Cas de conscience

dechainons-nous

Introspection et recherche de quelques racines !

Je n'ai pas aimé quand elle m'a traité de con, pourquoi ? je ne saurais pas vous l'expliquer.
Oui bien sûr les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire mais comme on entend et comprend ce que l'on a bien envie, je pense que c'était quelque chose d'autre qui me chagrinait.
Peut-être qu'un démon de mes nuits s'était fait piéger dans ma réalité par une sonnerie de réveil trop précoce et me faisait une lecture exagérée de ce message qu'il avait intercepté à l'insu de mon plein gré. On devrait toujours se méfier de ces chérubins des ténèbres qui se nourrissent exclusivement de piments Carolina Reaper et se parfument au vitriol. 

Ce n'est pas la première fois que l'on m'invectivait de la sorte, nous sommes toutes et tous le con de quelqu'un, plus con que nous même il va de soi. Barricadé dans son exosquelette notre propre estime nous tricote une cote de maille faisant office de cage de faraday qui nous isole tant bien que mal de toutes ces foudres vindicatives. 

Alors cette fois ci je n'ai pas répondu ! enfin disons que j'ai répondu par un silence mûrement réfléchi, par un remerciement si poli que même une limace n'aurait pu y adhérer et aurait commencé une longue descente aux enfers pour en baver de toutes ses dents.
C'est cette non réponse qui est devenue si pesante, à la limite de devenir une idée fixe car je pense n'être jamais allé aussi loin dans mon arrogance et le dédain de l'autre.

J'aurai pu céder à la mauvaise foi et retourner la situation à mon avantage, je ne suis pas mauvais à ce jeu-là, mais juste avec un zeste de réflexion j'ai occulté cette forme de réaction et étais prêt à laisser parler la colère, c'est bon d'évacuer spontanément les toxines psychologiques accumulées depuis quelques temps, c'est comme le contenu de la vessie il ne faut pas garder tout ça en son for intérieur ça ne peut que nourrir le crabe qui tisse sa toile et nous guette à l'ombre de nos cellules. 

Mieux encore, il y avait l'option de s'adonner à la méditation et après une dizaine d'expressos qui vous font monter la pression de la cafetière vous lui trouvez son point P, centre névralgique de ses névroses et vous appuyez de toutes vos forces, autant de fois que nécessaire et toujours au même endroit. La méchanceté ça n'a jamais fait de mal à personne, enfin je veux dire à celui qui la prodigue, c'est même euphorisant, anesthésiant, analgésique, antalgique, anathème et Anatole. 
(NB il ne faut pas confondre avec l'autre point P qui est aussi un centre de matériaux et de sévices mais celui-ci c'est pour la construction et non la démolition) 

Je me retrouvais donc en face de ma conscience et découvrais par la même occasion que moi aussi j'en avais une. J'allais comprendre que j'avais longtemps confondu miroir réverbérant et vénérant avec cet être de lumière qu'est la conscience ! Il faut dire que le glacis des tains m'avait toujours tant flatté en me renvoyant cette belle image si lisse et de marbre qui ne m'a jamais lassé; fait voyager m'ouvrant les portes de mondes inédits me révélant d'autres vérités accessibles aux seuls initiés et aux alouettes, mais jamais la troisième porte, l'œil du frère maudit ne s'était dévoilée à la prunelle de mes yeux. Si on ne voit bien qu'avec le cœur, il serait néanmoins essentiel qu'il possède un sonar pour sonder tous les recoins de notre imaginaire et ne pas nous faire prendre notre vessie pour une lanterne, ainsi nous serions mieux éclairé sur le manuel des bonnes conduites à tenir.

En ce jour de déconvenue mon image vacillait comme une flammèche dans la glace, déracinée de sa vie nourricière elle flottait floutée et indécise n'adhérent plus au décor décalqué de la chambre que me renvoyait mon âme à panser. Telle une baudruche se vidant de son gaz existentiel elle se cognait et rebondissait dans tous les coins et recoins de mon esprit. 
Le beau miroir transcendait l'ordalie et ne reflétait plus la vérité de la réalité mais rendait une pâle copie d'un film qui s'impressionnait dans les limbes de l'antichambre. 
De mon surmoi construit en des temps maudits, d' inédits interdits émergeaient et me servaient cette conscience écorchée sur l'autel de la transgression. 

Le papier peint chargé de fleurs éléphantesques bleuies au bonheur des années soixante-huitardes peinait à contenir les marques de l'huisserie dessinée en trompe l'œil. Le bec de cane nacré pivota sous la pression de cette conscience qui ressuscitait et la porte s'ouvrit béante sur un escalier en-cloisonné dérobé depuis tant d'années. 

La cage éclairée par un néon blafard menait à une cave poussiéreuse. L'échappée de l'escalier était si réduite qu'on devait descendre à reculons en se recroquevillant pour arriver à une vaste cale à charbon ou dormait la bête rugissante. Endroit maléfique, berceau de toutes mes peurs naissantes où j'aimais descendre avec mon père pour les combattre. 
La grosse chaudière en fonte grise nervurée comme une vielle peau flétrie, juchée sur une dalle en béton dans un coin de la pièce réclamait son dû matin et soir. Il fallait la remplir à ras la gueule de cokes et de boulets par la trappe supérieure qui à l'ouverture laissait découvrir ses entrailles rougissantes et vous crachait au visage sa chaleur volcanique. 
Durant le jour, les rais de lumière qui s'immisçaient par le soupirail taillé dans l'épais mur en meulières ne suffisaient pas plus que la petite ampoule à incandescence pendouillant dans une des voûtes du plafond, à éclairer tout l'espace sur-noirci par la poussière crasseuse de la houille et à débusquer tous les monstres et les angoisses qui s'insinuaient dans chaque recoin. 
J'ai gardé en moi la vision de la noirceur des têtes des bougnats qui apparaissaient quand ils venaient déverser sacs après sacs les précieuses cargaisons hivernales. 
Je ne suis jamais reparti emprisonné dans leurs sacs en toile vidés de leur contenu, fort des menaces vociférées par ma grand-mère, les jours de livraison j'allais me terrer au fin fond de la cave, la curiosité sublimant mes peurs, j'observais la manœuvre de ces êtres étranges et intrigants à la peau charbon de bois qui se couvraient le dos et la tête d'une toile de jute pour transporter sur leurs épaules ces pesants fardeaux du camion à plateau jusqu'à la meurtrière libre de son étripe-chat, ouverte au ras du trottoir. 

Le malin qui se terrait ici n'était pas le loup des contes qui rodait hors des sentiers battus, je l'abandonnai bien vite au profit d'une chasse au trésor qui promettait d'être bien plus riche sur le sens de la vie.

La troisième porte dissimulait un deuxième escalier dans le prolongement du premier qui m'emmena souvent dans cet autre endroit tout aussi mystérieux de la maison. 

Le grenier aménagé sous la pente du toit était l'autre versant obscur qui allait nourrir ma conscience en devenir. L'entrée était à hauteur d'homme sous le faîtage, mais nous étions obligés de nous mettre à quatre pattes mes sœurs et moi pour aller déballer les malles en osier et en bois qui semblaient avoir fait leur dernier voyage et avaient échouées dans ce repère de souris et d'araignées. 
Pèle mêle on y trouvait de vielles assiettes de la faïencerie de Montereau, des robes en dentelles de quelque part, de vieux encriers, et de belles photographies en noir et blanc ou couleur Sépia. 
Vestiges d'une généalogie incrustée dans l'histoire de la terre et d'une géographie locale en bataille. Si la grande guerre avait entassé les morts elle avait aussi embrouillé les esprits des vivants. Parmi d'authentiques documents qui attribuaient la croix de guerre à titre posthume et un rapport de la compagnie des chemins de fer PLM relatant l'accident mortel d'un chef de chantier de voirie fauché par une machine haut le pied n'ayant pas respecté la signalisation temporaire en vigueur, une famille de grand parents fantômes et d'orphelins était née. 
Ma grand-mère maternelle qui avait gardé plus de haine en elle pour « les casques à boulons » que pour le progrès social, au-delà de sa tragique destinée quand la maladie emporta ses deux enfants de son premier mariage pendant son deuxième veuvage, virtualisa les liens de parentés dans une histoire revisitée et éleva ma mère orpheline de père née du deuxième mariage dans l'ombre de son premier mari. 

La douleur est anesthésiante et peut avoir un effet retard, récemment quand la maladie bouffe mémoire s'est investie en ma mère, laissant libre cours aux souvenirs ancestraux assaisonnés par l'aigritude, ma mère me confia pour la première fois qu'elle avait souffert toute sa vie de ne pas avoir entendu parlé de son vrai père et qu'elle regrettait de n'avoir pu nous parler que d'un faux grand père. L'ironie du sort est insatiable mon père étant le neveu de ce faux parent et portant le même nom de filiation il lui donnera pour vrai nom d'épouse. 

La douleur est contagieuse aussi, ma grand-mère vivait déjà chez mes parents quand je suis né et m'a fait découvrir dans ma quinzième année tout le vide que l'on pouvait ressentir quand on perdait un être cher. Si elle n'avait pu surmonter tous les obstacles pour s'affirmer en tant que mère, elle a su pleinement jouer le rôle de seconde mère et nous partageâmes une grande complicité. 

Je n'ai pas sourcillé quand elle m'a traité de con, pourquoi ? je ne saurais pas vous l'expliquer !
J'ai souri et sans prendre le temps de réfléchir, j'ai répondu qu'il y avait des grands pères plus ou moins légitimes qui avaient fait ce qu'ils pouvaient et avaient donné leur vie sans savoir pourquoi, peut-être pour qu'un jour je puisse apprendre à nourrir et rassasier la bête humaine qui était en moi.

La connerie n'échappe pas à la relativité restreinte, même si la gravité de l'être est pesante c'est dans le mouvement que tu renvoies tes peurs au temps initial, et que tu construis ta conscience.

« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. » 

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