Ce qu'elle croit être, n'est pas vraiment

cat-tomate

Elle doublait les chiffres. Pour ne pas les avaler, elle les doublait puis les oubliait. Comme on craint le jour où nos parents iront à mourir, alors qu'on deviendra vraiment seuls. Alors que tout ira à mourir, un peu en même temps. Qu'on ne saura plus prononcer son nom sans avoir l'air de réciter un mensonge. Qui est-elle, vraiment. Qui es-tu? Qui suis-je?

Elle pleurait en doublant les chiffres. Pour oublier que le temps ne se rachète pas. Que les minutes qu'elle a perdu à ne s'aimer pas se sont fanées dans la poussière de vieux jours dont ne ressort aucun souvenir. Parce qu'on ne se souvient pas du mal, on oublie aussi les respires qui ont fait de ces jours des déclinaisons de vie aux milles couleurs que l'on aura choisi de ne pas appliquer sur la toile. Par peur de rater les mélanges, d'obtenir un gris consistant et collant à tous coups. Mais la vie s'échappe et les chiffres qui se doublent font mal, ils font terriblement mal. Elle voudrait les tripler, tripler le temps qui passe et lui jette au visage son incompétence de vivre, le désespoir de respirer encore tandis que néant siège dans la cadence, dans l'ivresse d'un corps mort avant de naître, éclos trop tôt et perdu d'avance. Comment sauver ce qui est mort, ce qui flotte sans espoir dans le littoral des peines et des misères qu'on voudrait tant à la place de ce vide qui égraine la vie sans raison. Avoir l'existence vaine, sans raison, qui s'essouffle, sans raison.

Elle ne peut pas expliquer pourquoi elle double les chiffres, elle ne peut ni sourire ni crier tandis qu'elle attend d'arriver à la limite où plus rien n'existe véritablement, où les chiffres n'en sont plus vraiment. Faut-il aussi justifier les respires, faut-il craindre d'empiéter dans le chemin de ceux qui divisent les nombres, séant leur ADN à merveille, les nombres de leurs sourires qui s'achèvent sur d'autres sourires. Quand la vie avance à dent de scie, que ses vieilles chaînes se rouillent avant l'âge et se perdent dans la misère de jours aux pluies acides. Le Soleil au retour n'assèche que davantage ce qui n'a de cesse de mourir sur un temps qui dure et s'éternise. Les promesses d'une vie de paix s'éloignent et stagnent dans leur éloignement, les pas ne s'en approcheront jamais plus finalement.

Alors elle compte et double les chiffres. En espérant que la vie illustre bien toutes les raisons de son tort. Mais la conscience se fait rare car les occasions n'existent plus, les oublis se creusent dans la misère de n'être rien et d'attendre d'être tout. Elle voudrait naître arbre et danser dans un vent à qui l'on reproche d'être libertin pour enfin devenir, vivre, exhumer. Sans ça elle n'est que la mort sous vide qu'on modèle au gré des attentes et qui ne se moule jamais vraiment, qui prend une forme qui indispose et dont on se tanne rapidement. Elle n'est qu'une tentative de vivre dont ne ressort ni résultat concluant, ni terminaison abrupte à la chute décapante, ni souvenir autre que l'amertume de l'échec qui se tanne lui-même d'exister. 

Dans ce crépuscule insatiable au goût de sang incendiant, elle n'est plus vraiment. Elle n'est plus depuis toujours, n'a jamais été, s'écorche et se répand finalement dans une plainte lointaine qu'elle aurait aimé,
être le vent.

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