Pénélope

veroniquethery

Elle a  essayé ! Dieu sait qu'elle a essayé... De composer un visage, pas seulement aimable, mais affable. Un air engageant. Une hôtesse aussi agréable qu'avait dû l'être Pénélope avec ses prétendants. L'épouse fidèle d'Ulysse parti combattre à Troie pour récupérer une autre épouse, infidèle celle-ci. Mais, quand on est belle comme Hélène, on peut se permettre de cocufier à tout va, de provoquer des guerres, d'engendrer des massacres. Alors que quand on a le visage quelconque d'une Pénélope, on se doit de garder profil bas. On se réfugie dans la couture et on file. On file droit. On ne se laisse pas dévier dans les sentiers de l'amoral. Même si on rêverait la nuit de se faire monter par le prof de maths de son fils ou par la prof de chant de sa fille. Et quand on a le caractère de Pénélope, on tricote, tandis que Monsieur va chevaucher dans d'autres lits. Ce salaud d'Ulysse ! On a écrit sur lui une épopée. Un sale type pourtant. Qui baisait à tout va. Circé, Calypso, Nausicaa. Pendant que Madame dévidait sagement, les cuisses serrées, les lèvres pincées en rêvant au retour de son bien-aimé.

Elle a essayé de jouer ce rôle. On aurait pu lui décerner tous les prix de comédies. La famille n'en revenait pas. Une vraie perle, disait-on. Qui le laisse enfiler toutes les filles du quartier. C'est ainsi qu'elle avait été élevée. Sans prétention. Une brave épouse à la triste figure.

C'est lui qui avait triste figure désormais. Toute sa famille avait quitté le domicile de sa veuve éplorée. Son visage de Pénélope soudain métamorphosé. Elle avait le regard fou de Circé jouant avec la tête de la Gorgone décapitée. Et elle l'observait, seule à savoir que, dans ce corps presque mort, brûlait toujours la vie. 

- Sais-tu ce que signifie le mot "curare" ? En latin, c'est un verbe qui signifie "soigner". Je t'ai bien soigné, mon chéri. Jusqu'au bout. Ta famille peut en témoigner ! 

Elle effleura avec amour la main de son mari :

- Mais, ce mot a un autre sens avec une autre prononciation. Le curare est un poison qui paralyse sa victime. Tu m'as longuement paralysée, mon aimé. Contrainte à rester loin de ton cœur. Je demandais si peu pourtant. Juste un peu d'attention. Un peu d'amour. Mais, tu préférais ces autres. Et maintenant Hélène. Quoi ? Tu croyais que j'ignorais que tu baisais ma sœur ? Tu aurais pu continuer à me tromper avec toutes les femmes que tu voulais. Mais, ma sœur ! Ma propre sœur ! 

Elle sourit doucement, tendrement :

- Tu as vu comme elle n'a pas su contenir ses larmes aujourd'hui ? Elle n'est pas douée pour la comédie, ma petite Hélène. Je crois qu'elle t'aimait finalement. C'est bien. Quand tu auras été enterré demain, je l'inviterai à la maison. J'ai besoin de ma petite sœur pour me soutenir dans mon chagrin. Elle viendra et je la regarderai tenter bêtement de cacher sa douleur. Ma petite endeuillée. Et je la chérirai aussi bien que je l'ai fait avec toi.  Je la soignerai bien. Tu te souviens mon cœur comment on dit soigner en Latin ? Curare... 

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