Ce "Don" qui ne m'appartient pas
Dominique Capo
Je dois bien l'avouer, jusqu'à ce que je publie mes textes courts, mes récits imaginaires ou historiques teintés de fantastique, d'ésotérisme, ou de mythes et légendes, jusqu'à ce que j'y diffuse mes pensées philosophiques, mes exposés sur l'actualité, sur les avancées de la science, sur l'Avenir de l'Humanité, jusqu'à ce que j'y partage des sujets sur maints d'autres thèmes divers et variés, je n'avais aucune confiance en moi en ce qui concerne mon « talent » d'écrivain.
Toute ma vie, et jusqu'à il y a peu, mon entourage a dénigré, a considéré que ma passion pour l'écriture, n'était qu'un passe-temps qui n'avait aucun sens. Jusqu'à il y a peu, celui-ci a fait tout ce qui était possible pour m'en détourner. Combien de fois l'ai-je entendu me dire que ce n'était pas un véritable métier ? Que ce n'était qu'un « hobby » ? Que je me tournais les pouces, et que je ferais mieux de trouver un emploi davantage rémunérateur ? Plutôt que de perdre mon temps à des telles imbécillités ? Je me souviens encore mon père m'expliquer que les thèmes qui m'étaient chers – le fantastique, l'Héroic-Fantasy, la mythologie, l'ésotérisme, l'occultisme, la philosophie, etc. - n'étaient pas « intéressants », selon lui. Et que si je désirais vraiment écrire, je ferais mieux de suivre ses conseils, de le laisser me guider, de le laisser « prendre les choses en main » afin d'en tirer quelque chose de correct !!!
Mon père, il est vrai, avait le don de l'écriture. C'était un homme intelligent, très charismatique, qui connaissait les moyens de soumettre les gens à sa volonté presque malgré eux. Moi, qui était son fils, un fils respectueux de ses aînés comme on me l'avait enseigné depuis toujours, il était hors de question que je remette en question ses jugements. Si j'avais eu le malheur de le contrarier ou de lui souligner que je pouvais me débrouiller par moi-même, que je ne souhaitais pas suivre la voie qu'il m'indiquait y compris en ce qui concernait l'écriture, ses accès de colère pouvaient s'avérer violentes. Il m'infériorisait systématiquement en me répétant à l'envi : « Après tout ce que j'ai fait pour toi, c'est comme ça que tu me remercie. » ; « Je suis ton père, tu n'a pas à remettre en cause ce que je t'affirme. » ; « Tu ne connais rien à la vie. Laisse faire ceux qui ont plus d'expérience que toi. » ; « De toute façon, tu ne réussira jamais. » ; « Tu ne m'arrivera jamais à la cheville. » ; etc .
Ces paroles, je les ai entendues répétées depuis que je suis enfant, et jusqu'en 2004, année charnière où je me suis défait de son emprise. Cela a été un événement majeur en ce qui concerne mon désir de m'affirmer dans le domaine de l'écriture. Le premier véritable tournant. Avant, je n'avais pas mon mot à dire. Et quoi que je fasse, lorsque mon père parcourait les pages que j'avais rédigées, lu brièvement les histoires que j'avais inventées, me disait tout le temps : « Moi, je n'aurais pas fait comme cela ! » ; « Moi, je n'aurais pas choisi ce thème. » ; « Là, il y a des longueurs. » ; « Ici, il y a des fautes de grammaire ou d'orthographe. ». Je me souviens également – ça m'a marqué – que quand j'avais des manuscrits déposés à coté de moi, alors que j'y avais consacré de nombreuses heures, de nombreuses journées ou semaines, il n'hésitait pas y déposer ses verres de whisky humides, des assiettes, des objets hétéroclites. Il me faisait ainsi comprendre que mon travail était insignifiant, indigne d'intérêt, et que tous les efforts que je pouvais y consacrer ne me mèneraient nulle part.
Ce n'est donc qu'en 2004, après une discussion très houleuse où nous avons failli en venir aux mains – mais pour quelque chose qui n'avait rien à voir avec le domaine de l'écrit -, que j'ai réussi à lui révéler le fond de ma pensée concernant son attitude de père à mon égard. Cela a été très douloureux psychologiquement pour moi, parce que cela allait à l'encontre de l'éducation que mes parents m'avaient inculqué depuis que j'étais enfant – le respect et la soumission à ses aînés, quoiqu'il arrive, en toutes circonstances, et sans faire montre de protestation ou de désobéissance. Cela a été une épreuve, puisque ce jour-là, j'étais terrorisé par mon entreprise. Je me revois encore, les mains moites, de la sueur perlant du front, tremblant comme une feuille devant lui ; alors qu'en même temps, la colère et l'indignation me possédaient. Mais, j'ai finalement réussi à surmonter mes appréhensions. Je lui ai dit ce que j'avais à lui dire. Et ensuite, son orgueil de dominant, d'autocrate, de patriarche, en ayant pris un rude coup, il n'a plus jamais voulu me voir ou me parler jusqu'au jour de sa mort.
Sa réaction m'a navrée et blessée, bien entendu. Qui ne le serait pas, vis-à-vis de l'un de ses parents ? Toutefois, cette explication orageuse m'a libérée d'un poids que je portais sur les épaules depuis trop longtemps. Je me suis évadé d'une prison intérieure dans laquelle on m'avait enfermé contre mon gré à un age où je n'étais pas en mesure de comprendre les intentions ou les volontés des adultes. Et il m'a fallu tout ce temps, et bien des efforts sur moi-même, pour arriver à me sortir de cette défiance envers mes propres capacités et possibilités en tant que littérateur.
Plusieurs années m'ont été nécessaires ensuite, afin de pouvoir retrouver un peu d'assurance. Pas énormément, mais juste suffisamment pour que j'ose commencer à publier quelques petits textes poétiques sur Facebook. A cette époque, j'étais persuadé que ceux-ci passeraient inaperçus. Dans ma tète, j'avais toujours plus ou moins dans ma tête l'image que mon père, et ma famille plus généralement, avaient de moi. Je ne me sentais pas à la hauteur de ce que je rêvais d'être : un écrivain. Pour moi, il s'agissait d'ambitions démesurées hors de ma portée ; même si quelques amis de cette époque, me conseillaient de persévérer parce que j'avais une imagination fertile, et que lorsque je présidais à des séances de jeux de rôles, ils appréciaient toujours mes scénarios. Ils aimaient leur inventivité, leur complexité, leur originalité. Et ils m'encourageaient.
Puis, lorsque quelques personnes, des dizaines, des centaines de gens, ont commencé à lire mes textes, j'ai été surpris, décontenancé. Un peu effrayé également. Parce que ce n'étaient pas des retours auxquels j'avais l'habitude vis-à-vis de mes écrits. J'étais tellement conditionné par la mésestimation de ceux-ci par mes proches, que je ne pouvais croire en leur qualité. Il était viscéralement ancré en moi, au plus profond de mon « moi », de ma personnalité, que je ne produirais jamais de mots, de paragraphes, de textes, susceptibles de susciter la curiosité ou l'intérêt, voire la passion, d'inconnu(e)s.
Comment moi, Dominique, un humble, quelqu'un qui ne représente rien, qui, si ce n'est la culture livresque qu'il a acquis solitairement au fil des décennies – et, en particulier, lors de son séjour à la Bibliothèque Nationale – peut-il apporter aux autres par ce qu'il est, par ce qu'il sait ? Alors qu'on l'a tant de fois moqué, repoussé, humilié, rejeté, rabaissé ? C'était, à mes yeux, incompréhensible, inconcevable, presque blasphématoire. C'en était presque douloureux physiquement et psychiquement. Car cela remettait en cause tout ce que l'on m'avait appris à croire sur moi. Cela remettait aussi en cause le regard que j'avais sur moi. Et, croyez moi ou non, il m'a fallu beaucoup de temps, que beaucoup de personnes différentes, venues d'horizons divers et variés, me répètent régulièrement que j'ai un « don » pour l'écriture – et encore une fois, je n'aime pas trop ce terme qui me donne l'image de quelqu'un à l'ego surdimensionné me renvoyant à ce père tout puissant -, pour que je commence à y croire... un peu.
Ce n'est pas gagné, loin de là. J'ai beaucoup de chemin à parcourir aux tréfonds de mon cœur et de mon âme, afin de pouvoir posséder cette assurance qui me manque. On ne se refait pas en un jour ; surtout quand ces blessures viennent de très loin dans le passé, et de très loin dans ce qui vous a construit. Mais, progressivement, lentement, à force de ténacité, et surtout, de constater jour après jour qu'il y a de plus en plus de personnes qui me contactent afin de me féliciter pour mon travail - « Dieu et le Big-bang » ; mes deux longs exposés sur la crise des Migrants de Syrie ; celui sur le 13 Novembre 2015 ; « le Manoir des Ombres » ; ou celui en devenir sur « les Origines occultes de l'Hitlérisme – peut-être le plus important, le plus riche, le plus abouti, pour moi, de ces dix dernières années -, je réussis peu à peu à dépasser mes impossibilités de croire en moi. C'est long, c'est douloureux, c'est difficile de parvenir à me convaincre moi-même qu'il s'agit de la réalité. Mais, lentement, sûrement, en partageant sur Facebook des textes de ma compositions, en lisant les retours qu'ils évoquent, les débats qu'ils provoquent, je suis cette route sur laquelle je me suis engagé contre vents et marées au cours de mon adolescence.
Malgré tout, je sais que rien n'est gagné. Ce n'est pas parce que j'ai un succès d'estime ici – même s'il progresse au fil du temps -, qu'un jour, je réussirais à être publié chez un éditeur digne de ce nom. Il y a beaucoup d'appelés – ils sont légion, sur Facebook, comme moi, à tenter de se faire remarquer. Et certains sont bons ; d'autres, il faut bien l'avouer, écrivent des textes sans intérêt, bourrés de fautes d'orthographe, de grammaire, de répétitions, de lourdeurs, etc. Malheureusement, il s'agit de la grande majorité ; et généralement, ce sont ceux qui tentent de se mettre systématiquement en avant. Car, combien de fois en ai-je croisé qui, dès qu'un auteur – moi ou un autre – publiait son texte en haut de page d'un groupe dédié à la littérature ou aux écrivains, bondissaient aussitôt pour repasser devant. De plus, j'ai constaté qu'il s'agissait pratiquement toujours des mêmes personnes. En tout état de cause, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. Peut-être, avec le temps, disparaîtrai-je dans les limbes, avec les millions de textes qui cohabitent avec ceux que j'ai publié au sein de ce réseau social ? Ou, peut-être, qui sait, un jour, un éditeur digne de ce nom me remarquera t-il, et souhaitera t-il éditer mes textes – philosophiques, romanesques, sur l'actualité, etc. - ? Je n'en sais rien, et c'est mieux ainsi.
Je ne recherche ni la gloire, ni la fortune, ni le succès. Je suis qui je suis, et j'écris tel que je suis, tout simplement. Je voulais juste, avec ce texte, expliquer que ce n'est pas forcément si simple de suivre cette voie sur laquelle se mêlent épreuves, embûches, médisances, solitudes, souffrances, indifférence, moqueries, etc. Je voulais juste souligner qu'écrire ne s'improvise pas ; qu'il faut des années et des années de travail acharné, jour après jour, à être derrière sa machine à écrire – jadis – ou son ordinateur – aujourd'hui. Qu'il faut se lire, se relire, des dizaines de fois, échouer, recommencer, douter, être regardé parfois comme un « extra-terrestre » qui s'est isolé de la réalité pour se plonger dans ses notes, dans ses pages, dans son dictionnaire, dans ses encyclopédies. Qu'il faut lire des centaines d'ouvrages, de romans, de nouvelles, d'auteurs, afin d'enrichir son imagination et sa qualité d'écriture.
En tout cas, c'est ainsi que je vois ce métier, cette vocation, cette passion. Il est plus que sûr que tout le monde ne le voit pas de cette manière. Que beaucoup de ceux et de celles qui publient ici ou ailleurs pensent qu'il suffit d'un clavier ou d'un stylo, d'une heure ou deux de temps en temps, lorsqu'on a un moment de libre, plutôt que de se « tourner les pouces ». Or, ils se trompent du tout au tout. Et comme je viens de le décrire brièvement, cela s'avère extrêmement plus compliqué, plus problématique, plus prenant, demandant beaucoup plus de sacrifice, d'énergie, de passion, qu'ils ne le supposent. Il faut vouloir offrir aux autres ce que l'on cache habituellement au plus profond de son être, que ce soit beau ou laid, bien ou mal, heureux ou malheureux, fort ou faible, etc. C'est une véritable mise à nue de soi, dans son ensemble, sans retenue.
Alors, si on n'est pas prêt à cela, on ne peut pas comprendre ce que le fait d'écrire, d'être un auteur, implique. Et c'est ce que j'ai découvert quand mon père, mon entourage, me mésestimait pour ce choix que j'ai fait au cours de mon adolescence. Quand je me suis retrouvé seul, ignoré, perdu, blessé, et que c'est en écrivant, en écrivant encore et toujours, en affinant mon , en devant affronter un quotidien dans lequel je ne me sentais pas à ma place, que je me suis forgé. Pourtant, jamais je n'aurai imaginé que tant de gens me plébisciteraient ici ou ailleurs. Et rien que cela, c'est déjà une grande victoire à mes yeux. Une victoire sur moi-même, autant que sur ce que j'ai dû affronter pour en arriver là. Et cela, à chaque fois que j'écris une ligne, un paragraphe, un texte, reste constamment accroché à mon esprit. Car c'est tout cela qui me permet de donner le meilleur de moi-même afin de vous l'offrir...
Dominique
Vous avez eu le courage d'affronter votre père, enfin ! Pas facile, on a le respect de ses parents, de ses ainés. Moi, j'écris, mais je suis, je me nomme toujours ainsi : "un écrivaillon" mais cela me suffit, je suis mes émotions et je peux écrire un peu sur tout, mais je suis loin d'avoir les connaissances qu'il faudrait. Mais je suis ravie lorsque mes textes plaisent. Ah ! Je n'ai jamais aimé que l'on me dicte ma conduite. Cela me rappelle les réflexions du mari d'une connaissance qui arrivait, presque exaspéré, avec certains de mes textes à la main, en n'admettant pas que je ne mette pas de virgule après chaque vers, c'était en effet des poèmes ! J'ai vite arrêté de lui faire parvenir mes écrits. Je veux bien des conseils si j'en demande, c'est tout. Je dois vous laisser mais je lirais d'autres textes demain. Bonne soirée à vous !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Mais, mon amie, j'aime cette réalité fantastique ; mes confidences, je les fais parce que cela ne me dérange pas de les faire. Quant à cette autre connotation, je suis désolé, mais je ne vois pas laquelle. Psychanalitique peut-être. Et quand bien même, ne dit-on pas qu'écrire est aussi une forme de thérapie. Une bonne thérapie dans ce cas.
· Il y a presque 9 ans ·Dominique Capo
alô Dominique, ton texte prend l'allure d'un journal. Toutes ces confidences... ce n'est pas de mon ressors de te dire de poursuivre. De dire sans retenus aucunes, relève d'une réalité fantastique. Mais, ici le terme prend une autre connotation. Bise. tu es gentil, mais je suis sauvage. Sue+++
· Il y a presque 9 ans ·suemai