Cabanes

Giorgio Buitoni

Disparaître.

Disparaître.

C'est la raison pour laquelle, les enfants construisent des cabanes dans les arbres.

Ou se cache sous leur lit.

Derrière les doubles rideaux.

Toute ma vie, j'ai cherché cette sensation. M'absoudre du temps et des contraintes absurdes du réel. Être invisible. Déjà gamin, je m'asseyais sur un oreiller à l'intérieur de la penderie de ma chambre, dans l'obscurité. J'avais pour tout éclairage un vieux jeu vidéo à piles en forme de minitel où un vaisseau spatial slalomait dans un champ d'astéroïdes. Et je disparaissais. J'étais en route pour Alpha du Centaure. Assis au milieu de mes slips, mes chaussettes et mes pulls à cols roulés en acrylique, je m'envolais loin de la réalité. Jusqu'à ce que ma mère me tire de là et me gifle parce que j'avais mal disposé le couvert pour le dîner. J'avais cette porte de sortie. Le vide intersidéral m'attendait dans la penderie de ma chambre.

Puis on grandit.

Et on continue à construire des cabanes imaginaires. À jouer à Tom Sawyer.

Certains retrouvent cette sensation en conduisant de nuit sur l'autoroute.

Au travail, d'autres scotchent la photo d'un coin de paradis sur un classeur, une armoire à portée de regard, au cas où. Un paysage de montagne, la forêt tropicale, la Thaïlande, le Connemarra...

Inspirez.

Fermez les yeux.

L'éclat vulgaire des néons et du linoléum des couloirs s'éteint. Le photocopieur s'évanouit. Un battement de cil et on oublie tous ces bâtiments idiots, pareils à des boites à chaussure bêtes et droites, cette fascination pour les angles droits et les courbes au compas. Les bavardages de vos collègues s'éloignent et s'éloignent, comme derrière une membrane de coton. Les téléphones cessent de sonner.

Et vous disparaissez.

Cette fois, ce n'est pas une de mes disparitions habituelles. Le courrier de confirmation est arrivé la semaine dernière, impossible de faire demi-tour. Deux jours déjà que j'ai incendié le ré-de-chaussé de ma pyramide de Maslow. Le plus difficile, ce sont les anciennes habitudes, m'ont confié quelques initiés qui avaient eux aussi tentés de disparaître pour de bon une fois dans leur vie.

Pour les habitudes, c'est vrai : d'ordinaire, quand il fait beau, je me réfugie au Bretagne le samedi matin avec un croissant et un livre – nous sommes mardi et l'heure du petit déjeuner est passée depuis longtemps.

Ce soir, 21 juin, la France affronte le Pérou en poule de la coupe du monde de football en Russie. Et tandis que les bars du centre ville, sous un soleil de plomb, préparent les tireuses à bière pour la fête de la musique, Madame Lelette attend dans sa robe à motif fleuri de papier peint. Accoudée au zinc de son bar, Le bretagne, comme un personnage fatigué de Bagdad café, elle me dit :

— Il va falloir qu'ils choisissent, Football ou fête de la musique.

Elle se bidonne et ajoute : « C'est pas le Pérou, si on perd le match. »

La terrasse du Bretagne ressemble à ces vieux clochards avinés qui engueulent les passants aux arrêts d'autobus, et qu'on regarde avec indulgence sans jamais leur lâcher un centime. À l'intérieur, dans la pénombre des persiennes fatiguées, la tiédeur du milieu d'après midi, au milieu des murs peints de cette couleur vert pâle de chambre d'hôpital, il flotte un je-ne-sais-quoi qui rappelle le parfum des anciennes demeures. Le souffle de milliers d'expirations imprégnées dans de vieilles tapisseries. Un soupçon de graillon provenant des cuisines, incrusté pour toujours dans les entailles des boiseries du plafond.

Au Bretagne votre mauvaise haleine et votre T-shirt de la nuit n'ont pas plus d'importance qu'une chiure de mouche au plafond. Vous voilà absous de votre tignasse mal peignée. Posez vos fesses le long du zinc, commandez un café allongé et vous voilà libéré de l'appel des open-spaces, affranchi du vomi humain giclant des doubles portes de verre coulissantes des buildings dès la débauche sonnée. Vous disparaissez du livre de la vie.

Bienvenue dans ma nouvelle cabane.

— Tiens, voilà François, dit madame Lelette, la joue plissée contre sa main en coupe, le visage partagé par un rai de lumière.

Ils arrivent par vague, toujours à la même heure, réglés comme des automates fatigués. La taille du pantalon remontée au milieu du ventre. Chaussettes de tennis boulochées et apparentes. Leur démarche rappelle celles des machine-sauterelles des premiers Star Wars. Une mécanique saccadée qui semble manquer de se vautrer à chaque pas.

Papy Joseph, 84 ans, est surnommé « le maire du quartier » par les habitués. On le voit dès 7 heures le matin  acheter le journal, puis faire la tournée des bars du coin.

« Il a toujours été célibataire », me chuchote madame Lelette.

Mais c'est plus pareil, maintenant. Non c'est plus pareil, m'apprend-t-elle en se tirant un poil de nez à la pince à épiler, un miroir de poche chromé ouvert devant elle, telle une coquille Saint Jacques.

— Voyez , avant, là, c'était une station service.

Elle quitte le miroir des yeux et désigne la supérette Casino de l'autre côté de la rue.

— Au coin, y'avait une entreprise de déménagement.

Là où se dresse sur le boulevard une rangée d'immeubles, tel un grand élevage de souris friquées, il y avait un caviste et un grand garage automobile. Autant de clients pour le déjeuner qui s'en sont allés, dit madame Lelette, expulsés par la limace rampante de l'immobilier au profit de bobos parisiens qui, à présent, regardent l'enseigne et le menu du Bretagne comme un herpès labial.

Madame Lelette soupire.

Elle recadre son regard sur le miroir de poche et s'affaire autour d'un poil récalcitrant. Une marée noire de rimmel lui goudronne les cils. Ses paupières griffées de rides sont  peintes au vert canard. Au mur, derrière sa silhouette ramollie sous les bras et la mâchoire, un tableau blanc Velleda annonce :

« Saint du jour : Renée. »

Au-dessus de la machine à expresso, massive et rutilante comme une locomotive à vapeur, trône une photo de son restaurant au moment de sa superbe. À côté sur le mur, un miroir, vestige d'un ancien anniversaire, dit  :

« Chez Lelette, l'assiette est toujours pleine. »

Au centre du miroir, la photo d'une belle femme brune, aux lèvres pleines et souriantes sous deux yeux bleus perçants.

— J'étais pas mal, à l'époque, mon petit monsieur. Ça ne me rajeunit pas.

Madame Lelette range le miroir et la pince à épiler sous le comptoir, puis s'accoude au zinc, le visage appuyé contre sa main en coupe. Lascive. L'auriculaire caresse sa lèvre inférieure.

— À mon âge, plus la peine de se maquiller la bouche.

Elle rit.

Son regard bleu se perd sur le trottoir d'en face. À l'extérieur, les silhouettes, accablées par l'haleine brûlante de l'asphalte, se hâtent pour rentrer regarder le match.

Ça me rappelle une autre fois où j'avais disparu.

Avant la finale de 1998, France-Brésil, j'avais trouvé un nouveau moyen. Le plus étrange est que ça se passait dans une caserne. J'effectuais mes dix mois obligatoires de service militaire. De nombreux supporteurs étrangers affluaient en ville pour soutenir leur équipe, et nous devions faire les guignols en treillis aux abords de la gare. Fusils Famas en bandoulière. Le plan vigie-pirate effectué par des appelés fumeurs de joints, c'était plutôt comique. Ce qui m'aidait à supporter à supporter cette pantomime guerrière ridicule, c'était que toutes les nuits je disparaissais en montant la garde aux entrées de la caserne. Je me volatilisais.

Mais je conserve cette anecdote pour la fin.

Madame Lelette astique un verre derrière le zinc avec un chiffon à carreau pour occuper ses doigts. Ils s'agitent dans la langueur du plus long jour de l'année. Elle crie vers la terrasse :

— Comme d'habitude, François ? Le plat du jour et un carafon de rosé ?

L'ardoise cloutée à la façade annonce en lettre de craie blanche :

— Blanquette de veau ou steak frite.

À côté des plats, il est écrit entre parenthèses : « fait maison.»

Comme si ça changeait quelque chose, remarque Madame Lelette.

— Aujourd'hui on veut surtout du bio, même si c'est industriel. Les gens sont cons, quand même.

Papy Joseph sirote un ballon de blanc dans un coin. Sous sa casquette à carreau issue Des brigades du tigre. Veste en tweed vert chasseur et pantalon trop court. Ses chaussures, c'est plus la sensation de deux gros plâtres de cuir noir confortables pour ses pieds gonflés. Un journal est ouvert sur la table à la page des sports depuis une heure.

Madame Lelette contemple à nouveau son reflet dans le miroir de poche. Sa bouche se tort de côté ; quelque chose dans l'arrangement de ses cheveux gris, coupés à la Jean Seberg dans à bout de souffle, lui déplaît.

— Mais ce qui marche le mieux c'est la carbonnade de bœuf à la flamande, me confie-t-elle.

L'index dressé, elle glousse et ajoute : « Maison. »

Elle boitille vers l'arrière-salle et la cuisine du Bretagne en maugréant. Puis s'arrête à mi-chemin et me montre son pied comprimé par la lanière d'une sandale à semelle de corde.

— C'est là, sous la plante. Ça me fait un mal de chien, comme une aiguille.

Elle rit et s'enfonce dans l'obscurité de la salle de restauration. La grande pièce à l'arrière du bar que vous traversez pour gagner les toilettes. Entassez-y soixante ou soixante-dix personnes à déjeuner, et vous pourrez quand même allonger vos jambes sur le côté de la table. Murmurer des mots doux à votre fiancée sans être entendu par votre voisin. Les lourds rideaux rouges tirés sur les carreaux changent  les lieux en aquarium volcanique. Les radiateurs de fonte en accordéon attestent de l'authenticité de l'ancienne affiche Suze jaunie et encadrée au mur comme un Rembrandt. Chaises et tables rectangulaires alignées au millimètre. Nappes à carreaux rouge et menus pliés en deux au milieu des tables.

Aucun client.

Pas comme autrefois. Parfois, votre vessie est pleine, vous traversez la grande salle pour gagner les toilettes, et il vous semble distinguer dans la pénombre le fantômes des clients de jadis, ripaillant et se bidonnant, un peu ivres. Vous cheminez vers les toilettes et il y a ce silence guérisseur. Le pouls épileptique de la ville et de la modernité qui bat en sourdine. Presque le bruit de la mer dans un coquillage.

Les toilettes furent longtemps une solution de secours à mon ancien boulot.

Au moment où les fonds d'écran d'îles désertes avaient cessé de fonctionner sur moi, j'avais trouvé une autre combine pour disparaître. Une nouvelle cabane. Je descendais seul au sous-sol de l'entreprise après une réunion éprouvante, en compagnie de tous ces gens en costumes et tailleurs, bien coiffés et bien habillés, qui causaient indicateurs de performance et sécurité des flux informatiques. C'était près du parking sous-terrain. Il y avait une douche que personne n'utilisait. La cabine des toilettes vous pouviez y dormir parfaitement allongé. J'ai essayé. Et quand vous étiez assis sur le siège abaissé, tout n'était plus que perception subaquatique de la réalité. Le ronron des grosses bouches d'air conditionné ressemblait au chant des baleines. Un étage plus haut, des hommes et des femmes en tailleurs et bras de chemise guerroyaient à grands renforts d'e-mails, plaçaient in fine au début de chaque phrase, pour quelques points de salaire supplémentaires. Et moi, j'étais simplement engloutis sous des tonnes de bétons, assis sur le trône, à écouter les baleines chanter. À regarder les grains de poussière virevolter comme du plancton sous la borne  « sortie » des commodités.

Et je disparaissais.

Les toilettes du Bretagne, ne comptez pas trop y pisser une main appuyée au mur. Le siège est cassé. Il faut le tenir à la verticale pour ne pas manquer sa cible. Au tirage de la chasse, vous vous écartez brusquement en voyant l'eau monter. Il vous semble que la cuvette va déborder. Le niveau de l'eau grimpe presque à ras bord pour redescendre lentement ensuite, laissant la cuvette à demi-pleine. Le lavabo fonctionne avec un de ces leviers à actionner avec le genou. Une serviette éponge est suspendue à un clou à côté du miroir ébréché.

Madame Lelette revient en boitillant des cuisines, une assiette de blanquette fumante à la main. Elle dépose l'assiette devant François. Le grand maigre au visage couleur de fraise écrasée avachi sur la terrasse. Un ancien cadre de la GMF en retraite. Paupières closes, jambes étendues devant lui, les bras croisés sur le ventre, affalé en plein soleil, il semble endormi. Ou mort.

Madame Lelette le bichonne. Elle le freine. C'est elle qui appelle le taxi quand, en fin d'après-midi, ses jambes se changent en guimauve.

— Il me fait des ennuis avec les chauffeurs, cet idiot. Mais je l'aime bien.

Bien sûr, elle ment au taxi en expliquant que François est handicapé :

— Non, non, il n'est pas saoul, c'est seulement ses jambes, vous voyez ?

Ce type gérait des grands comptes clients il y a peine un an.

Puis il a disparu, lui aussi.

Une dépression, me confie madame Lelette.

François se réveille au bruit de l'assiette de blanquette cognant le bois de la table. Dans son regard, on voit passer des trains de chagrin qui ne s'arrêtent jamais en gare ; le carafon de rosé devant lui est vide.

— Un autre carafon, François ? C'est le dernier, hein ? Pas de taxi, ce soir.

Il secoue la tête. Ses cheveux ras brillent comme un hérisson argenté.

— Tu veux de la moutarde avec ta blanquette ?

Les grillades sont du jour. Les plats en sauce, Madame Lelette les cuisine la veille.

— C'est meilleur réchauffé, dit-elle.

Le boudin purée marche bien aussi. S'il reste des plats du jours invendus, ils sont servis le lendemain.

— Du coup, ils ne sont plus du jour. Je triche un peu.

Elle sourit de sa plaisanterie et retourne à l'intérieur s'accouder au zinc, son regard bleu se perd par la fenêtre.

— Quelle chaleur, boudiou...

Dehors, les berline défilent à toute blinde sur le boulevard. Trop vite. Comme sur les images d'anciens films d'actualité en noir et blanc où les gens marchent en accéléré.

Autrefois, Madame Lelette habitait au-dessus de son restaurant, au premier étage.

— J'aimais bien, mais je n'en dormais plus, mon pauvre monsieur.

Les habitués finissaient toujours par monter chez elle, ivres morts après la fermeture du bar, pour quelques after tardifs et arrosés. Et elle ne veut plus, Madame Lelette. Elle doit se reposer, maintenant.

— La nouba à 64 ans après 32 ans de business, c'est plus pour moi !

L'agitation stérile du vrai monde entre par effraction dans la moiteur et la pénombre tropicale du Bretagne : le téléphone hurle. Une sonnerie de vieux jeux vidéos Nintendo. Et ça me rappelle des mauvais souvenirs, avant que je ne décide de disparaître définitivement. Avant l'arrivée du courrier de confirmation, il y a deux jours. Papy Joseph, le nez sur la page des sports sursaute, comme tiré d'un songe. François est assoupi sur la terrasse. Madame Lelette décroche :

— Ouais... hum... Ouais... Bah dame, c'est pas mon problème !

Un accent bien de chez nous qui rappelle Arletti. Une pause. Un soupir.

— Ouais, ouais, je vous rappellerai...

Elle raccroche le téléphone filaire, louche sur ses ongles peints et dit :

— Dame, il est complètement baisé, lui. Les gens sont baisés.

Et le temps reprend son cour. Au ralenti. Tout doucement. Comme un ruisseau de confiture.

La sensation que j'éprouvais en 1998 pendant la coupe du monde de foot était la même.

Outre cette ridicule mascarade vigie-pirate aux abords de la gare, nous autres bidasses appelés sous les drapeaux, nous montions la garde aux deux entrées de la caserne. À  l'intérieur de deux guérites étroites, pareilles à deux cabines de chiotte vitrées. Nous les rejoignions de nuit par tranche de deux heures pour monter la garde. Avant de passer le relais à un autre appelé, et d'y retourner de nouveau après un petit somme, deux heures plus tard. Quand vous dormez harnaché d'un treillis, par tranches de deux heures, sur des paillasses à ressorts, à un bras tendu les uns des autres, vous encaissez les ronflements et les flatulences de chacun. Vous ne dormez pas vraiment. Vous flottez entre deux états, dans l'interstice mystérieux entre la veille et le rêve. Dali employait déjà cette méthode : il s'assoupissait face à sa toile, une cuillère à la main. Lorsque le bruit de la chute de la cuillère le réveillait, il commençait à peindre. Et donc, je flottais dans cet état deux heures durant, puis un gars me secouait, et c'était de nouveau mon tour d'aller monter la garde à l'une des deux guérites. Je préférais la guérite de l'entrée Sud. Au Nord, un pervers en imperméable venait nous narguer la nuit derrière la grille et se branlait devant nous. C'était peut-être le treillis ou le fusil qui le motivait. Ou nos crânes rasés, disait l'adjudant. Au sud, personne n'entrait de nuit. Aucuns jeunes engagés de retour de bringue dans leur grosse bagnole pour vous emmerder en refusant de vous montrer leur carte d'accès militaire. Nous avions cette mini-pipe à eau qu'on se refilait à tour de rôle. Elle était fabriquée dans une petite bouteille de shampoing, du genre qu'on emporte pour prendre l'avion. Elle tenait dans une poche de treillis. En vous accroupissant derrière la partie opaque de la guérite, vous pouviez vous collez des bangs de beuh.

Et disparaissez...

Tout était si calme à trois heures du matin, là-bas, à la guérite sud.

Avec les bâtiments des officiers qui découpaient le ciel étoilé. Le ronron des automobiles en sourdine derrière les hauts remparts de béton de la caserne. Les gradés et les troufions endormis. Et moi, seul dans ma cabine de chiotte vitrée, devant ma barrière électrique, je me sentais protégé comme par les parois de ma penderie autrefois. En sécurité. À l'extérieur, on se battait, divorçait, ruminait. Moi, j'inhalais des pipes d'herbe, et je planais. Je disparaissais. C'était comme si soudain, le monde guérissait de ses maux. Ces moments de grâce où vous savez quoi faire. Ou les solutions à vos angoisses, vos problèmes, naissent, avant de mourir au petit jour. Et à la levée des couleurs, rien n'était réglé.

J'ai cherché cette sensation toute ma vie.

Ma cuillère de Dali. Ma cabane de Tom Sawyer.

J'ai choisi d'écrire.

Mais dès que je quitte le Bretagne, ça me reprend. Palpitation, rumination anxieuse sur ma décision. Du haut de mon appartement au quatrième étage, je me penche à la fenêtre. Je regarde en bas, de l'autre côté de la rue, vers le Bretagne. J'essaye de goûter encore un peu cette sérénité indescriptible et salutaire qui me fait oublier la vaisselle sale dans l'évier, la douche que je n'ai pas prise, ma décision de disparaître pour de bon. En bas, François s'est endormi, sur la table le deuxième carafon de rosé est vide. Il ne s'éveille pas au son des klaxons et des trompettes ; la France a remporté le match face au Pérou.

Ma disparition définitive, je la dois à mon ancien patron. J'ai dis à tous le monde que c'était pour écrire un livre.

Mon patron n'a pas fait de difficulté.

Il attendait, assis, là, dans son grand bureau, feignant de lire Le monde. Et il a simplement dit :

— Et alors cette rupture conventionnelle ? Eh bien, signons maintenant !

Et j'ai disparu définitivement des écrans radars.

C'est pas le Pérou.

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