Cambridge ou Et pourtant... létale oblitération
koss-ultane
Cambridge ou Et pourtant… létale oblitération
J’ai toujours eu mauvais fond mais jamais autant que le lendemain du jus de pomme.
John et Jane regardaient les deux sépultures avec perplexité et se demandaient si les boys avaient eu des hamsters.
Je suis l’inverse d’une “fashion victim” mais je m’attache de façon déraisonnable à mes sous-vêtements et autres T-shirts ou sweat-shirts jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que des lambeaux entre des élastiques las et des coutures sans plus de sutures.
John et Jane sont les deux tenanciers du Bed and Breakfast le plus recherché par les adeptes du petit-déjeuner continental et les allergiques, infiniment plus nombreux, à la britannique pitance gerbative du matin.
Deux petites croix de fortune au noms de Jack et Bill surplombaient les deux taupinières cachées au fond de leur jardin derrière l’imbroglio de ronces et de déchets organiques qui se révélaient quasi imputrescibles avec les décennies. Jack et Bill… Jack et Bill… non rien ne leur revenait. Aucune petite boule de poil n’émergeait de leurs mémoires torturées… et pourtant… aucun museau humide trognon ne les faisait craquer… et pourtant.
Un, c’était un accident, deux, c’était un signe. Les deux soutiens de familles «has been» couchés, mortellement marqués, dans une petite boîte en carton, je sortis de ma chambre en rampant, collais une oreille à la porte de l’autre chambre, la double, où un couple de Bataves montés en graine dormait. J’imitais l’homo erectus pour achever le moignon de couloir restant, déboulais prudemment dans la cuisine déserte, la traversais et arrivais au morceau de bravoure numéro un de mon raid nocturne. La porte vitrée qui donnait sur le jardin était fermée. Ma mauvaise vue et une maladresse innée allaient-elles faire capoter un des plans les plus audacieux du troisième millénaire balbutiant ? Non, un “chtonk” sourd mais maîtrisé libéra la lourde en verre. Je m’élançais à pas menus vers le fond du jardin sous la lune complice. Je marchais bien au milieu de la pelouse. Longer les murs en béton des cloisons inter-jardin était trop aléatoire. C’est une très belle ville, surtout dans le noir ! J’arrivais au tréfonds. Il me fallait être le moins pachydermique possible avec la luxuriante et indomptée végétation glauque du bout de rectangle vert et marron. La grande cuillère pour les céréales, détournée le matin même au petit-déjeuner, entrait en action sous un roncier hirsute et vindicatif. Je grattais… grattais. Deux élastiques, garants de la cohésion de mes stylos encre dans ma trousse de cancre, avaient été sacrifiés à la cause funèbre. Mon transit n’était plus comptable d’une surdose de glace, quatre esquimaux géants avaient été consciencieusement sucés et leurs supports boisés thésaurisés l’après-midi même. Mon gros feutre noir gravait pour l’éternité les deux noms défunts. Deux par deux, en croix, les bâtons, orphelins de leur praliné, étaient solidarisés par les élastiques. Plantés en terre à peine retournée, les crucifix inhabités conféraient immédiatement à l’ensemble une solennité de bon aloi. Je me recueillis une microseconde le temps de retenir un rire et de pouffer sous cape. Je m’imaginai découvert à cet instant par les autochtones et ne pus contenir plus longtemps un gloussement étouffé. Je revins dans ma chambre, pleurant comme il se doit après une cérémonie d’adieu aussi intense, et tentai des exercices respiratoires afin de dissiper les débuts de crampes abdominales, séquelles d’un fou rire inextinguible. Quand l’irréparable se produisit encore. Fatigué de ce mal chronique, et la nuit étant trop avancée, je décidais de me délester de la troisième victime du jus de pomme en la jetant le plus loin possible de l’autre côté de la rue. Ne sachant si je devais la faire tournoyer ou la rouler en boule et la jeter façon caillou, seulement vêtu d’un T-shirt “I love rien, I’m Parisien”, j’optais pour le tournoiement à la manière de David terrassant Goliath. Mon magnifique mouvement fut saccagé par le bruit d’un intrus déboulant dans la rue sans crier gare. Le projectile l’atteignit en pleine tête pendant que je refermais déjà la porte de notre victorienne demeure.
Le lendemain toute la rue bruissait des conversations à propos de l’accident du livreur de lait qui avait quitté la chaussée pour entrer dans un réverbère. Rien que de très classique. Ce qui l’était moins était qu’il avait été frappé à la tête, ou plutôt enveloppé, par un slip souillé à pleine vitesse. On ne savait à quel élément on devait cela, choc ou garniture, mais le pauvre garçon avait perdu connaissance lors de l’embardée. On l’avait retrouvé à l’aube, baignant de le lait et le sang de ses multiples coupures, sa petite voiture épousant un lampadaire à la peinture à peine écaillée. Contrairement au lait.
Mon nom sur l’arme, cousu il y avait des années de cela par les doigts gourds d’angoisse d’une mère expatriant sa progéniture aux colonies, me conduisit devant le juge. Il me demanda sans sourciller si j’avais un complice. “Appel juice” répondis-je. Il ne comprit pas. Comment l’aurait-il pu ? Lorsqu’il me questionna sur mes motivations, je dus répondre que je n’avais plus d’élastiques dans ma trousse d’écolier et que j’aurais dû sucer deux esquimaux géants supplémentaires afin d’éviter pareille tragédie. Même la syntaxe dans l’axe, les accords ad hoc et le vocabulaire nécessaire ne m’auraient pas sauvés. Spécialement le dernier membre de phrase, sur les esquimaux, qui sembla turgescent pour les plus atteints. Le flegme du vieil homme “emperruqué” et ma sinistrose au milieu de personnes se retenant de pouffer ne créa aucune affinité trans-générationnelle entre le rosbif trop cuit et la grenouille tendre amère que nous fumes. Il fut à deux doigts de cherry de me faire examiner par un fasciné de la psyché là où un pro, généraliste, et deux anti-diarrhéiques auraient suffit.
Nottingham, le vingt-cinq novembre deux-mil-sept. Cellule vingt-quatre cinquante-cinq.
Ce n’est que bien des années plus tard, les sépultures de Jack et Bill découvertes par les autochtones, que ces quelques paroles balbutiées à la barre du tribunal prirent un sens pour John et Jane.
Pom, pom, pom :-)
· Il y a plus de 13 ans ·yl5