. J'ai nommé mon fils Brutus.

  • Très bien écrit et décrit. Il en a de la chance votre garçon d'avoir un papa qui l'aime autant.

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    divina-bonitas

    • Ha, ha ! Oui, c’est un chanceux ! Il est fils unique.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Je ne sais jamais si c'est facile à vivre ou non, cette situation d'enfant unique. J'ai un frère et ai décidé d'avoir 4 enfants pour être sûre de ne pas leur être trop souvent sur le dos!

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      divina-bonitas

    • Une phrase de Pierre Palmade, dans la bouche de Line Renaud, dans la pièce les fugueuses, que je trouve excellente : Les enfants pour la reconnaissance qu’on en a, j’ai bien fait de ne pas m’occuper du mien quand il était petit.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Je ne sais pas s'il s'agit simplement d'une question de reconnaissance, pense en revanche qu'il ne faut pas forcer sa nature! Certains/certaines veulent des enfants et d'autres pas, ce qui me parait un choix essentiel à respecter.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      divina-bonitas

    • Comme certains enfants veulent naître, d’autres pas ! ;o)

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Exact! Moi j'appelle ça la volonté de s'incarner.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      divina-bonitas

  • Avec mes enfants, on a pour habitude de se balancer ce qu'on pense les uns des autres et avant de se coucher de se dire " je t'aime"

    · Il y a plus de 6 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

    • Avec mon fils, on a l’habitude de se balancer au bout d’une corde.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Ah mais qu'est ce que je fais là ?
      Vous 2 , vous êtes juste...
      IMPOSSIBLES!!!!!!!

      · Il y a plus de 6 ans ·
      1338191980

      unrienlabime

  • Haha!!! Tu es affreux mais que C'est bon toute cette méchanceté sans vergogne, je n'ai jamais eu beaucoup d'affection pour les niais qui aiment toute l'humanité.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

    • Je suis misanthrope, je n’aime pas l’humain, mais j’aime les gens.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

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