Can I get, now, satisfaction ?

walkman

"A quel moment est arrivée la satisfaction, à quel moment es-tu devenu un génie ?"

D'accord, ça veut faire deux trois pas dans le caisson. Allons y franchement. D'abord faut faire table rase du passé, oublier que j'ai aimé qu'une dame et que depuis mille nuits j'suis toujours perché. Par contre faut arroser la scène avec toutes les heures passées à trimer pour extraire un point de vue cool de mes ateliers. J'ai travaillé dans des appartements dérouillés, dans des salles de bain d'hôtels hupés, sous une pluie de nanas d'enfer et avec un bon paquet de falzars usés. Franchement, j'ai tout aimé, même les chefs d'oeuvre destroyés par les gens payés pour - ou pour ne pas - apprécier le jus que j'arrive à encastrer dans un cadre. C'est pas un boulot facile, parfois faut écouter des gens vachement plus à l'ouest que n'importe quelle facette de ma personnalité, tenter de vous motiver pour aller tailler un pipe à ce vieux gars en costume qui pourrait, indécemment, ouvrir les portes du succès. Je me suis demandé pourquoi ils avaient rajouté un deuxième c. Mais bon, j'ai pompé des types archi connus genre Lucian Freud, et moi aussi j'ai commencé à épuiser mes muses, ça ne se voyait pas sur mes toiles, mais quelques femmes ont achevé mes tournées compètement éteintes. Le reste de l'humanité, j'ai jamais pu le voir en peinture. Mais je ne suis pas juste un peintre. J'ai fait l'amour et la violence à quelques blocs de pierres, ou métaux. Un bon moyen de célébrer le fait de s'culbuter. 

Elle prend des notes, et Levy, aussi, dans un autre coin de la pièce, là où je ne le vois pas. 

Le génie, c'est lui. Moi, tout le monde est prêt à avouer en murmurant que j'ai un brin de talent, lui c'est plus compliqué. Mais il arrive quand même à choper le coeur de Jessica, même avec une ostentatoire mention de connard. En parallèle, moi je suis le cancre au fond de la salle, j'ai la classe, mais j'ai le coeur un puzzle avec seulement trois morceaux qui veulent bien s'emboîter, et dans d'autres pièces d'ailleurs. 

La journaliste fait une pause, j'ai peut-être trop rembobiné. 

Donc, le syndrome de l'insatisfaction est permament, malheureusement. Ce n'était pas de la faute des gens qui ont fait mon triomphe, ni des dealers qui ont bien profité de mes royalties, ni trop de la mienne, j'aime espérer. C'est surtout parce que j'étais donné perdant. J'avais du coeur, c'est clair, mais les oreillettes se sont vite fait éventrer. Pendant ces années, il ne me restait juste que la valve aux lèvres, mais je m'étais doublement planté de cavité. J'étais sourd, mais j'étais doué pour lire et provoquer les remous. Et puis ça arrive que certaines braillent. Ma vie ne fut que la métaphore de tout ça. Je pourrais m'en contenter. La plupart des types émasculés y arriveraient à ma place, mais je me sentais le besoin de découvrir un autre niveau de langage. Balancer la gouache, ça aide à aimer l'alcool, et me balancer de l'alcool ça les a aidé à aimer ma gouache. Par contre, j'ai voulu me satisfaire, pas comme un ado tout seul avec deux mains gauches, mais trouver de l'écho au noir. J'ai construit l'amour, mais comme beaucoup de structures bâclées, j'ai fini par la détruire sans faire exprès. C'est un peu comme les idées de ceux qui aimaient mon travail, j'ai eu l'impression que plus je me dépensais plus c'était con d'penser. A cause des préfixes. Alors des fixs y en a eu plein qui ont suivi, histoire de compenser. 

Elle indexe tous mes tableaux, mes tournants, et finit par reculer la tête pour admirer le labyrinthe qu'elle a dessiné de ma vision. Elle me le montre. 

"Alors, d'après toi, comment elle a fait pour s'échapper ?"

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