Capharnaüm Partie 2

-nicole-

Le carrousel. (début du deuxième chapitre, les mots sauvages sont difficiles à dompter !)

Je ne peux pas m'allonger là, ni ailleurs, en fait, je ne peux pas me poser, j'erre entre ces murs : ce n'est plus mon territoire, où est ma place ? J'ai besoin de crier, d'appeler à l'aide. Je veux mon fils, je veux mon chien, je veux mes affaires, je veux ma maison, je veux du bruit, je veux du mouvement, je veux la vie…

- « Gaëtan ! Mon Tano ! Tanooooooooooooooo ! »

Ma voix résonne dans un silence blanc. Je continue à pleurer. Je sanglote à présent, je sanglote et je ris en même temps : tu détestes que je t'appelle Tano, tu détestes que je t'appelle Gaëtan aussi, tu te fais appeler « Greg », diminutif de Grégor, ton deuxième prénom, celui que tu partages avec ton père.

- « Greg ! ça fait homme, pas comme Tano, c'est nul Tano, et Gaëtan ! N'en parlons pas, un nom de mafieux, pourquoi m'as-tu donné un nom de voyou ? »

Ça ne sert à rien de te répondre, de t'expliquer pour la n-ième fois, que c'était le prénom de ton arrière-grand-père, de mon grand-père maternel, - en fait il s'appelait Cayetano - que c'était un grand Monsieur, instruit, dans une Espagne où beaucoup étaient analphabètes, un homme d'honneur qui s'est battu jusqu'à la mort contre le totalitarisme et pour ses convictions humanistes et républicaines, beau, droit, fort… Si je le fais, alors, tu te mets en colère, m'accusant de t'avoir transmis ce nom comme un fardeau, de t'avoir ôté la liberté d'être toi, de « te mettre la pression » en attendant de toi que tu sois parfait… Je n'attends pas de toi que tu sois parfait, tu l'es, tout simplement, tu es mon amour et mon trésor, la chair de ma chair, le sang de mon sang, mon âme et ma fierté. J'aime tes yeux magnifiques, ton sourire lumineux, ton visage volontaire, tes colères, ton intelligence, tes rires. J'aime tes faiblesses qui me permettent de rester ta maman, comme lorsque tu étais ce petit enfant si fragile et si volontaire déjà. Je pourrais te donner ma vie, je serais capable de tout pour toi, de tout, même de m'oublier. Et là, alors que je suis en pleine détresse, j'appelle Tano, pas Greg, j'appelle mon enfant, pas le fils de son père, et si tu m'entends, tu vas m'en vouloir pour ça. En pleine détresse, je suis incapable de t'accorder ce que tu me demandes depuis des années alors que j'affirme que tu es plus que tout, plus que moi, et j'en ri-pleure, à gros éclats de larmes, un rire de crocodile.

Je colle les mots comme je colle les images des autres pour les faire miennes. Les mots de tout le monde ne sont pas toujours faits pour moi, ils brident, enferment, attachent, entravent ma pensée, alors parfois, j'en invente de nouveau avec de petits morceaux d'anciens et quand mon cerveau va trop vite les syllabes se télescopent et des mots-mutants naissent remplaçant souvent définitivement les mots-normaux que je trouve bien moins drôles : c'est ainsi que chez moi, l'été, les terribles pistiques mouquent plus souvent que ce que les moustiques peuvent piquer, que le solapin, nommé aussi salopin remplace avantageusement le banal papier absorbant, et que l'incontournable bourchitron extrait régulièrement les bouchons de liège des goulots des bouteilles… Et un nouveau mot vient de jaillir dans mon esprit : "dormourir"… Se peut-il que je dormeure ? Je ne ris plus, avec ou sans larmes.

-          « TANOOOOOOOOOOOOO ! »

à suivre...

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