Cas Zéro

patrick-eillum

Et si les zombies ?

Je profite de la douceur de ce magnifique aurore de printemps sur la terrasse de la ferme de ma grand-mère paternelle où je me suis réfugiée. D'ici, je peux apercevoir les vestiges du mur de la quarantaine érigé entre la Durance et le Mont Ventoux afin d'empêcher les pestiférés de Marseille de contaminer le reste de la France en 1720. L'histoire ne serait-elle qu'un éternel recommencement ? Néanmoins, il me faut puiser dans mon courage pour vous narrer mon histoire.
Rétrospectivement, elle commence pour moi au carrefour du mont de terre à Fives un lundi matin d'octobre de l'année dernière. Ce jour-là, comme tout les autres, j'étais en retard pour le boulot. J'ai beau travailler de l'autre coté du Pont de Tournai à 500 m de mon domicile, je préfère m'y rendre à vélo plutôt qu'à pied. C'est plus rapide et surtout c'est meilleur pour la planète, ma ville et mes fesses. Cela ne m'empêche pas de régulièrement partir au dernier moment, le travail ne provient-il pas du latin signifiant « torture » ?
Equipée de ma chasuble fluo (môche), de mon casque (écrase-brushing), de mes lunettes (n'empêchant pas mon rimmel de couler), de bracelets de sécurité réfléchissant aux chevilles (mettant en valeur mes mollets de coureur du Tour de France) et de feux clignotants sur le porte-bagage (histoire de bien montrer à la face du monde à quel point être en sécurité à vélo rime avec fashionista), j'attaquais la redoutable côte de la rue du long-pot avec l'ardeur du condamné à mort lorsqu'une vieille camionnette me doubla en me serrant bien fort contre la bordure. Après un bon coup de guidon salutaire pour éviter la chute, je lançais au conducteur maladroit une bordée de jurons à faire pâlir Regan Legland, la fille possédée de l'Exorciste. En voyant les feux stop de la guimbarde s'allumer, s'est aussitôt fait entendre une petite voix qui me disait : « Houston, on a un problème ».
De la fourgonnette jaillit tel un diable de sa boite, une petite bonne femme affreuse, sorte de croisement improbable de Mary Poppins et de Mme Mim. Dans un sabir mystérieux, elle vociféra une ou 2 phrases à mon attention avant de remonter dans son véhicule non sans oublier de hurler sur ses chiens restés à l'intérieur qui, au son des aboiements émis devaient être une meute affamée. Aussitôt un frisson me parcourut le dos comme lorsqu'on boit trop froid après une longue cyclo-ballade sous le soleil. Le fourgon repris sa route dans un crissement de pneus et un nuage de fumée de diésel me laissant là telle une vieille chaussette usagée.
Enfin arrivée sur mon lieu de martyr, une autre épreuve tout aussi redoutable m'attendait comme chaque matin : Faire la bise à chaque collègue rencontré. Vous n'imaginez pas le nombre de bécots produits par les salariés de cette administration. Le tordu qui aurait l'idée d'imposer une taxe aux bisous dans les collectivités et les grandes entreprises annulerait illico la dette de l'Afrique ! Le reste du jour se passa mollement entre réunionnite aiguë et production de tableaux excel.

Ce n'est que le lendemain matin qu'une première chose étrange se produit ; Le parking à vélo habituellement vide à cette période de l'année, était saturé de bicyclettes, de VTT, de pliants et autres bicyclettes hollandaises. Dans le hall m'attendait un spectacle digne de Kafka : Une horde de personnages vêtus de chasubles fluo, de casques avec stickers réfléchissants, de brassards luminescents ou de lampes clignotantes se claquaient la bise avec ardeur. Passé mon inextinguible fou-rire de voir ainsi nippés certains collègues qui la veille encore ne juraient que par le salon de l'auto ou le grand prix de Monaco, je me réfugiais dans mon bureau avant de partir pour la journée dans une série de rendez-vous à l'extérieur.
Le mercredi étant mon jour de repos pour cause de temps, j'en profitais pour amener mon fidèle gazelle à l'atelier de réparation de l'Adav afin de vérifier son état. J'avais pris l'habitude de ce check-up trimestriel comme d'autres s'occupent plus de leur voiture que de leurs artères. A part une roue arrière légèrement voilée, tout était OK et je pouvais rouler en toute sécurité.
C'est au matin du jeudi que je commençais à prendre conscience de cette peste des temps moderne qui nous était tombé dessus ; Non seulement, il n'y avait quasiment plus d'automobiles dans les rues à tel point que je me croyais un jour férié mais de plus, la cité s'était colorée des chasubles que revêtaient les cyclistes qui avaient envahi les rues. Je me croyais en Chine ou à Amsterdam. Ne lisant qu'occasionnellement les journaux et n'accordant que très rarement un oeil à la TV ou une oreille à la radio, je pensais qu'une grève des livreurs d'essence était à l'origine de cette soudaine conversion écologique et c'est Clairvius, l'agent d'accueil haïtien du parking d'entreprise qui me sortit de ma naïveté. Il m'accueillit d'un tonitruant ; « Alors Jeannie Longo, contente ? ».
Devant mon regard questionnant, il continua ; « Tu n'es donc pas au courant de ce qui arrive ? »
En enchainant sans attendre une réponse, il m'expliqua que depuis quelques jours, les cyclistes envahissaient les rues et le parking. Affublés de leurs ustensiles de sécurité, la contagion semblait inexplicable et il me conseillait de rentrer au plus vite et d'attendre les consignes gouvernementales.
Arrivée chez moi, je ne pouvais que constater sur le oueb l'étendue de la pandémie qui s'étendait d'instants en instants. La maladie se propageait insidieusement d'une façon fulgurante, invisible mais tentaculaire. Les autorités semblaient dépassées car l'épidémie démesurée était présente partout. La métropole lilloise allait être mise en quarantaine avec routes coupées et commerces sous surveillance. Sans attendre plus longtemps, je décidais de rejoindre à vélo le vieux domaine ancestral dans le sud de la France où mon grand-père Edouard m'avait appris à monter à bicyclette dans l'allée de la ferme. Un voyage de plus de 1000 km était devant moi mais je savais que c'est là que je serais en sécurité.



Cet automne et cet hiver ont été doux et depuis la St Patrick, j'ai enfin atteint le refuge familial. Dans toutes les communes que j'ai traversé, j'ai pu constater la même chose ; la quasi-totalité de la population « automobilistique » a été infectée en seulement quelques semaines. Traumatisés, les survivants, abandonnés, n'ont plus accès à l'eau et à la nourriture. Certains tentent de survivre dans leurs voitures sur les parkings des centre commerciaux après avoir été jetés à la rue par leur propre famille ou amis.

Le chaos est indescriptible.

Patrick Eillum
Mai 2014
Le Sud

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